Intervention de Pierre Henriet

Réunion du jeudi 4 mars 2021 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Henriet, député, rapporteur :

. – C'est un travail collectif. Tout l'Office s'est mobilisé pendant l'examen du projet de loi de programmation de la recherche (LPR), et ces félicitations doivent être collectives. Je tiens à remercier le président Villani qui s'est engagé pleinement à mes côtés, lors des débats à l'Assemblée. Le rapporteur Pierre Ouzoulias vous éclairera sur les avancées obtenues dans la LPR.

L'Office avait été saisi par la Commission de la culture du Sénat en février 2019, pour éclairer la représentation nationale sur les choix à opérer dans le domaine de l'intégrité scientifique. Nous avions fait une communication à l'Office, le 9 juillet dernier, en parallèle de la présentation de la LPR en conseil des ministres.

Cette saisine procède d'un phénomène, à la fois conjoncturel et structurel, qui s'est aggravé ces derniers temps.

L'appréhension de l'intégrité scientifique varie selon les établissements et les organismes de recherche ; la culture de l'intégrité est encore peu répandue malgré le développement de la formation à destination des doctorants depuis quelque temps. L'ensemble des acteurs académiques et universitaires (HDR, post-doctorants, encadrants, etc.) n'ont pas encore dans leur cursus de formation sur la culture de l'intégrité scientifique.

Sur un plan conjoncturel, nous sommes confrontés à une multiplication des cas de méconduites, médiatisés pour certains, traités de façon hétérogène, et qui révèlent parfois des environnements de recherche peu propices aux comportements intègres ; la crise sanitaire a révélé une augmentation significative de la défiance à l'encontre de la parole scientifique.

Le rapport que nous vous présentons aujourd'hui vise à dresser un état des lieux de l'intégrité scientifique en France et à émettre des recommandations afin de renforcer celle-ci dans le monde de la recherche. Ce travail implique également d'étudier les causes susceptibles de conduire certains chercheurs à des comportements peu intègres et la façon dont les cas de méconduite sont identifiés puis instruits.

Les objectifs à terme sont les suivants : d'une part, restaurer la confiance dans la science et offrir à chaque chercheur un cadre de recherche et un parcours de publication conformes aux principes de l'intégrité scientifique et, d'autre part, permettre à la France de jouer un rôle moteur dans le développement et la généralisation de pratiques de recherche intègres et scientifiquement rigoureuses, ce qui ne manquera pas de renforcer la crédibilité et la légitimité de la recherche française sur la scène internationale.

Ce rapport s'inscrit dans un travail de fond qui méritera d'être complété, notamment par l'étude des questions relatives à la science ouverte et plus largement au parcours des publications scientifiques, sujets sur lesquels, je crois, l'Office a déjà décidé de se pencher.

Nous avons conduit de nombreuses auditions et plusieurs champs d'action se sont dessinés à l'issue de nos travaux : d'abord, le renforcement et la clarification du rôle des acteurs de l'intégrité scientifique. Au niveau des établissements et des organismes, il existe désormais des référents intégrité scientifique – qui ont été nos interlocuteurs privilégiés. Contrairement aux déontologues, ces référents ne disposent pas d'un statut officiel, alors que cela serait indispensable pour leur procurer la protection et la légitimité inhérentes à leurs fonctions, notamment en cas de conflit d'intérêts au sein d'un établissement.

Au niveau national, l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS) et le Conseil scientifique de l'intégrité scientifique (CoFIS), hébergés par le Haut Conseil de l'évaluation et de l'enseignement supérieur (Hcéres), ont pour mission de mener des réflexions sur l'intégrité scientifique, mais également de regarder les pratiques et d'animer les réseaux. Dans le cadre de nos propositions, nous estimons que les conditions d'exercice des missions de ces deux instances et leurs rôles institutionnels doivent être revus (recommandation n° 2).

Il est également souhaitable que la collaboration entre le réseau des référents intégrité scientifique (ResInt) et l'OFIS soit renforcée et que la nomination d'un référent intégrité scientifique dans les établissements scientifiques soit systématisée. Le statut des référents scientifiques doit être clarifié afin d'offrir une légitimité et un cadre serein aux personnes exerçant ces fonctions parfois difficiles. À terme, l'OFIS devra fonctionner de manière totalement indépendante, et nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet avec le gouvernement et le Hcéres. Actuellement, l'OFIS est hébergé par le Hcéres et cette incubation est nécessaire pour renforcer cette structure à l'avenir. Nous espérons également que l'OFIS puisse devenir un interlocuteur privilégié des référents intégrité scientifique sur le terrain et les soutenir grâce à l'expertise développée au sein de chaque établissement. Cette évolution exige que l'OFIS dispose de données et d'outils pour offrir une analyse de haut niveau lorsqu'il sera saisi sur une affaire.

Ce rapport vise également à informer la représentation nationale sur de nouveaux acteurs qui ne sont pas institutionnels mais qui agissent comme des réseaux de régulation informels. On peut citer PubPeer, un site internet créé en 2012 par deux neuroscientifiques chercheurs au CNRS, qui offre une plateforme de discussion scientifique en court-circuitant au besoin les acteurs qui pourraient avoir des conflits d'intérêts, empêchant l'autocorrection de la science, que ce soit des auteurs, des journaux ou des institutions. Ce site joue désormais un rôle important dans l'identification des méconduites scientifiques. Dans cet espace virtuel, chacun peut, sous couvert d'anonymat, signaler un article dont il souhaite discuter. Depuis quelques années, la plateforme a été prise d'assaut par des signalements d'articles frauduleux, ou ayant fait l'objet d'embellissement ou de falsification d'images, ce qui n'est pas sans poser des problèmes de fond sur les rapports entre une plateforme anonymisée et les canaux institutionnels. La légitimité et la pertinence de cet outil font donc l'objet de controverses dans le monde de la recherche : il est appréhendé tantôt comme un vecteur d'autorégulation, tantôt comme un outil de délation au service des rivalités entre chercheurs ou organismes de recherche. PubPeer est néanmoins devenu un acteur incontournable de la régulation de l'intégrité scientifique, autant par sa fonction d'alerte que de médiation. En novembre 2019, le site comptait 70 000 commentaires pour 25 000 articles commentés, dont 4 % émanant des auteurs eux-mêmes. La France ne représente que 5 % du flux, mais les organismes de recherche sont à l'affût de signalements auxquels il est recommandé de répondre. Ainsi, des publications de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) auraient donné lieu à 328 notifications pour le seul mois de novembre dernier.

Notre rapport aborde également les méconduites scientifiques et la manière de les traiter. L'idée est de faire évoluer l'appréhension des méconduites. Des disparités existent entre les organismes et les établissements de recherche dans les procédures d'instruction, même si nous souhaitons saluer la qualité du « Guide pour le recueil et le traitement des signalements relatifs à l'intégrité scientifique » élaboré par le ResInt, qui éclaire les référents intégrité scientifique sur le terrain et contribue à l'harmonisation des pratiques. Nous recommandons que les personnes mises en cause dans les procédures soient mieux protégées afin d'éviter une incidence trop grave sur la santé physique et mentale des chercheurs. La question de la réhabilitation des chercheurs mis en cause doit également être traitée.

Le troisième axe du rapport concerne l'amélioration de l'environnement de recherche. C'est un facteur déterminant pour les chercheurs. Il est urgent de réviser les modalités d'évaluation, notamment les référentiels utilisés en matière de publication, et de développer des outils plus pertinents pour apprécier la qualité du travail des chercheurs au quotidien. Dès 2013, la déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche avait mis en avant le fait que les facteurs d'impact étaient biaisés et inopérants car, d'une revue à l'autre, les distributions de citations sont asymétriques et peuvent être manipulées. La limite des indicateurs métriques est largement démontrée et elle est particulièrement défavorable aux jeunes chercheurs.

Il faut mettre fin au principe délétère du « Publier ou périr » et valoriser les pratiques de recherche rigoureuses et transparentes. La formation à l'intégrité scientifique, déjà mise en place pour les doctorants, doit être étendue aux futurs HDR (habilités à diriger des recherches) et aux personnes qui encadrent les recherches. Cette formation doit être considérée comme un parcours qui accompagne le chercheur tout au long de sa carrière et non comme une seule formation. C'est l'objet de notre septième recommandation.

Nous espérons que ces travaux provoqueront un engouement pour la recherche dédiée à l'intégrité scientifique, notamment pour améliorer l'état de nos connaissances sur ce sujet encore méconnu. Nous espérons également qu'une réflexion globale pourra être menée au niveau européen et que cette réflexion puisse aboutir à une réglementation harmonisée et applicable dans l'ensemble des États membres. Ce travail supranational implique d'analyser l'application concrète des engagements liés aux chartes et aux conventions signées par les organismes de recherche depuis plusieurs années.

La première partie du rapport détaille les sources qui constituent le corpus dédié à l'intégrité scientifique en dehors des avancées réalisées dans le cadre de la loi de programmation de la recherche (LPR). Leur multiplication témoigne de la volonté du monde de la recherche d'avancer sur ces questions partout dans le monde.

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