. – J'adresse un très grand remerciement à nos collègues Pierre Henriet et Pierre Ouzoulias pour cet exposé remarquable et je formulerai quelques réflexions en complément.
D'abord, comme vous l'avez souligné, nous pouvons nous féliciter que l'OPECST ait pesé sur ce sujet, s'en soit saisi et que le Parlement ait joué pleinement son rôle. Aujourd'hui, nous pouvons dire que la façon dont les institutions françaises prennent en compte le sujet de l'intégrité scientifique est unique au monde, non parce qu'un jour un ministre ou un gouvernement a décidé de le régler, mais bien parce que la communauté scientifique et les institutions du Parlement s'en sont saisies. Vous avez eu raison de saluer le travail réalisé par nos collègues Bruno Sido et Claude Huriet, qui a été un acteur charismatique et extrêmement actif sur ces questions d'intégrité scientifique.
Je me souviens de l'audition d'Olivier Le Gall, président de l'OFIS dans sa première configuration, et des questions que nous nous posions déjà sur la pérennité de sa situation au sein du Hcéres, sur l'adéquation de ses moyens, sur son avenir, etc. Nous avons par la suite identifié des mésaventures et des inconvénients. Nous allons les gérer. Il est normal que les institutions mettent un peu de temps à se mettre en place. Mais on voit se dessiner un dispositif qui sera tout à fait satisfaisant, en particulier une fois résolu le problème du statut de l'OFIS. Je me suis d'ailleurs exprimé, à titre personnel, pour un OFIS indépendant, jugeant que son rattachement au Hcéres entraînait une sorte de conflit d'intérêts qui n'est pas sain dans un domaine où l'indépendance est une vertu majeure.
Je n'avais pas en tête la solution du rattachement à l'Institut de France, qui est intéressante et mérite d'être approfondie avec ce dernier. Toutes les disciplines sont, par nature, représentées, avec leurs différentes pratiques, au sein de l'Institut, qui a une tradition d'indépendance. Il faut se souvenir que l'Académie des sciences a été fondée dans les années 1660 pour permettre au pouvoir politique de disposer d'un conseil scientifique indépendant. En tout cas, sur le plan institutionnel, félicitons-nous sans ambages de ce rôle positif du Parlement et de l'OPECST. Quand l'Office parvient à prendre les sujets en amont des débats pour les travailler, il peut être vraiment efficace.
Ma deuxième remarque est qu'il s'agit ici d'un sujet grave, dont il ne faut surtout pas minimiser l'importance. Les problèmes de méconduite scientifique retardent la science. Cela remonte à loin. Les mathématiciens ont tous en tête la grande querelle sur l'accusation de plagiat entre Newton et Leibniz, au XVIIe siècle, qui a abouti à une séparation entre la Grande-Bretagne et le continent, laquelle a eu des conséquences considérables sur le développement des sciences. À l'Est, on se souvient, parmi les cas de non-intégrité scientifique, du désastre Lyssenko en Russie, de la façon dont tout un domaine scientifique a été « plombé » durablement par l'interférence avec la politique. Parmi d'autres drames emblématiques, on se souvient du suicide de ce chercheur confronté à un problème d'inconduite scientifique d'un des membres de l'équipe dont il était responsable à l'Institut Riken, il y a quelques années au Japon.
Mon troisième commentaire, c'est que ce sujet est sorti de l'ombre. Il y a quarante ans paraissait La Souris truquée, premier ouvrage à briser un tabou en indiquant, de manière un peu systématique, combien dans certains laboratoires scientifiques ou chez certains chercheurs, on pouvait constater de pratiques inqualifiables. C'était le tout début. À l'époque, quand on évoquait ces sujets, il s'agissait de collections d'anecdotes, de pratiques et d'histoires recensées sans se poser de questions sur les statistiques, le système, les institutions, etc. On en était à l'enfance de l'art, si je puis dire. Je me souviens, cela vous fera certainement sourire, quand j'ai commencé ma carrière en mathématiques, avoir entendu l'histoire de ce mathématicien italien qui s'était fait une spécialité de traduire les articles de confrères étrangers, avant de les publier dans d'autres revues, à une époque où il n'y avait pas de vérification systématique. Il avait été démasqué quand l'un des experts contacté pour écrire une revue de ses articles dans les notices mathématiques avait découvert, dans l'article qu'on lui demandait de référer, son propre article traduit. Il l'avait écrit tel quel dans la notice. Alors, notre collègue italien s'était résolu à faire le tour de toutes les universités italiennes pour arracher la page correspondante dans leur catalogue.
C'était la préhistoire, maintenant nous avons des outils automatiques d'analyse des plagiats, des dénonciations incessantes, etc. et nous nous posons toutes ces questions. Mais cela va au-delà. On a compris qu'il ne suffisait pas de trouver le plagiaire, le coupable clairement identifié, mais qu'il s'agissait aussi d'un ensemble de zones grises. C'est bien dit dans le rapport : la frontière entre l'inspiration et le plagiat est parfois fine, et il existe une gamme de pratiques pour lesquelles il s'avère difficile de trancher. À travers ces pratiques grises, tout un système perd en efficacité. Le problème résulte aussi, comme on l'a vu ces dernières années, de l'augmentation phénoménale du nombre de revues, de la diversification des modèles économiques, de l'apparition de revues prédatrices, de la charge immense qui s'est mise à peser sur les experts chargés d'évaluer les articles, de communautés tellement élargies, en particulier dans les sciences de la vie, qu'il devient très difficile de garantir un regard à la fois éclairé et indépendant, de la montée en puissance de la Chine, etc. Bref, le contexte des manquements à l'intégrité scientifique a connu une systématisation qui fait que le débat est passé de l'artisanat à l'industrie.
Dans le rapport, vous citez une statistique indiquant que peut-être un tiers des scientifiques estiment avoir été témoins de pratiques douteuses, et qu'une part importante d'entre eux reconnaît avoir agi de façon un peu douteuse, parfois en tordant les cadres, parfois en embellissant une figure, considérant que ce n'est pas grave, puisque cela participe d'un système qui a perdu en intégrité, en conscience professionnelle, dans son ensemble. De tels chiffres étaient impensables voici quelques décennies. On se disait que c'était une toute petite fraction de brebis noires, tout le reste du troupeau agissant de façon intègre. Aujourd'hui, on voit que c'est beaucoup plus nuancé, et à prendre beaucoup plus au sérieux.
Il y a aussi eu des affaires célèbres, vous en citez quelques-unes, dont certaines ont éclaboussé le sommet de nos institutions scientifiques, y compris en France. Avec ce rapport, on voit bien la différence par rapport aux ouvrages mentionnés tout à l'heure. Il a pris la mesure de ce que le sujet a gagné en ampleur et en intensité. Vous analysez bien tout ce qui, de façon systémique, pousse parfois à la faute ou à enfreindre les règles, donnant lieu à toutes sortes de comportements indélicats, non seulement de la part des chercheurs mais aussi des éditeurs, de ceux qui s'occupent des revues : le « publish or perish », le « fund or famish » – si l'on ne parvient pas à décrocher un contrat, on va mourir de faim, puis disparaître. Vous relevez notamment la montée des indicateurs en sciences : combien d'articles publiés, combien de citations, dans quelle revue, etc. Il y a encore maintenant des débats sur l'extraordinaire rythme de publication de l'un des scientifiques clefs, médiatiquement parlant, de la Covid, et sur le fait qu'il a souvent publié dans des revues où lui-même était membre du comité de rédaction. Toutes ces pratiques interrogent et font partie d'un système.
Ma quatrième remarque porte sur un sujet que vous avez abordé brièvement, qui viendra nécessairement sur la table, mais qui n'est pas forcément du ressort de cette mission : celui des méconduites humaines liées au contexte scientifique. Je veux dire par là le harcèlement moral de la part d'un directeur de thèse, les brimades, voire le harcèlement sexuel. Ce sont des choses qui existent aussi. La société universitaire, dont on reconnaît le besoin d'indépendance, doit aussi se conformer à des règles qui sont celles de la vie en société. Dans certains milieux, le débat a été extrêmement poussé. Il viendra aussi de façon connexe, parce que ce n'est pas une question de pratique scientifique, mais on n'en n'est pas tellement loin.
Dernière remarque : vous êtes parfaitement dans l'air du temps, avec les préconisations de ce rapport et le contexte dans lequel il s'inscrit. Oui, le débat vers la science ouverte est un débat de notre temps. J'approuve donc votre demande de prolonger vos travaux par un rapport sur la science ouverte. Dans cette période de Covid, où le rapport entre science et société a été interrogé plus que jamais, où l'on a vu les revues les plus prestigieuses, comme Science ou Nature, faire de la mauvaise science en allant bien trop vite parce qu'elles étaient sous pression, ce débat est d'une extraordinaire actualité. Je n'ai pas vraiment de question particulière, mais vous réagirez peut-être à mes commentaires.