. – Quand, sur la base d'un article scientifique faisant un lien entre vaccination et autisme, on en vient à limiter la protection vaccinale, cela a pour conséquence une baisse des vaccinations, puis des morts supplémentaires de la rougeole. On n'est déjà plus dans le domaine de l'intégrité scientifique, mais dans le champ pénal. Un chercheur doit avoir conscience que certains de ses actes peuvent avoir des conséquences majeures en termes de santé publique. Dans la façon dont la population française a réagi au vaccin contre la Covid-19, on peut trouver des traces de cette méfiance. Il s'agit donc vraiment d'un sujet grave.
Le numérique et l'internationalisation ont complètement modifié les enjeux de l'intégrité scientifique. À l'époque de Pasteur, avec une recherche limitée à un laboratoire et pour référence presque exclusive la communauté nationale, l'autorégulation fonctionnait très bien. Aujourd'hui, un chercheur appartient à une communauté internationale qui, avec le numérique, lui donne le sentiment qu'il n'a plus de responsabilité envers personne.
Le numérique a aussi l'effet inverse, puisqu'il permet de détecter les fraudes beaucoup plus facilement. Dans les analyses statistiques, une discipline sort du lot : la biologie. C'est dans ce domaine que l'on recense 50 % des cas de méconduite au CNRS, les outils d'analyse permettant d'identifier très facilement les images arrangées ou fallacieuses. Cette analyse s'avère, par exemple, beaucoup plus difficile à réaliser sur les résultats d'un chantier de fouilles. Il en va de même pour les outils de détection du plagiat. À cet égard, ceux qui sont mis à la disposition des enseignants-chercheurs ne fonctionnent pas très bien. Si j'avais soumis ma thèse d'historiographie, pleine de citations, à ces outils, elle n'aurait pas été acceptée, en raison d'un taux de plagiat de l'ordre de 20 %, ces logiciels ne distinguant pas un plagiat d'une citation, faute de comprendre la signification des apostrophes. C'est un point important.
Pour répondre à Sonia de La Provôté, un terme grec explique parfaitement bien dans quelle logique se trouve le chercheur : l' hubris, sentiment d'une puissance absolue qui permet de transgresser toutes les règles. J'ai entendu la confession publique de plusieurs chercheurs dont les méconduites avaient été signalées, parfois publiquement. Ils ont dit, de façon tout à fait honnête – on sentait que cela représentait pour eux une souffrance morale – que tout était beaucoup plus facile et allait considérablement plus vite lorsqu'ils trichaient. Avec trente-cinq thésards, dont on sait qu'on ne peut pas surveiller le travail, cela permet d'avoir une puissance de frappe exceptionnelle. Un chercheur constatait qu'il progresse aujourd'hui moins vite, mais qu'en faisant de la bonne science, il s'y retrouve moralement. Cette confession était vraiment très intéressante.
Pour répondre à la question absolument essentielle de Philippe Bolo, nous avons eu ce débat au Sénat lors de l'examen de la LPR. Personnellement, j'ai insisté pour que le Hcéres prenne en compte la nécessité pour un chercheur, inclus dans une société et un territoire, de participer à l'expertise de la représentation nationale et des collectivités. Il ne doit donc pas être uniquement jugé en fonction des travaux qu'il réalise pour un système international et global. Il me semble avoir réussi à faire intégrer cette contribution dans les critères d'évaluation des chercheurs. Il reviendra à Sonia de La Provôté de veiller à ce que les chercheurs soient aussi évalués sur ce critère.