Un élément important a été pris en compte dans notre analyse : il s'agit de l'adoption du plan de relance. Celui-ci consacre 470 millions d'euros au volet nucléaire, dont 200 millions à des opérations venant directement en soutien à la R&D et 270 millions consacrés au développement de la vivacité de la filière et aux investissements.
Les axes de recherche ciblés par le plan de relance sont divers. Un premier volet est lié au développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs et des alternatives à l'installation Cigéo. Un deuxième concerne le développement des usines du futur, en particulier des « jumeaux numériques », c'est-à-dire des installations à la fois réelles et virtuelles permettant d'avancer plus rapidement dans le prototypage. Un volet concerne le multirecyclage en réacteur à eau pressurisé, qui constitue l'un des éléments de la PPE et un autre renvoie au déploiement de plateformes expérimentales en soutien à l'innovation, avec par exemple un investissement sur la plateforme Tamaris, qui permet d'étudier la résistance aux séismes des ouvrages de production d'énergie.
Ces axes de recherche sont déployés selon deux modalités. La première modalité, qui s'appliquera aux usines du futur, au multirecyclage en REP et au déploiement de plateformes expérimentales, consiste à confier la coordination d'un projet à l'un des acteurs, charge à lui de s'entourer d'un consortium pour mettre en œuvre le programme de recherche. La seconde modalité, qui sera choisie pour le développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs, consiste à procéder par appels à projets, ce qui témoigne de la volonté à la fois de mobiliser les acteurs historiques de la R&D en matière de gestion des déchets radioactifs, mais aussi de permettre au tissu global de la recherche de s'exprimer et d'apporter sa pierre à l'édifice.
Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, les divers acteurs nous ont présenté, bien que de façon parcellaire, leurs projets et les éléments qu'ils souhaitaient mettre en exergue. Nous avons ainsi pu constater non seulement une mobilisation assez forte, mais aussi une très grande diversité de projets, certains étant à horizon court, par exemple sur les procédés de décontamination ou de vitrification des déchets FA-VL, d'autres engageant des recherches à long terme, sur plus de dix ans, à l'image des projets relatifs aux réacteurs à sels fondus brûleurs d'actinides. Ceci donne un sentiment d'hétérogénéité, pour ne pas dire de désordre. Peut-être est-ce le fruit d'une volonté ; il est en tout cas certain que ces projets ne convergent pas vers un objectif partagé. Il est difficile de percevoir leur enchaînement et de concevoir leur insertion dans une stratégie globale.
Nous avons essayé de catégoriser ces projets et de les classer en deux groupes.
Le premier concerne les projets visant à rattraper le retard pris dans le déploiement des opérations de recherche, voire à aller plus vite que prévu, ce qui est l'essence même du plan de relance.
Le deuxième regroupe des projets de nature à donner de nouvelles impulsions, qui devront ensuite être prises en charge par les acteurs. Citons par exemple les projets relatifs aux études sur les réacteurs à sels fondus : les deux ans du plan de relance ne suffiront assurément pas à clore le sujet. Cette étude prendra énormément de temps et nécessitera des moyens très importants. Les montants apportés par le plan de relance vont servir à amorcer le processus de recherche, qui devra ensuite être pris à sa charge par les acteurs. Force est de constater que nous n'avons pas toujours perçu comment les acteurs avaient prévu de prendre en charge la poursuite de ces projets.
Les modalités de déploiement du plan par appels à projets introduisent dans la procédure des délais incompressibles : il faut laisser le temps aux chercheurs de proposer des projets, de rédiger les dossiers correspondants. Même en procédant par déclarations d'intérêt, avec des dossiers très courts comme dans le cas des PIA 3 et 4 ces dernières années, il faut néanmoins du temps pour les élaborer, les instruire et faire des choix, ce qui est susceptible de ralentir le déploiement du plan de relance. Il faut tenir compte de cette dimension temporelle : prendre six mois de retard sur un projet censé durer deux ans n'est pas anodin, puisque ceci correspond à une consommation de 25 % du temps alloué.
Le deuxième point d'analyse de la commission est relativement simple et s'appuie sur un constat : dans nos rapports n° 13 et n° 14, nous avions appelé de nos vœux la mise en place d'un nouveau programme de R&D, soutenu par une recherche fondamentale forte. Ceci ne correspond pas au contenu du plan de relance ; ce n'en était d'ailleurs pas l'objet. Nous avons néanmoins souhaité examiner cet aspect, afin d'avoir une continuité dans nos avis.
Ceci nous a conduits à soulever quelques points d'attention. Le premier est relatif à l'axe de recherche sur le développement de solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs et les « alternatives à l'installation de Cigéo », formule que nous entendons de façon récurrente depuis un an et qui suscite des questions. En effet, les études scientifiques montrent que, quelle que soit l'alternative envisagée, il y aura toujours des déchets ultimes à placer en stockage géologique, et ce même si les pistes esquissées réduisent la nocivité des déchets et leur thermicité, permettant d'augmenter la densité de matière stockée. Les alternatives qui nous ont été présentées, dont les réacteurs brûleurs d'actinides ou la transmutation, sont des objets qu'il n'est guère possible d'envisager, à échelle industrielle, avant la fin du siècle, voire le début du siècle prochain. D'ici là, il faudra bien agir. Or quelle que soit la solution proposée, elle génèrera des déchets ultimes à stocker.
Notre deuxième point d'attention est lié, d'une part, à la volonté affichée de mobiliser un surcroît de forces de recherche, via la procédure d'appel à projets, d'autre part, au constat qui nous a été présenté par le CNRS. Le CNRS mène chaque année auprès de ses laboratoires, qui regroupent, dans le domaine des sciences et technologies, l'immense majorité des chercheurs de la recherche académique française, une enquête visant en particulier à évaluer le nombre de chercheurs impliqués dans le domaine de l'énergie, notamment nucléaire. Or les chiffres qui nous ont été présentés montrent une diminution de 30 % en cinq ans. Il y a donc là une contradiction entre l'observation que de moins en moins de chercheurs travaillent sur ces projets et la volonté affichée de les mobiliser par des procédures d'appel à projets ouvertes. Nous avons ressenti qu'il n'existait pas de volonté particulière de la part des acteurs historiques d'ouvrir les portes ou d'élargir leurs collaborations. On voit ainsi émerger un certain paradoxe, qui n'est d'ailleurs pas propre au déploiement du plan de relance, mais concerne plus globalement la situation de la R&D sur les matières et déchets radioactifs : le sujet mobilise de moins en moins de chercheurs dans la sphère académique, alors même que le monde académique est en train de se structurer autour d'initiatives d'excellence, dans la gouvernance desquelles figurent les acteurs de la recherche (ANDRA, CEA, etc.). Ceci reflète, de notre point de vue, un problème de stratégie de la part des acteurs et une absence de mobilisation.
Notre dernier constat est que, quand bien même davantage de personnes seraient impliquées, il faudrait donner un sens sociétal fort à leur mobilisation, en lien avec les enjeux de la recherche, et proposer une vision à long terme. Lorsqu'un chercheur décide de s'engager dans des projets comme ceux-ci, il s'engage sur plus de dix ans : il est donc impératif que son engagement soit sous-tendu par une vision et un sens mobilisateurs à long terme. Or ceci n'est pas perceptible aujourd'hui.
À l'issue de ce point d'étape, nous estimons qu'il sera nécessaire que la Commission suive, dans les deux années qui viennent au moins, la mise en œuvre effective du plan de relance et analyse son insertion dans une stratégie nationale à long terme et sa déclinaison. Ceci entre dans le périmètre de la CNE2, puisqu'elle a pour mission d'évaluer les études et recherches relatives aux matières et déchets radioactifs, donc a priori les travaux de recherche dans ce domaine inclus dans le plan de relance.
Nous pensons qu'il faut engager une réflexion sur les mesures et initiatives spécifiques permettant d'attirer les jeunes talents et d'impliquer davantage la recherche académique. Ce ne sont pas les deux prochaines générations qui verront éventuellement la transmutation à l'échelle industrielle, mais la suivante. Il est important d'avoir cette échelle de temps en tête et d'envisager les moyens d'intéresser les futures générations à la discipline, afin de disposer des ingénieurs, techniciens et chercheurs nécessaires.
Outre ces deux éléments de réflexion centraux, il est évident que la crise aura des conséquences à plus long terme. J'avoue regarder avec une certaine suspicion les bilans financiers des acteurs. La crise n'est pas terminée et nous aurons l'occasion de nous exprimer sur ces sujets, probablement dans le rapport 2022 de la CNE2.