Intervention de Christophe Fournier

Réunion du jeudi 25 mars 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Christophe Fournier, membre de la CNE2 :

Je souhaite ajouter une précision à propos du site de Fessenheim : le technocentre n'a absolument pas vocation à effectuer de la transmutation, mais uniquement à fondre des métaux et à en extraire les impuretés radioactives. Or ceci ne nécessite pas de conduire des recherches pendant des décennies et peut être mis en œuvre dans les toutes prochaines années. La difficulté relativement à Fessenheim est simple : il n'existe pas en France de seuil de libération, si bien que l'on exclut a priori la réutilisation dans le domaine public de tout déchet issu de la filière nucléaire, ce qui n'est pas le cas ailleurs en Europe. Pour que les métaux dépollués qui seront produits par le technocentre de Fessenheim puissent être réutilisés, il faudra une évolution de la réglementation, avec tous les problèmes d'acceptabilité que ceci suppose. Le problème de Fessenheim est donc avant tout une question d'acceptabilité et ne relève pas du champ scientifique.

J'en viens aux questions de rentabilité. Il faut avoir à l'esprit que les démantèlements nucléaires sont des opérations industrielles présentant de nombreux aléas, avec des découvertes de contaminations que l'on n'attendait pas. Le rythme et le calendrier de ces opérations sont donc fluctuants, ce qui est particulièrement néfaste en matière d'organisation industrielle et de coûts induits et menace la rentabilité des projets. Il importe par ailleurs de distinguer la situation d'EDF de celle du CEA. Chez EDF, et plus globalement chez les industriels du nucléaire, le financement des démantèlements fait l'objet de provisions gagées par des actifs dédiés. Ainsi, lorsqu'une opération est engagée, l'argent est disponible. Au CEA, les démantèlements sont gagés par une créance pour l'État : le rythme des démantèlements dépend ainsi de la dotation budgétaire annuelle décidée par chaque loi de finances. En résumé, la situation d'EDF permet d'optimiser le rythme du démantèlement par rapport à la technique et à l'outil industriel, alors que dans le cas du CEA, ce rythme est fonction du flux financier. S'ajoute à cela le fait que le CEA doit démanteler des installations nombreuses et différentes.

Le désintérêt des industriels a concerné en particulier les opérations de démantèlement du CEA. En effet, les contraintes budgétaires induisaient trop d'aléas dans les calendriers et ruinaient la rentabilité de l'activité.

On observe en revanche depuis quelques années une évolution de la stratégie industrielle d'EDF. Auparavant cette stratégie consistait à confier les opérations de démantèlement à de gros intervenants, de manière très globale, en espérant obtenir une forfaitisation des contrats et un transfert de risques. Force est de constater que ceci n'a pas vraiment bien fonctionné, en raison notamment des nombreux imprévus survenant dans le cadre de ces chantiers. Or chacun sait que dans le monde du BTP comme dans celui du démantèlement, un imprévu engendre un contentieux – c'est d'ailleurs ce sur quoi vivent les gros industriels. EDF ayant été confronté à de fortes déconvenues tant sur l'efficacité du montage industriel que sur les coûts est en train d'évoluer vers une réinternalisation des activités de maîtrise d'œuvre, en particulier au travers de sa filiale Cyclife, en essayant de nouer des partenariats de plus longue durée permettant de maintenir la compétence et de partager les risques et les coûts. Cette évolution de politique industrielle va dans le bon sens. À cet égard, le démantèlement de la centrale de Fessenheim sera certainement une sorte de prototype pour toutes les centrales suivantes. Cette démarche est sans doute favorable au renforcement du secteur.

Il reste en revanche un vrai problème quant au financement des opérations de démantèlement du CEA. Le peu d'intérêt suscité chez les industriels causera sans doute tôt ou tard une difficulté lorsqu'il faudra démanteler ces installations.

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