Intervention de Gilles Pijaudier-Cabot

Réunion du jeudi 25 mars 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gilles Pijaudier-Cabot, président de la CNE2 :

Je vais tout d'abord rebondir sur les propos du président Longuet, que je partage : le fait de se conformer à un calendrier signifie que le projet est mené avec rigueur. C'est la raison pour laquelle nous regardons attentivement, s'agissant de la PPE, les calendriers des divers projets, études et recherches menés dans le domaine nucléaire. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à procéder de la sorte : l'Autorité de sûreté nucléaire partage, me semble-t-il, la conviction selon laquelle un calendrier mal tenu est le signe d'un projet qui est en train de déraper.

Ceci dit, la nécessité d'écouter le public et d'ouvrir le débat impose des phases de réponse et d'analyse. Je ne pense pas que l'on puisse affirmer qu'un calendrier serait mal tenu au seul motif que l'on aurait pris davantage de temps pour expliquer le projet au public. Cet argument n'est pas forcément audible aujourd'hui, j'en conviens volontiers. C'est néanmoins celui qui est avancé par l'ANDRA, à laquelle je ne pense pas que l'on puisse reprocher de prendre le temps d'expliquer et de tirer les conséquences des débats publics qui ont lieu autour du dépôt de la demande d'autorisation de création de Cigéo. Il ne faut pas que ceci dérape, mais il me semble important de prendre le temps nécessaire pour répondre correctement aux interrogations de la population. Il y a là un compromis à trouver : quelques mois de délais sont acceptables, trois ans ne le sont pas.

Vous avez évoqué, monsieur Villani, le développement de la bombe nucléaire. Si mes souvenirs sont bons, ceci était alors une priorité nationale et internationale. Je pense que l'on pourrait, de la même manière, connaître des avancées rapides et inattendues si la transmutation et ITER étaient élevés au rang de priorités scientifiques nationales. Lorsque l'on considère, comme c'est aujourd'hui le cas dans le cadre de la PPE, que la transmutation à l'échelle industrielle ne sera pas effective avant quelque 80 ans, le chercheur d'aujourd'hui va très certainement faire le choix de laisser cela à d'autres, à moins d'avoir ce sujet chevillé au corps. Si ce projet, tout comme celui d'ITER, n'est pas désigné comme une priorité, il n'avancera pas. Il faut en avoir conscience.

Concernant le caractère prétendument temporaire de la réversibilité, il faut savoir que cette dernière durera jusqu'au moment où le stockage géologique sera définitivement fermé, et peut-être au-delà. La récupérabilité des produits sera quant à elle temporaire dans des conditions simples. Il ne faut pas confondre réversibilité et récupérabilité. La CNE2 est convaincue que la réversibilité définie par la loi de 2016 est une nécessité pour un projet qui va durer aussi longtemps. Ceci introduit la souplesse permettant d'expliquer à la fois la manière dont le stockage va être effectué aujourd'hui et le fait que dans 50 ans, en fonction des avancées technologiques, la situation pourra évoluer. J'ai coutume d'interroger par exemple l'ANDRA sur le fait que rien ne permet d'affirmer que, dans 80 ans, l'on disposera toujours de l'autorisation de produire du ciment. La flexibilité, l'adaptabilité se traduisent notamment par la possibilité d'utiliser éventuellement d'autres matériaux pour développer les mêmes solutions, de construire selon les progrès effectués. Évoquer la réversibilité en la considérant seulement comme le fait d'enfouir des déchets susceptibles de devenir des matières que l'on pourrait souhaiter récupérer par la suite pour les valoriser suppose d'admettre, d'une part, que nos arrière-petits-enfants décideront que cette démarche est rentable, ce que nous ne sommes pas en capacité de savoir aujourd'hui, d'autre part, qu'ils prennent alors en charge la récupérabilité. Il s'agit d'un tout petit élément de la réversibilité. La Commission s'intéresse davantage à la mise en place des mécanismes permettant de faire mieux demain ce que l'on a prévu aujourd'hui, sans pour autant tout recommencer. Je suis parfaitement conscient que cette définition de la réversibilité ne correspond pas à la vision qu'en a le grand public. Je pense que pour les habitants de Bure, la réversibilité est synonyme de possibilité de récupérer les déchets. Or il ne faut pas se cacher qu'il sera beaucoup plus compliqué de récupérer les colis dans 130 ans que le lendemain de leur stockage dans le site. Exercer cette possibilité restera néanmoins toujours envisageable, à charge pour les générations futures d'en faire le choix, parce que ce sera rentable, économiquement et socialement.

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