Intervention de Philippe Bolo

Réunion du jeudi 25 mars 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Bolo, député, rapporteur :

L'audition publique sur l'impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d'élevage a eu lieu le 18 février. Avant celle-ci, j'ai procédé à douze entretiens préparatoires avec différentes parties prenantes. L'audition publique s'est tenue sous forme de deux tables rondes : la première, qui a réuni dix participants, s'est penchée sur les constats liés aux effets des ondes électromagnétiques sur les animaux d'élevage, la seconde, à laquelle sept personnes ont participé, a porté sur la prise en compte des difficultés rencontrées.

Peut-être avez-vous entendu dire que les agriculteurs n'étaient pas suffisamment représentés dans le cadre de ces tables rondes et que l'ANAST (Association nationale Animaux sous tension) n'était pas représentative de l'ensemble de la profession et des cas concernés. Je pense qu'il ne faut pas envisager les choses ainsi. Il se trouve que l'ANAST est la seule association représentative des agriculteurs en difficulté sur ce sujet : il fallait donc qu'elle soit présente. Par ailleurs, de nombreux cas d'agriculteurs, faisant ou non partie de l'ANAST, ont été évoqués par les différents intervenants. Au total, près d'une dizaine de situations ont été abordées lors de nos échanges.

Pourquoi avoir organisé ces tables rondes ? Nous sommes face à un sujet mal connu, rarement évoqué par la représentation nationale, et face à des situations dramatiques, parfois sans solution. Un rapport rédigé au nom de l'OPECST par le sénateur Daniel Raoul en 2010 avait évoqué la question. De manière individuelle, hors cadre constitué, certains députés s'y intéressent également ; je pense notamment à Yves Daniel, en Loire-Atlantique.

Afin d'avoir une vision comparative de la situation dans différents pays, j'ai réalisé une enquête auprès des membres de l'EPTA (European Parliamentary Technology Assessment), structure qui fédère les offices semblables au nôtre dans 23 pays. Si l'on enlève l'OPECST, les deux représentations européennes et l'office du Mexique que nous n'avons pas réussi à contacter, ce sont 19 offices qui ont été sollicités pour répondre à trois questions. Douze ont répondu et il apparait que personne ne travaille sur ce sujet, à l'exception de la Suisse où certains députés, en dehors des activités de leur office parlementaire, ont déjà abordé la question de l'impact des antennes de téléphonie et des lignes électriques. Tous nos autres correspondants ont indiqué n'avoir rien fait. Nous sommes donc en avance, ce qui méritait d'être signalé.

Une note de synthèse vous a été transmise avant-hier, qui insiste sur la complexité du sujet. Lors de la table ronde, un physicien spécialiste des champs électromagnétiques en a exposé les grands principes, ce qui a permis de lancer les échanges sur une base sémantique et de connaissances partagée. Il a expliqué qu'il existait des champs électromagnétiques de différentes fréquences, ne produisant pas les mêmes effets, directs et indirects. La téléphonie se situe par exemple dans les hautes fréquences, avec des impacts thermiques. Les lignes haute tension sont au contraire sur de la basse fréquence, avec un phénomène d'induction de courant électrique dans les équipements métalliques.

Le deuxième niveau de complexité, qui s'ajoute à la difficulté du phénomène physique, tient au fait que les symptômes observés aujourd'hui sur les animaux d'élevage ne sont pas forcément révélateurs de troubles liés aux ondes électromagnétiques mais peuvent éventuellement être imputés à d'autres causes.

Il existe néanmoins des observations de terrain laissant penser qu'il se passe quelque chose et qu'il faut vraiment examiner le sujet. Le vétérinaire présent a clairement indiqué que les difficultés d'abreuvement ou les comportements particuliers rencontrés chez les bovins, qui évitent de fréquenter tout ou partie de certains espaces d'une exploitation agricole, pouvaient résulter de perturbations électromagnétiques, parfois directes, mais le plus souvent indirectes, liées aux basses fréquences et à la génération de courants induits.

Les observations de terrain montrent par ailleurs que ces phénomènes apparaissent souvent de façon concomitante à l'installation d'infrastructures de réseau électrique, de production d'énergies renouvelables ou de communication de type 4G ou 5G. Ceci a été mis en évidence lors de la table ronde par M. Crouillebois, qui a expliqué que le déplacement de la ligne enterrée près de son exploitation a coïncidé avec la fin des difficultés rencontrées par son troupeau. L'exemple du parc éolien des Quatre Seigneurs interroge plus encore, car les problèmes sont apparus avant même que les éoliennes soient raccordées au réseau électrique, ce qui suscite de nombreuses questions. Il faut savoir par ailleurs que des problèmes similaires apparaissent également en l'absence d'infrastructures de ce type.

La sensibilité des animaux, très différente de la nôtre, est probablement en cause. Les normes utilisées pour la construction des bâtiments d'élevage sont des normes élaborées pour les humains, visant à éviter l'électrocution. Or les animaux ont une sensibilité très différente, d'une part car ils reposent sur le sol avec quatre pattes, d'autre part parce que leurs pattes ne sont pas isolées du sol et se trouvent parfois dans des milieux humides. Ainsi, dès que des courants induits y circulent, des difficultés apparaissent.

Il existe enfin de réelles inconnues sur les phénomènes qui interviennent dans les sols et sur l'influence de la géologie. Etant ingénieur agronome en génie rural, je puis témoigner du fait que je n'ai jamais entendu parler de ces sujets de circulation d'électricité dans le sol, ce qui montre que le domaine n'est pas vraiment documenté.

Ceci nous conduit au constat d'un besoin de recherche sur les effets des ondes électromagnétiques sur les animaux d'élevage, la mesure de la sensibilité des animaux et la circulation des courants dans le sol et le sous-sol. En préparant la table ronde, notre premier réflexe a été d'aller rechercher des informations auprès de l'INRAe (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) : or il n'existe aucun chercheur y travaillant sur ces questions.

Cette absence d'études est-elle due à un manque de financement ou bien au fait que cette thématique n'intéresse pas les chercheurs ? J'avoue ne pas savoir comment appréhender cette boucle.

La seconde table ronde concernait la gestion des situations difficiles rencontrées par les éleveurs. Elle a notamment permis d'évoquer le GPSE (Groupement permanent de sécurité électrique), structure mise en place par le ministère de l'agriculture en 1999, qui a pris la forme d'un groupe de travail jusqu'en 2014, puis d'une association depuis 2014, avec la présence en son sein des grands gestionnaires des infrastructures (RTE, Enedis, etc.), ce qui n'est pas sans poser problème, j'y reviendrai. Depuis sa création, 72 demandes ont été soumises au GPSE par l'intermédiaire des chambres d'agriculture, qui se sont traduites par 49 interventions, avec 35 cas résolus, 18 cas ayant fait l'objet de diagnostics approfondis (vous verrez dans la note qu'il existe deux façons pour le GPSE d'appréhender les sujets, à savoir la réalisation de diagnostics simples ou de diagnostics approfondis) et 5 cas restant aujourd'hui sans solution. Le GPSE est malheureusement l'objet de critiques, dues notamment à la présence de RTE et Enedis. Le fait que les agriculteurs qui s'estiment victimes des aménagements effectués par RTE et Enedis doivent, pour résoudre leurs difficultés, s'adresser à une instance à laquelle participent ces deux grands gestionnaires pose problème. Il importera de trouver des solutions.

La notion de géobiologie a été présente dans cette seconde table ronde, ce qui suscite, je l'imagine, de la curiosité de votre part. Cette discipline, non scientifique, existe bel et bien et permet, dans certains cas, de résoudre les situations, alors même que la science n'y parvient pas. Ceci soulève de nombreuses questions. Lorsque j'ai écouté pour la première fois le discours des géobiologues, je dois vous avouer avoir été, avec le parcours qui est le mien, très dubitatif. Or je crois qu'il faut vraiment faire preuve en la matière d'une grande ouverture d'esprit et considérer que cette discipline existe et a son intérêt. Nous avons tous entendu parler ou vu des sourciers qui parviennent à trouver de l'eau.

Les géobiologues les plus sérieux s'appuient sur une connaissance de la physique et utilisent des équipements permettant de mesurer des paramètres physiques. Ils partent du principe qu'ils vont repérer les veines d'eau et les failles dans le sol, qui sont, pour eux, des voies de circulation préférentielles des ondes et courants à l'origine des problèmes rencontrés par les éleveurs. Cette profession est en train de se structurer, avec des formations, un code de la géobiologie et une charte des bonnes pratiques. J'ai découvert aux éditions de La France agricole des guides de la géobiologie en agriculture qui n'ont rien de farfelu : ils reposent sur des bases scientifiques, expliquent l'électricité, les champs électromagnétiques et comprennent un recueil de témoignages préoccupants sur des situations similaires à celles qui nous ont été rapportées lors de l'audition.

La note que je vous ai transmise se termine par des préconisations de trois ordres.

Le premier volet de ces propositions vise à une meilleure connaissance non seulement des phénomènes électromagnétiques et de leur influence sur les animaux, les sols et les normes, mais aussi à une meilleure connaissance du nombre de cas. Dès que je me suis lancé dans cette mission, des agriculteurs avec lesquels je suis en contact sur le territoire que je représente m'ont indiqué qu'ils avaient été confrontés à des phénomènes de cette nature et avaient heureusement trouvé des solutions. Ce type de situation est beaucoup plus fréquent qu'on ne l'imagine.

La deuxième catégorie de préconisations concerne la prévention des problèmes, avec une amélioration de la gouvernance, du financement et de l'organisation du GPSE. Ceci passe également par la réalisation d'un diagnostic géobiologique dans le cadre des études d'impact, avant la création et la mise en place de nouveaux projets d'aménagement. Ceci est pratiqué en Loire-Atlantique à la demande de la préfecture. Des installateurs d'éoliennes procèdent également de la sorte.

Le dernier ensemble de recommandations a pour objet une meilleure prise en compte du phénomène, en allant plus vite dans sa reconnaissance, en structurant la méthode et la profession de géobiologue et surtout en mettant en œuvre les préconisations des différents rapports déjà réalisés sur ces questions (rapport de Daniel Raoul au nom de l'OPECST, travaux de l'ANSES, mission du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)).

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