Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur :

. – C'est la première fois que je travaille sur une note courte et je peux témoigner de la richesse de cette expérience, de l'intérêt d'aboutir rapidement à un résultat, mais aussi de la frustration qu'elle provoque : celle de ne pas approfondir davantage le sujet.

Le thème de la production d'hydrogène peut paraître assez défini mais il est en réalité majeur. Voici, en introduction, une perspective historique : la France a le sentiment d'avoir raté les révolutions énergétiques. Nous n'avions, en effet, pas de ressources massives de charbon ou de pétrole faciles à exploiter. Le nucléaire est une chance en balance, car ce secteur est à la fois très défendu et très critiqué. L'hydrogène, dans l'opinion publique, dans un contexte de crise et de volonté de relancer l'économie, apparaît comme une option qui pourrait ouvrir une ère nouvelle. La France et l'Union européenne pourraient ainsi rattraper le retard accumulé sur les énergies renouvelables, notamment en ce qui concerne l'éolien et le photovoltaïque, car la France est en bonne place sur l'hydraulique, mais son développement est limité. L'opinion est favorable à l'hydrogène depuis l'époque de Jules Verne, et il est actuellement associé à l'espérance de nouvelles énergies renouvelables. Ainsi toutes les conditions sont réunies pour un enthousiasme médiatique en faveur de l'hydrogène.

Le format de la note courte permet de se concentrer sur un aspect concret qui est ici celui des modes de production de l'hydrogène, mais il n'empêche pas d'évoquer d'autres aspects autour de cette source d'énergie.

L'hydrogène est une molécule dont les constituants sont très présents dans l'environnement, mais, et c'est là son drame, quasiment jamais seuls et l'immense majorité du temps associés : à l'oxygène dans l'eau ou au carbone dans le méthane, par exemple. Aussi, il faut préalablement casser une molécule plus complexe avant de pouvoir utiliser l'hydrogène. Les modes de production de l'hydrogène présentés dans la note consistent justement en cette opération.

Pour les appréhender, il faut distinguer trois temps : le temps médiatique, qui veut des réponses immédiates, dans le cadre duquel les espoirs seront nécessairement douchés ; le temps industriel, qui est plus prometteur mais qui soulève des problèmes majeurs liés, d'une part, à la production d'électricité et à la production d'hydrogène elle-même, d'autre part, à la décision politique de soutenir ou non une hausse continue de la taxe carbone sur le CO2 ; enfin, le temps scientifique, qui est extraordinairement prometteur, mais dont les échéances ne sont pas maîtrisées.

La note écarte l'idée d'une révolution immédiate, en dépit des sommes considérables investies, tant par les gouvernements français qu'allemand, par exemple, au sein de l'Union européenne.

Nous devrions sélectionner nos objectifs en fonction du mode de production. Le premier de ceux-ci, écrasant en volume car il représente 95 à 99 % des 70 à 80 millions de tonnes d'hydrogène produites chaque année, repose sur les énergies fossiles. Je le rappelle, l'hydrogène pur n'existe pas, sauf marginalement, notamment au fond des océans ou encore en Afrique, où de l'hydrogène naturel a été capté. Ces énergies fossiles sont émettrices de CO2 avec un facteur dix qui permet d'estimer la quantité de CO2 libérée pour produire de l'hydrogène. Lorsque 80 millions de tonnes d'hydrogène sont produites, 800 millions de tonnes de CO2 sont émises. Il convient naturellement de s'interroger sur la nécessité et la possibilité de remplacer, du jour au lendemain ou à échéance brève, le vaporeformage, consistant à casser la molécule de méthane ou de charbon par un traitement thermique trop émetteur de CO2. La réponse est positive, car à cet hydrogène appelé gris peut être substitué de l'hydrogène dit bleu, pour lequel le CO2 émis dans le processus de production est capté puis stocké.

Pourquoi est-ce possible ? Parce que la production industrielle d'hydrogène est essentiellement destinée aux raffineries de pétrole et à l'industrie chimique lourde, pour les engrais par exemple. Ces unités étant peu nombreuses et importantes, la possibilité de capter le CO2 émis et de le stocker, en particulier dans des couches géologiques autrefois productrices de gaz ou de pétrole, est très sérieusement envisagée, voire mise en œuvre, notamment en mer du Nord, avec le soutien des pétroliers qui y opèrent.

Il faut bien comprendre que le vaporeformage du méthane a l'immense inconvénient d'émettre du CO2, mais aussi l'immense avantage de ne pas coûter cher. Sans capture et stockage, le prix de l'hydrogène produit se situe autour de 1,60 euro le kilo, ce qui, comparé aux autres systèmes de production, apparaît extraordinairement avantageux.

La deuxième façon de produire l'hydrogène, qui laisse espérer une révolution et un hydrogène décarboné, est l'électrolyse de l'eau, procédé ancien puisqu'il est mis en œuvre depuis la fin du XVIIIe siècle. Il existe trois générations d'électrolyseurs.

La plus classique, dite alcaline, consiste à faire passer un courant dans de l'eau à laquelle on ajoute, en général, du chlorure de potassium ou de sodium. Ce système présente l'avantage de ne pas produire de CO2 et l'inconvénient de consommer énormément d'électricité. Avec l'électrolyse, l'énergie consommée – à savoir l'électricité – représente à peu près 80 % des coûts d'exploitation (OPEX) de l'hydrogène, ce qui impacte l'amortissement des investissements (CAPEX), plus élevés pour l'électrolyse de l'eau que pour le vaporeformage. Il faut 55 à 60 kilowattheures pour produire un kilo d'hydrogène. On voit bien que la clé de la production d'hydrogène par électrolyse est le prix de l'électricité et ses conditions de génération.

À côté de l'électrolyse traditionnelle, il existe une nouvelle génération d'électrolyse à membrane, dite PEM, dans laquelle les courants passent à travers des membranes solides. C'est un système beaucoup plus concentré, plus maîtrisé et plus réactif. Il consomme toujours beaucoup d'électricité : le gain par rapport à l'électrolyse alcaline n'est que de l'ordre de 10 à 15 % En revanche, ces dispositifs sont adaptés à des charges plus variées.

Une troisième génération, aujourd'hui encore expérimentale même si des réalisations industrielles en découlent, surtout de la part du CEA, sont les électrolytes solides. C'est un système de pile à combustible inversée. L'équipement fonctionne à haute température et sous pression. Il est capable de produire de l'hydrogène ou de l'électricité, lorsqu'il est inversé. C'est un système extrêmement prometteur.

Dans les trois cas, des entreprises françaises proposent des solutions : l'électrolyse alcaline avec McPhy, les PEM avec Elogen et l'électrolyte solide avec Genvia, un spin-off du CEA. La France dispose aussi de grands industriels très solidaires de ces recherches, parce qu'ils y trouvent un intérêt. Air Liquide est directement intéressé, les constructeurs automobiles le sont moins directement, mais Michelin ou un grand équipementier comme Faurecia sont très impliqués dans ces recherches. Cela n'empêche pas de constater, hélas, que les débouchés industriels ne sont pas encore à ce jour complètement clarifiés.

J'ai introduit en page trois de ma note un tableau comparant les différents modes de production de l'hydrogène, avec, à l'échelle industrielle, le vaporeformage et les autres solutions à partir d'énergies fossiles, qui présentent l'inconvénient d'émissions fortes de CO2 mais susceptibles d'être récupérées par capture et stockage, puis les productions par électrolyse assez prometteuses, enfin la thermolyse de la biomasse, la dissociation thermochimique et, surtout, un dispositif par pyrolyse, à la limite de l'industrie et de la recherche, qui permet, en chauffant le méthane, notamment par un procédé de torches plasma développé par l'École des mines de Paris, une production de carbone solide, appelé noir de carbone, qui a l'immense avantage de ne pas se diffuser dans l'atmosphère et de pouvoir être réutilisé pour des usages industriels.

Voilà donc la situation de la production industrielle telle qu'elle existe aujourd'hui, à peu près maîtrisée sans être nécessairement développée. La bataille porte évidemment sur les coûts de production : 1,6 euro le kilo pour le vaporeformage sans capture et stockage, et entre 4 et 8 euros le kilo pour l'électrolyse, un prix considérablement plus élevé.

Je parlais des temps médiatique, industriel et scientifique. Les perspectives scientifiques sont quand même assez prometteuses, même si les échéances sont beaucoup plus lointaines. Parmi ces perspectives, je suis directement impliqué, en tant qu'élu du Grand-Est, dans la production d'hydrogène à partir de biomasse : l'entreprise française d'ingénierie Haffner Energy a développé un dispositif de thermolyse de la biomasse, toujours sur le principe d'une combustion à relativement haute température, de l'ordre de 350 à 400 degrés, sous forme de charbon de bois ou biochar. Une expérience va être menée à Strasbourg pour une flotte captive de véhicules.

À côté de ces dispositifs, toute une série d'initiatives existent aujourd'hui sans véritables démonstrateurs industriels, mais constituent des pistes de recherche basées sur l'idée d'utiliser la photosynthèse avec l'activité de micro-organismes tels que des algues et des bactéries, ou de recréer une photosynthèse artificielle avec photocatalyse ou photoélectrocatalyse pour produire de l'hydrogène sans émissions de CO2. Ces dispositifs, cités pour mémoire dans la note, sont intéressants, mais n'auront sans doute pas d'application industrielle significative avant plusieurs décennies.

Je voudrais terminer par deux réflexions, l'une sur l'usage, l'autre sur l'électricité.

Premièrement, la densité extraordinairement faible de l'hydrogène en rend l'usage difficile. Un kilo d'hydrogène représente des volumes considérables, surtout si on le compare avec l'essence, avec un encombrement 13 fois plus grand à 350 bars de pression. Et même à 700 bars de pression, l'écart demeure important, avec un volume près de 8 fois plus important. L'hydrogène pose ainsi des problèmes de logistique considérables tant pour sa répartition que pour sa diffusion. Autant il peut apporter des solutions pour le transport lourd – trains, cargos, péniches – autant il faut, pour qu'un véhicule léger fonctionne à l'hydrogène, que cet hydrogène alimente d'abord une pile à combustible, laquelle alimente ensuite un moteur électrique… Cela supposerait un réseau national d'accès à l'hydrogène, ce qui rend peu vraisemblables des perspectives de développement à court terme de l'hydrogène pour la mobilité diffuse. En revanche, il est envisageable pour les flottes captives ou pour des flottes industrielles.

Je passe sous silence la question de savoir s'il vaut mieux une production concentrée ou décentralisée d'hydrogène. La technique ouvre les deux possibilités. Dès lors, faut-il plutôt transporter de l'électricité vers les lieux de production d'hydrogène ou transporter de l'hydrogène produit près des centrales électriques vers des lieux de consommation ? En tout état de cause, il faut avoir en tête qu'à court terme, l'hydrogène ne restera employé, dans le secteur de la mobilité, que pour le transport lourd ou des flottes captives.

Deuxièmement, la diffusion de l'hydrogène oppose deux visions très différentes de la production d'électricité en Europe, celle de la France et celle de l'Allemagne. Nous, Français, avons tendance à nous dire que nous savons produire de l'électricité décarbonée grâce à l'énergie nucléaire. Les Allemands, quant à eux, veulent s'appuyer sur les énergies renouvelables.

Ces énergies présentent pourtant la faiblesse d'être le plus souvent intermittentes et aléatoires. Certes, l'hydrogène permettrait de les stocker. Cela dit, chaque transformation d'énergie vers un autre vecteur entraîne une perte de capacité assez significative, qui s'échelonne entre 20 % et 35 %. Or les équipements éoliens et solaires ont des durées de fonctionnement qui varient entre 2 000 et 4 000 heures par an, alors que les équipements de production d'hydrogène par électrolyse, très coûteux, doivent pouvoir fonctionner 8 000 heures par an pour que les efforts d'investissement soient amortis.

Les Allemands sont tentés de développer des systèmes de production d'hydrogène dans les pays où les secteurs photovoltaïque et éolien ne sont pas saturés, mais cela pose des problèmes techniques et des problèmes politiques. C'est pourquoi je suis, pour ma part, assez perplexe sur les schémas actuellement développés aux niveaux national et européen, qui me semblent receler le risque d'aventures coûteuses, spectaculaires et sans lendemain.

Les gains de productivité à attendre restent marginaux mais il est possible de faire baisser les coûts grâce à l'industrialisation et à la production massive ainsi que, peut-être, par l'usage de métaux aussi performants mais moins coûteux. Ainsi, le recours au platine est très fréquent dans les piles à combustible, mais son prix est exorbitant. Quoi qu'il en soit, s'il ne faut pas se priver de continuer à dépenser de l'argent pour progresser, il ne faut cependant pas attendre une révolution.

Le dernier facteur qui commande la réussite économique de l'hydrogène, c'est l'évolution du prix de la tonne de CO2. Si elle atteint les 200-250 euros, il est vraisemblable que des productions d'hydrogène trouvent parfaitement leur légitimité.

Peut-être l'Office pourrait-il poursuivre sa réflexion sur le sujet de l'hydrogène ? La présente note aura du moins pour mérite de casser l'illusion qu'il s'agit d'une solution miracle. Si c'est une opportunité, il faut la maîtriser et, pour la maîtriser, en connaître toutes les contraintes : le recours à l'hydrogène ne permettra pas de faire l'économie d'une politique de maîtrise de la production de gaz à effet de serre.

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