Intervention de Olivier Poivre d'Arvor

Réunion du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes :

. – Mesdames et Messieurs les parlementaires, merci à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de me donner l'occasion de passer cette matinée parmi vous pour évoquer des sujets loin d'être mineurs ou périphériques, alors que les consciences sont sensibilisées par les conséquences de la crise sanitaire qui nous font comprendre la fragilité de ce monde, car c'est bien de la fragilité de ce monde dont nous parlent les pôles.

Lorsque Jules Dumont d'Urville découvre l'Antarctique en 1840, il découvre un continent unique, inexploré. Près de 200 ans après, ces territoires sont encore largement inexplorés. Dans le domaine polaire, la France a joué longtemps dans la cour des grands avec de grandes aventures personnelles au travers des figures de Charcot, de Dumont d'Urville et de Kerguelen. En Antarctique, les Français ont été suffisamment présents pour revendiquer une partie du continent, la Terre Adélie, qui a été une fierté et représenté une forme de souveraineté jusqu'à ce que, dans une période extrêmement critique, en pleine guerre froide, le monde entier se réunisse et décide en 1959 de mettre en place une gouvernance unique au monde. Cette gouvernance consiste à renoncer aux demandes de souveraineté déposées par divers pays (Australie, Argentine, Afrique du Sud, etc.) au profit d'une forme de cogestion ou de copropriété dans laquelle personne ne revendique une part de l'Antarctique.

L'Antarctique est un continent grand comme l'Europe, entouré d'un océan – l'océan Austral – tandis que l'Arctique est un océan entouré de pays, lesquels sont membres du Conseil de l'Arctique. Au‑delà de ces éléments géographiques, d'autres caractéristiques les différencient. En Antarctique, après le traité qui consacre l'idée d'un moratoire sur ces terres, une autre évolution est intervenue. Michel Rocard, qui fut ambassadeur des pôles, claqua la porte d'une réunion des signataires du Traité sur l'Antarctique, en 1989, lorsqu'il y apprit des projets d'extraction minière. Il décide alors, avec le premier ministre australien Robert Hawke, de proposer aux autres parties prenantes la mise en place du Protocole de Madrid dont nous fêterons les 30 ans le 23 juin prochain et qui consacre l'Antarctique comme une terre de paix et de sciences. Au Nord, la gouvernance de l'Arctique est bien différente : il y existe un Conseil de l'Arctique qui fêtera prochainement ses 25 ans et qui réunit les huit grandes nations arctiques (Fédération de Russie, États‑Unis, Canada, Islande, Norvège, Suède, Finlande et Danemark). Au sein de ce conseil, siègent également des observateurs, dont la France. Outre ces différences de gouvernance, d'autres particularités marquent chacun de ces territoires : l'Arctique est peuplé de près de 4 millions d'habitants tandis que l'Antarctique est inhabité, si ce n'est la présence ponctuelle de 700 à 1 000 chercheurs.

Les pôles sont majeurs car ils nous donnent des informations sur l'état du monde. Des Français, dont le glaciologue Claude Lorius, en coopération avec des scientifiques russes, ont mesuré les effets du changement climatique dans les années 1980 grâce à des opérations de carottage. Les pôles nous apportent d'autres témoignages au travers de la désagrégation du pergélisol et de la fonte de la banquise, phénomènes qui entrainent une élévation du niveau de la mer menaçant non seulement des îles fragiles du Pacifique mais au‑delà, l'ensemble des espaces littoraux et des côtes du monde entier.

La France porte un intérêt marqué aux pôles. Elle a ainsi créé une ambassade des pôles en 2009 dont Michel Rocard est devenu le premier ambassadeur, suivi par Ségolène Royal en 2016. J'ai l'honneur de leur succéder avec une mission élargie aux enjeux maritimes. Le monde entier est mobilisé sur le sujet des pôles, notamment l'Australie, le Royaume‑Uni, les pays européens mais aussi la Chine qui se présente aujourd'hui comme une nation quasi arctique. Cependant, la France est passée de la cour des grands à la cour des pays moyens. Je reviens de Russie où j'ai rencontré des représentants de grands centres scientifiques et j'ai pu mesurer à quel point nous avons perdu du terrain au cours des dernières années. Nous devons maintenant le regagner en commençant par définir notre stratégie polaire. Le Président de la République m'a confié cette tâche mais l'élaboration de cette stratégie sera aussi élaborée en concertation avec un groupe d'experts et de scientifiques.

Notre stratégie polaire nationale visera à mettre en avant nos avantages, dont les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et une flotte océanographique importante, afin d'être plus présents en Arctique en intensifiant nos échanges avec des pays comme le Canada, les États‑Unis et la Russie. Cette stratégie doit aussi imaginer ce que représenteront les pôles dans 30 ans, en termes de souveraineté et de gouvernance, car il faudra repenser le Protocole de Madrid à cette échéance. Cette réflexion devra englober les sujets de défense et de sécurité car l'Arctique est habité par de grandes puissances (OTAN, États‑Unis, Russie) qui se font face tandis que la Chine n'est pas loin. Les perspectives seront également économiques car l'Arctique représente 20 % du PIB russe avec les hydrocarbures, le gaz naturel liquéfié et le pétrole, mais aussi les terres rares. Cette stratégie devra par ailleurs embrasser les sujets scientifiques. Notre recherche est certes de grande qualité mais il faut lui donner des moyens supplémentaires, de l'ordre de 15 à 20 millions d'euros, ce qui est peu de choses mais qui fait défaut. J'ai beaucoup d'admiration pour celles et ceux qui prendront la parole dans un instant car je sais qu'ils travaillent finalement avec très peu de moyens. Cette stratégie nationale devra également s'intéresser au changement climatique. Alors que la France est très impliquée sur ces sujets depuis 2015, nous avons la volonté de continuer à nous positionner en tant que pays leader sur un agenda de protection de l'environnement. Lors de la réunion du Traité sur l'Antarctique que la France a l'honneur de présider cette année, nous proposerons la création d'aires marines protégées en Antarctique, en collaboration avec les Européens et avec le représentant américain John Kerry, mais il nous reste à convaincre les Russes et les Chinois, réticents car représentés par leurs agences de pêche. Nous espérons toutefois qu'un accord sera trouvé car l'année 2021 y sera propice avec la COP 15 biodiversité en Chine, la COP 26 climat à Glasgow et une forte mobilisation parlementaire et citoyenne. Dans ce domaine, le soutien des parlementaires sera essentiel et nous espérons que vous accepterez de nous accorder les quelques dizaines de millions d'euros dont nous avons tant besoin pour soutenir notre stratégie et faire en sorte que la France redevienne une grande nation polaire.

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