Intervention de Catherine Ritz

Réunion du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Catherine Ritz, directrice de recherche au CNRS rattachée à l'Institut des Géosciences et de l'environnement (IGE) :

. – Les calottes glaciaires sont essentielles car elles sont des archives du climat mais aussi des éléments actifs du système climatique. Deux calottes glaciaires existent encore sur Terre : le Groenland et l'Antarctique. Dans mon propos, je me concentrerai sur l'Antarctique car c'est là que la science française est la plus impliquée, en particulier grâce à toutes les missions que l'IPEV nous aide à mener.

Chaque année, de la neige tombe sur la calotte glaciaire et ces couches de neige s'empilent, ce qui nous permet de disposer d'archives lorsque l'on fore en profondeur. Ces carottages nous aident à reconstituer le climat passé mais aussi à reconstituer l'atmosphère. Tous les projets de grands forages glaciaires ont été menés grâce à l'Europe.

La France est très réputée dans ce domaine depuis la grande collaboration franco‑russe sur les glaces de Vostok, mais les forages effectués dans le cadre du projet EPICA vont beaucoup plus loin. Sur ce projet, les carottages ont permis d'exploiter une glace vieille de 800 000 ans. Ces travaux sont l'occasion de collecter, entre autres, des informations sur la température car la composition de la glace donne accès à la température du site au cours du temps, mais ils fournissent aussi des informations sur la teneur en CO2 et en méthane car l'atmosphère est piégée dans les bulles de gaz. Nos enregistrements montrent ainsi que se sont succédé des périodes chaudes et froides avec des alternances de hautes valeurs et de basses valeurs pour les concentrations en méthane et en CO2. Ces enregistrements donnent aussi à voir le rôle amplificateur des gaz à effet de serre et montrent clairement que les valeurs actuelles sortent de la gamme observée dans le passé. Les quantités de CO2 dans les glaces les plus récentes représentent le double des quantités du passé et les quantités de méthane représentent le triple de la référence. En outre, les variations sont désormais plus rapides. Ces enregistrements permettent donc de comprendre les variations naturelles mais aussi l'impact de l'homme sur ces paramètres.

Notre nouveau projet vise à obtenir un enregistrement des glaces sur 1,5 million d'années. Cet historique nous est nécessaire car nous savons qu'un changement de rythme des variations a eu lieu il y a 1,2 million d'années et que nous sommes alors passés d'un cycle de 40 000 ans à un cycle de 100 000 ans. Avec ces nouvelles recherches, nous voulons comprendre pourquoi ce changement est intervenu et quel est le rôle des gaz à effet de serre dans ce changement. Pour mener à bien ces recherches, il nous faut trouver un endroit où forer pour accéder à ces archives. C'est le but du programme européen Beyond EPICA Oldest Ice qui vise à trouver un terrain où atteindre ces glaces très anciennes. Le défi est mondial et plusieurs équipes y participent mais le programme européen est peut‑être en avance sur les projets menés par d'autres équipes internationales.

Le programme Beyond EPICA Oldest Ice a conduit à mener une phase de reconnaissance en vue d'identifier le meilleur site. Le choix s'est porté sur un site situé à 35 kilomètres de Concordia. Les premières étapes de la reconnaissance ont été aéroportées et menées grâce à une collaboration avec les Australiens et l'université du Texas. Le site a été choisi en décembre 2019. Le camp est déjà monté mais les opérations de forage ont pris du retard en raison de la pandémie. Les opérations qui seront menées sur ce site devront bénéficier de la logistique et du soutien de la station Concordia.

Les calottes glaciaires jouent également un rôle dans le système climatique. Ces fonctions sont multiples mais je me focaliserai sur l'impact des calottes glaciaires au regard du niveau des mers. Il convient de souligner que l'Antarctique contient l'essentiel de la glace sur terre. À moins d'un changement climatique extrêmement important, mais qui n'est pas envisagé pour l'instant, seulement 20 mètres de niveau des mers sont mobilisables à l'échelle des prochains siècles ou millénaires.

Cela étant, l'observation satellitaire nous montre que le centre de l'Antarctique a fait l'objet d'un léger épaississement, de quelques centimètres de glace par an entre 2003 et 2019, tandis qu'un affaissement a été observé sur les côtes. Toutefois, au niveau global, la balance pèse du côté de l'affaissement et de la perte de masse pour l'équivalent d'un millimètre de niveau des mers par an, alors qu'il est observé globalement une variation de 3,5 millimètres. Ces données montrent que l'Antarctique contribue aujourd'hui à l'augmentation du niveau des mers.

Trois approches peuvent être utilisées pour prévoir les évolutions futures. La première est l'observation. Dans ce domaine, la France est impliquée dans des projets de l'Agence spatiale européenne et dans des projets du CNES. La deuxième approche passe par la modélisation. C'est ainsi que l'on peut estimer les possibilités de pertes de glace de l'Antarctique au cours du siècle. D'après le rapport du GIEC sur la cryosphère et l'océan, le scénario le plus probable est celui d'une contribution de l'Antarctique à l'élévation du niveau de la mer de 12 centimètres à la fin du siècle. Cependant, de grandes incertitudes perdurent et après 2100, le rapport du GIEC évoque une incertitude profonde. Selon le scénario climatique le plus extrême (85 centimètres de montée du niveau des mers en 2100), cette élévation du niveau des mers conduirait à ce que les inondations centennales surviennent tous les ans en Europe. Ces modélisations mettent en évidence que toute évolution en Antarctique pourra avoir des effets en Europe, même si le continent est très éloigné.

En Antarctique, on assiste à deux processus opposés : les précipitations augmentent avec la température, raison pour laquelle il est constaté un épaississement des couches de glace au centre ; les calottes marines sont instables et menacent les régions côtières. Sans entrer dans le détail de ces processus, il faut retenir que des mesures cruciales doivent être faites sur le terrain pour comprendre ces mécanismes adverses. Pour cela, nous devons nous intéresser à la façon dont s'organise l'accumulation de neige. Cependant, l'Antarctique est tellement immense que nos mesures sont éparpillées. De plus, il faut caractériser l'interface entre la glace et le socle rocheux car c'est ce qui gère le glissement de la glace. L'instabilité vient également de la fonte sous les glaciers flottants ainsi que, dans une moindre mesure, de la fonte en surface et de son effet sur les crevasses.

La base Dumont d'Urville est idéalement placée pour étudier une région cruciale dans le futur de l'Antarctique. Il s'agit de la région où le socle rocheux se situe sous le niveau des mers. Toutes ces régions sont évidemment vulnérables. Le grand bassin qui se situe près de Dumont d'Urville pourrait être un contributeur très important pour l'observation du niveau des mers. Les questions posées sont : sous quelles conditions climatiques cette région risque‑t‑elle de devenir instable ? À quelle vitesse est constaté l'effondrement ?

Les différents types de mesures dont nous avons besoin pour comprendre le comportement de cette région sont des mesures aéroportées, qui sont en cours dans le cadre de la mission Icecap 2, en collaboration avec l'Australie et l'université du Texas. D'autres mesures doivent être réalisées sur les glaciers que nous ne pouvons rallier qu'en hélicoptère et dans l'océan via des campagnes océaniques pour comprendre pourquoi la fonte sous les plates‑formes pourrait augmenter. Pour certaines mesures, la France se situe en tête, en particulier concernant les sondeurs sous‑marins.

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