Intervention de Yan Ropert-Coudert

Réunion du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Yan Ropert-Coudert, directeur de recherche au CNRS :

. – Les Tropiques sont les lieux où la biodiversité est la plus riche mais c'est au niveau des pôles que la vitesse d'apparition des espèces (ou le taux de spéciation) est la plus forte. Les pôles sont à ce titre une source de biodiversité car c'est là que se créent les nouvelles espèces. Ce sont donc des zones particulièrement importantes pour la biodiversité au niveau mondial.

L'inventaire de la biodiversité est évidemment plus difficile à réaliser en milieu polaire. Le Census of Antarctic Marine Life a conduit à mener plusieurs campagnes océanographiques dédiées à l'étude de la biodiversité. Ces campagnes ont permis de collecter des informations inestimables, soit 9 000 espèces dénombrées dont 600 espèces jamais découvertes jusqu'alors. Ces informations ont été compilées sous forme de carte dans l' Atlas biogéographique de l'océan Austral, qui fait figure de référence dans beaucoup de travaux et qui est une collaboration essentiellement franco‑australienne. Cependant, un atlas ne peut pas été édité tous les ans et il faut d'autres moyens de suivi et de compréhension des écosystèmes pour permettre une actualisation plus régulière. Pour cela nous nous appuyons sur les chaînes alimentaires, en nous focalisant sur les espèces situées au sommet de ces chaînes car ces espèces intègrent tous les changements qui peuvent survenir aux échelons inférieurs. Cette étude se focalise sur les espèces qui reviennent à terre pour se reproduire car elles peuvent être dénombrées et suivies tout en dépendant des ressources en mer.

La France est l'une des nations spécialistes du suivi au long terme des espèces, grâce au soutien de l'IPEV. Nous disposons en effet du plus ancien suivi de populations d'un oiseau marin, le manchot empereur, avec des données annuelles depuis 1952. Il n'existe pas d'autres bases de données aussi complètes. Ces informations ont montré les changements drastiques qui affectent ces populations, avec notamment une chute brutale des manchots de la station Dumont d'Urville dans les années 1970. Cette base de données continue et robuste peut être croisée avec les scénarios du GIEC afin de dessiner des simulations et de les extrapoler au reste du continent. Ces travaux nous permettent de déterminer quelles seront les espèces gagnantes et les espèces perdantes du changement climatique.

Les manchots se déplacent sur des milliers de kilomètres, peuvent rester en mer 2 à 3 semaines, plongent très régulièrement à 300‑400 mètres de profondeur : il est donc impossible de les suivre dans leurs déplacements sans les équiper d'appareils enregistreurs miniaturisés pour reconstituer leur activité et fournir des informations sur divers paramètres. Cette approche est celle du bio‑logging. C'est une technique utilisée à Dumont d'Urville depuis des années, elle permet de voir comment les animaux s'adaptent aux changements environnementaux.

Des équipes françaises ont aussi participé à une analyse rétrospective des données de suivi des oiseaux et mammifères marins autour de l'Antarctique. 80 auteurs différents ont participé à cette publication portant sur 17 espèces d'oiseaux marins. La mise en commun de ces données couvre l'ensemble de l'océan Austral. Ce travail permet de dire que, si plusieurs espèces utilisent la même zone, l'aire est riche en proies mais elle est aussi riche en proies variées, car tous ces animaux ont des besoins nutritionnels différents. Ce sont des indicateurs de zones écologiquement intéressantes et donc importantes à protéger.

Le bio‑logging ne fournit pas uniquement des informations sur la localisation des espèces. Nous utilisons en effet aussi les prédateurs comme plates‑formes océanographiques, ces animaux collectant des informations qui vont servir aux autres disciplines de recherche, notamment les disciplines océanographiques physiques. Ainsi, en Nouvelle‑Aquitaine, le système national d'observation NEMO utilise les éléphants de mer austraux. En une saison, un éléphant de mer va effectuer plusieurs allers‑retours et des plongées jusqu'à 2 000 mètres. Leurs balises nous permettent de collecter des informations sur la température, la salinité de l'eau, la concentration en chlorophylle ou l'état des ressources trophiques intermédiaires (poissons, krill, etc.). Ce sont jusqu'à 80 % des profils océanographiques au sud des 60° qui sont échantillonnés par les phoques austraux.

Nous avons récemment mis au point des appareils qui peuvent lire les balises AIS des bateaux, autrement dit leurs systèmes d'identification automatique, ce qui nous permet de connaître l'identité et la position des navires, et ainsi de détecter les pêches illégales dans l'océan Austral. Ces opérations sont menées en collaboration avec les Terres australes et antarctiques françaises.

Quels sont les enjeux à venir ? Quelques‑uns ont déjà été évoqués. Bien entendu, les suivis doivent être poursuivis. Pour cela, il faut une base comme Dumont d'Urville et obtenir le soutien d'un Institut comme l'IPEV afin que des équipes de recherche puissent se rendre sur place. Il va nous falloir comprendre les écosystèmes qui se développent sous la glace dont on ne connaît encore que très peu de choses. Par exemple, nos connaissances sont limitées sur le krill. En combinant toutes les forces françaises en instrumentation (bouées, balises micro‑sonar, etc.) et des campagnes océanographiques, nous pourrons collecter des informations sur ces zones difficiles d'accès.

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