Intervention de Alexandra Lavrillier

Réunion du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Alexandra Lavrillier, directrice adjointe du laboratoire CEARC :

. – Je commencerai mon intervention par les paroles d'un autochtone, éleveur de rennes en Sibérie : « Nous vivons tous sur la même planète, nous respirons tous le même air : tout le monde et pas seulement les scientifiques et les autochtones doivent comprendre le coût environnemental du développement industriel intensif. Les changements climatiques et environnementaux en Arctique concernent tout le monde sur la planète ».

La recherche française en sciences humaines et sociales subarctiques et arctiques a une très longue tradition en anthropologie, en linguistique, en littérature, en géographie humaine, en histoire, en archéologie, et cela depuis le XIXe siècle avec Joseph Martin. Les sciences humaines et sociales couvrent un foisonnement de thèmes de recherche, de l'urbanisation aux langues, en passant par les religions, les sociétés anciennes ou encore les changements culturels, entre autres. Ces recherches en sciences humaines et sociales couvrent tous les terrains de l'Arctique.

L'Arctique compte 4 millions d'habitants à l'intérieur du cercle arctique mais les enjeux arctiques ne s'arrêtent pas au 66e parallèle. Nous pourrions donc aussi considérer les 98 millions d'habitants de l'Arctique et du Subarctique. Sur ces territoires, on ne dénombre pas moins de 110 peuples autochtones et autant de cultures et de langues. Ces peuples ont des économies traditionnelles soutenables dont l'élevage de rennes, de chevaux, de chiens et de bovins. Ces peuples ont su pendant des millénaires conserver ces environnements fragiles intacts. Cependant, depuis l'ère industrielle, il est observé une augmentation forte des industries (gaz, pétrole, or, uranium, etc.) tandis que les changements environnementaux arctiques impactent les sociétés humaines de la planète. Ainsi, les pays européens notamment, par leur activité industrielle, impactent les populations et les environnements arctiques qui, à leur tour, impactent nos climats et environnements.

En 2010, les autochtones sibériens observaient que le climat était de plus en plus chaud tandis qu'en 2018, ils affirment que le climat et l'environnement ont perdu toute logique. Les populations autochtones de l'Arctique, notamment de Sibérie, ont une connaissance très minutieuse de l'environnement et une vision globale et holiste qui se focalise sur les interactions entre les éléments de la nature et les sociétés humaines. Pour eux, l'industrie mondiale génère deux processus : le changement climatique et le développement minier. En ce qui concerne le changement climatique, ils observent moins de mois de gros hiver à ‑45°C, une augmentation des températures annuelles de +6°C, une augmentation de l'humidité à toutes les saisons et une augmentation impressionnante des événements extrêmes (feux, inondations, etc.). Ceci génère une série d'anomalies inédites dans la neige, la glace, la biodiversité, le permafrost, etc. Par ailleurs, le développement minier, qui va crescendo au cours des dernières années, transforme l'Arctique en plusieurs chantiers qui détruisent des milliers d'hectares de biodiversité détruits pour des siècles entiers et génèrent, par conséquent, une pollution de l'eau, de l'air et des sols.

Ces deux processus combinés ont un impact très lourd sur les sociétés locales et autochtones pour l'accès aux pâturages et l'accès à l'eau potable. Ils provoquent aussi la mise en danger des cultures, l'effondrement des infrastructures urbaines, des feux de méthane en toundra, des épidémies, la renaissance de certaines bactéries, l'apparition d'insectes porteurs de virus, la disparition d'espèces, la déforestation, etc.

Toutes ces conséquences ont in fine un impact très négatif sur les climats et les environnements au niveau planétaire. La pollution a des enjeux sociaux, culturels, géopolitiques puisque les polluants arrivent grâce aux courants en Arctique et impactent ainsi les sociétés humaines et leurs cultures. C'est d'ailleurs un thème proposé par la France au 3e Arctic Science Ministerial (ASM3) en plus de l'indice de nordicité.

Depuis 2009, malgré les efforts nationaux, les chercheurs en sciences sociales font toujours face à un manque cruel de moyens. Pour autant, nous constatons un désir de regroupement des sciences sociales et humaines et des sciences environnementales. Plusieurs réseaux arctiques multidisciplinaires existent mais ils sont peu ou pas du tout financés. Plusieurs colloques internationaux sur l'Arctique sont aussi organisés spontanément par des chercheurs. En 2019, 9 colloques ont eu lieu et ont couvert divers thèmes : les savoirs autochtones, la jeunesse, les sciences politiques, la pollution, le permafrost, pour n'en citer que quelques‑uns. Ces colloques attirent des centaines de chercheurs, étudiants et visiteurs, ce qui montre l'intérêt grandissant du public pour l'Arctique. On dénombre par ailleurs 63 projets de collaborations internationales avec la Russie. Côté enseignement, 24 cours, séminaires ou formations dédiés couvrent tous les terrains arctiques. Le nombre de jeunes chercheurs ou futurs chercheurs français augmente mais nous n'avons rien à leur proposer en termes de postes.

Les interactions entre sciences et décideurs politiques sont exigées dans les projets européens et dans les rapports internationaux. Les décideurs devraient à leur tour soutenir la recherche et l'intégrer dans les décisions politiques. Les responsables politiques pourraient renforcer la présence française dans les groupes de travail, ce qui contribuerait à une meilleure intégration de la France sur le plan stratégique. Ils pourraient lancer des appels à projets fléchés sur l'Arctique et le Subarctique et favoriser les échanges internationaux de chercheurs. Ils pourraient aussi aider les autochtones de l'Arctique et du Subarctique à participer à la recherche française, ce qui répondrait aux recommandations strictement formulées par l' Arctic Science Ministerial 2 et 3 et par le Conseil de l'Arctique.

La France devrait se donner les moyens de son excellence. En outre, chercheurs et politiques peuvent travailler ensemble pour une plus grande sensibilisation du public français à adopter, par exemple, de meilleures habitudes de consommation, et ainsi agir contre le changement climatique, en accord avec le rôle leader de la France lors des accords de Paris.

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