Intervention de Brigitte Autran

Réunion du jeudi 3 juin 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Brigitte Autran, professeure émérite d'immunologie, chercheuse au centre de recherche en immunologie sur les maladies infectieuses, coordinatrice du groupe d'étude sur les anticorps monoclonaux à l'ANRS-MIE, membre du comité scientifique vaccin et Covid-19 et du conseil d'orientation de la stratégie vaccinale :

. ‑ Les anticorps monoclonaux antiviraux constituent des traitements qui reposent sur le concept de l'immunothérapie passive, c'est-à-dire l'administration de quantités importantes d'anticorps dirigées contre le virus SARS‑Cov-2. Ces anticorps sont issus de cellules de personnes convalescentes de la maladie Covid‑19, mais ils ont été sélectionnés pour avoir une activité neutralisante extrêmement puissante. Ils vont ainsi bloquer le site de liaison du virus à son récepteur cellulaire pour empêcher le virus de pénétrer dans la cellule. Ce sont les mêmes anticorps que ceux que l'on développe lorsque l'on est vacciné et c'est le même mécanisme qui permet d'empêcher l'infection des cellules. De ce fait, l'utilisation thérapeutique de ces anticorps sera intéressante essentiellement dans le cadre de la phase précoce de la maladie. Je rappelle que la maladie Covid-19 évolue en deux phases : une phase précoce purement virologique et une phase tardive inflammatoire où se développent tous les signes de gravité de la maladie. Nous allons cibler la phrase précoce de virémie active avec les anticorps. Ces derniers ont également ceci d'intéressant que non seulement ils peuvent être utilisés dans une visée thérapeutique, mais aussi l'on peut modifier leur durée d'usage (pour la porter de trois semaines à trois mois) dans une visée prophylactique.

En quoi diffèrent‑ils des sérums de convalescents dont on entend beaucoup parler ? Les anticorps monoclonaux sont des clones issus d'une seule cellule qui a été sélectionnée pour avoir la plus puissante activité neutralisante contre le virus. Ils vont ainsi offrir une concentration d'activité neutralisante qui est très largement supérieure à celle des sérums de convalescents et vont donc assurer une activité thérapeutique nettement plus importante.

Néanmoins, les anticorps monoclonaux présentent aussi un inconvénient théorique : leur clonalité fait que leur spectre est étroit. Ils sont dirigés seulement sur un site très particulier du virus et peuvent donc manquer d'efficacité face à un virus qui aurait muté sur certains points critiques et notamment sur le site de liaison récepteur. Cette différence n'est toutefois que théorique puisque l'on peut multiplier en bithérapie ou en trithérapie plusieurs anticorps monoclonaux et donc constituer, à l'instar de ce qui se pratique dans le traitement du SIDA, un cocktail d'anticorps monoclonaux actif sur une large gamme de virus variants.

Ces anticorps monoclonaux sont différents des anticorps monoclonaux anti-inflammatoires qui ont été utilisés dans la phase inflammatoire de la maladie et qui sont des traitements repositionnés.

Mon propos concerne essentiellement les anticorps monoclonaux thérapeutiques antiviraux qui sont généralement développés par des Biotechsou des laboratoires académiques et repris par des firmes pharmaceutiques. Ils suivent le développement clinique normal d'un médicament, c'est-à-dire qu'ils sont testés en phase préclinique sur des modèles animaux d'infection par la Covid (notamment ceux du hamster syrien et du macaque) afin de tester l'efficacité antivirale, l'efficacité contre les variants, la cinétique et la pénétration des anticorps dans les différents tissus. Dès que ces résultats sont satisfaisants, on procède ensuite aux essais cliniques (essais de phase I, II et III) dans le cadre desquels on va rechercher la dose la plus efficace, la fenêtre thérapeutique la plus efficace. Bien évidemment, on va également s'efforcer dans ce cadre de démontrer l'efficacité clinique et l'efficacité virologique.

Yazdan Yazdanpanah m'a demandé en novembre 2020 de coordonner un groupe d'experts sur ces anticorps monoclonaux thérapeutiques. Ce groupe comprend 12 membres (médecins immunologistes et virologues). Il a auditionné toutes les firmes internationales (au nombre de 15) qui développaient des anticorps monoclonaux thérapeutiques antiviraux déjà arrivés en phase d'essais cliniques. Notre but était de sélectionner des anticorps monoclonaux qui puissent être utilisés dans les plateformes de REACTing (soit Discovery soit Coverage ). Nous avons ainsi analysé tous ces anticorps monoclonaux dont les premières générations étaient dirigées contre la souche Wuhan.

Il s'est révélé assez rapidement que ces anticorps, certes, étaient intéressants sur la souche Wuhan, mais que la plupart d'entre eux étaient peu, voire pas actifs sur les nouveaux variants qui ont émergé à partir de décembre 2020. Nous nous sommes concentrés sur les rares anticorps monoclonaux de cette première génération de patients qui étaient actifs sur tous les variants. Certaines firmes mondiales (Eli Lilly, Regeneron‑Roche, GSK, AstraZeneca) étaient en effet parvenues à développer de tels anticorps monoclonaux à spectre large.

Une deuxième génération d'anticorps monoclonaux au spectre extrêmement large est ensuite apparue, grâce notamment à trois efforts français : le premier mis en œuvre par une firme de biotech franco-américaine issue de l'ESPCI et du MIT ; le deuxième issu de l'Institut Pasteur ; le troisième émanant du consortium européen CARE. Malheureusement, ceux-ci sont apparus trop tardivement pour être utilisables aujourd'hui, car ils ne sont pas encore entrés en phase d'essais cliniques.

Ainsi, nous avons défini des critères de choix des anticorps monoclonaux à faire entrer en phase clinique (dans les essais cliniques français et secondairement dans l'autorisation temporaire d'utilisation ‑ ATU), en privilégiant les anticorps à spectre large et l'utilisation de bithérapies afin de limiter les phénomènes d'obstacles liés aux variants. Nous avons par ailleurs défini des critères d'audition de ces firmes afin d'évaluer au mieux la qualité scientifique et médicale de leurs produits. Nous avons également conseillé l'ANSM lors de la mise en place de l'autorisation temporaire d'utilisation. Celle‑ci a été attribuée en mars 2021 à deux firmes (Roche et Eli Lilly) sur la base de données d'efficacité qui démontraient dans le cadre d'essais cliniques que ces anticorps pouvaient prévenir jusqu'à 85 % l'évolution vers les formes graves de la maladie.

Néanmoins, notre groupe d'experts a recommandé à l'ANSM de restreindre les indications thérapeutiques aux patients présentant le plus de risques d'évoluer vers ces formes graves, ceci afin de concentrer l'efficacité du traitement. De même, nous avons conseillé d'introduire ces médicaments de façon très précoce dans le traitement de la maladie de façon à agir sur la phase virologique. Nous avons également suggéré la mise en oeuvre d'un suivi virologique très attentif de manière à éviter les risques de dissémination des variants au sein de la population française.

Moins d'un millier de patients ont bénéficié de ces ATU depuis le mois de mars 2021 malgré son déploiement durant la troisième phase épidémique. Pourquoi ? Tout d'abord, il est nécessaire d'effectuer un diagnostic extrêmement précoce avec une transmission en temps réel au clinicien, ce qui n'a pas pu être souvent le cas. Ensuite, même si ces anticorps monoclonaux ont été mis à la disposition de toutes les pharmacies hospitalières françaises, ces mêmes hôpitaux ont rencontré des difficultés d'organisation. En outre, nous avons dû faire face à l'émergence de nouveaux variants et, par conséquent, à la nécessité de réaliser des tests PCR de criblage pour détecter ces variants et donc définir les indications. Enfin, nous n'avons pas la maîtrise de ces anticorps monoclonaux, qui sont produits par des firmes étrangères. Or ces firmes ont mis longtemps à publier les résultats de leurs essais cliniques dans des journaux à comité de lecture, ce qui a suscité une certaine méfiance des cliniciens français quant à l'efficacité réelle de ces produits.

Nous avons pu établir un partenariat avec la firme AstraZeneca qui dispose à l'heure actuelle du meilleur cocktail d'anticorps monoclonaux, actif sur tous les variants connus, et actuellement testé par Discovery.

Pour conclure, je souhaite souligner l'importance de l'approche que constituent ces anticorps monoclonaux thérapeutiques. Je suis convaincue qu'il s'agit d'une arme thérapeutique extrêmement importante. Ils sont rapides à développer et nous pouvons les obtenir quelques mois après les premières guérisons de maladies émergentes. Par ailleurs, cette stratégie est applicable à toutes les maladies émergentes infectieuses. Malheureusement, il n'existe pas assez de laboratoires de recherche et de biotechs maîtrisant cette technologie en France.

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