Intervention de Xavier de Lamballerie

Réunion du jeudi 3 juin 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Xavier de Lamballerie :

. ‑ virologue et chercheur, directeur de l'unité des virus émergents à Marseille, coordinateur du groupe d'étude sur la recherche préclinique à l'ANRS‑MIE, membre du Comité scientifique vaccin et Covid-19 et du Conseil d'orientation à la stratégie vaccinale.

Mon intervention se fera autour de deux points. Je décrirai d'abord l'activité du groupe d'étude préclinique que vous avez évoqué. Puis, j'esquisserai une réponse sur l'absence d'antiviral efficace.

Le repositionnement d'une molécule thérapeutique consiste à rechercher des molécules actives dans l'arsenal thérapeutique existant afin de prendre en charge des maladies qui n'ont pas de traitement connu. Il est logique d'y recourir pour faire face à l'émergence d'une nouvelle maladie infectieuse. Les molécules repositionnées présentent des caractéristiques connues et elles peuvent être produites industriellement et utilisées rapidement chez l'homme.

De ce fait, les projets de repositionnement thérapeutique à visée antivirale se sont multipliés dans le monde entier au début de l'année 2020. En France, le revers de la médaille que présentait cette approche a été rapidement identifié. Le nombre de ces projets et leur base scientifique parfois faible pouvaient mettre en danger la stratégie globale de coordination des essais cliniques, en dispersant les efforts et en détournant potentiellement les patients des essais à grande échelle qui sont les plus susceptibles de produire des résultats scientifiques robustes.

En outre, le repositionnement est parfois proposé sur la base de concepts ou d'essais in vitro peu pertinents. Pour cette raison, j'ai proposé de mettre en place au cours de l'été 2020 au sein du groupe REACTing un groupe d'étude préclinique (GEPC) qui tente d'apporter au groupe de priorisation des traitements des données expérimentales objectives sur les molécules candidates au repositionnement. Avec l'aide de Yazdan YAZDANPANAH, ce groupe a pu voir le jour et a réuni différents partenaires institutionnels dans une approche pluridisciplinaire.

Les traitements recherchés pour la Covid‑19 incluent des antiviraux et des molécules non antivirales (anti-inflammatoires et anti-thrombocytes). Le GEPC, comme l'ensemble de la communauté scientifique, ne dispose pas de modèles animaux qui reproduisent les complications inflammatoires et thrombotiques de la maladie. Il s'est donc essentiellement consacré à l'étude des très nombreuses molécules antivirales potentielles.

Les partenaires ont partagé leurs expertises et ont progressivement construit des algorithmes d'évaluation robustes. Les modèles animaux incluaient le modèle du hamster syrien ainsi que des souris transgéniques, des furets et des macaques.

Le GEPC a évalué une trentaine de molécules ou d'associations de molécules proposées pour des essais de repositionnement de phase 3, en essayant de ne pas dupliquer les travaux déjà publiés en la matière. Cet énorme travail a pour l'essentiel abouti à ne pas tester chez l'homme des molécules candidates, ce qui a permis d'éviter des essais cliniques inutiles et coûteux.

Le GEPC n'a toutefois pas pris de décision par lui-même. Il a fourni les données expérimentales au groupe de priorisation des traitements et au conseil scientifique qui ont intégré ces données dans l'argumentaire de leurs décisions.

L'expérience du GEPC a également révélé des déficiences structurelles dans l'organisation, notamment la faiblesse de l'articulation entre la recherche préclinique et clinique. Elle a également mis en évidence la faiblesse des infrastructures et des moyens consacrés à la recherche préclinique ainsi que la difficile mobilisation des infrastructures existantes pour des tâches qui sont scientifiquement peu valorisées par les instances scientifiques. Des efforts ont néanmoins été accomplis pour tenter de limiter ces faiblesses dans le contexte de la crise sanitaire.

Le bilan de la crise est médiocre en termes de production de molécules antivirales. Dans l'ensemble, les molécules repositionnées se sont révélées peu ou pas utiles. La seule molécule antivirale à large spectre qui a montré une activité inhibitrice importante, ainsi que des résultats encourageants sur les modèles animaux est le molnupiravir, qui est engagé dans des essais cliniques. Il est administré par voie orale, ce qui permettrait un usage assez large.

D'autres molécules antivirales telles que le remdésivir et le favipiravir se sont révélées peu actives in vivo. Les autres candidats se situent encore à des stades d'évaluation plus préliminaires.

Dans ce contexte, les anticorps monoclonaux occupent une place particulière puisque leur activité antivirale in vitro et in vivo est démontrée sous condition d'une utilisation précoce. En France, une autorisation temporaire d'utilisation permet leur prescription comme traitement précoce pour les malades les plus à risques de complications. Il est probable qu'elle puisse être étendue à l'avenir aux traitements prophylactiques des patients pour qui la vaccination est inefficace.

Le GEPC a assuré pour les institutions un suivi attentif de ces anticorps en les testant sur les différents variants du virus, ce qui a permis d'établir un tableau comparatif avec des données expérimentales standardisées sur leur efficacité.

La dernière catégorie thérapeutique antivirale encore en cours d'évaluation porte sur les interférons. L'essai Coverage teste notamment l'interféron bêta inhalé contre lequel il n'existe généralement pas d'anticorps chez les patients ambulatoires en début de maladie.

Il me semble que nous devrions avoir pour objectif de fournir aux générations futures une protection accrue contre les infections virales. Pour obtenir des médicaments actifs, il faut disposer de molécules candidates qui doivent être dûment évaluées lors de recherches précliniques et cliniques. Ce processus est long et coûteux. En outre, pour disposer de molécules candidates, il est indispensable de s'appuyer sur des ressources de recherche fondamentale, ce qui ne peut pas être développé en quelques mois. C'est dans une préparation à moyen, et même à long terme, que se trouve la solution pour faire avancer la thérapeutique antivirale.

Le repositionnement des molécules existantes est à mon sens un mirage et ne saurait constituer une démarche de fond, du moins tant que nous n'aurons pas un éventail large de molécules antivirales efficaces. La France ne peut avancer seule en la matière, mais peut contribuer à l'effort mondial et européen grâce à son haut niveau d'expertise. Or, à l'heure actuelle, elle y consacre peu de moyens. Plusieurs chercheurs ont plaidé au printemps 2020, pour la mise en place et le financement d'une filière intégrée pour le développement de molécules antivirales. Cette recommandation reste d'actualité. L'objectif consiste à trouver des traitements pour les principales maladies virales connues ou des molécules à spectre large pour les virus émergents.

Je conclurai en rappelant que l'histoire des maladies infectieuses est faite de rares émergences de pathogènes complètement nouveaux, mais d'incessants épisodes de réémergence de virus apparentés. De ce point de vue, le SARS‑CoV-1 constituait une exception. A l'inverse, l'émergence du SARS‑CoV-2 nous a rappelé cette règle. Chaque virus émergent devrait faire l'objet de thérapies antivirales même si l'épisode initial est contenu. Si tel avait été le cas avec SARS-CoV-1, l'histoire eut été différente.

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