Intervention de Bruno Canard

Réunion du jeudi 3 juin 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bruno Canard, directeur de l'équipe Réplication virale structures mécanismes et Drug-design à l'Université d'Aix‑Marseille, spécialiste des coronavirus :

. ‑ Je souhaite tout d'abord souligner que la recherche fondamentale aurait pu nous apprendre beaucoup plus si elle avait été effectuée en amont. Ainsi, nous aurions pu savoir que certaines molécules telles que l'hydroxychloroquine, le lopinavir, le ritonavir seraient inefficaces sur les protéases de coronavirus, ce qui aurait permis d'éviter le lancement de nombreux essais cliniques.

Je me réjouis de la constitution de l'ANRS‑MIE : à mon sens, celle-ci ne constitue pas une couche supplémentaire dans l'organisation, mais une véritable avancée.

Je souhaite rappeler les difficultés rencontrées en France concernant les antiviraux. Pour qu'un traitement antiviral soit efficace, il faut suivre trois étapes. La première étape consiste en l'établissement d'un diagnostic précoce, rapide, précis et peu coûteux. Tel n'était pas le cas au début de la pandémie. La deuxième étape consiste en l'administration le plus précocement possible de l'antiviral afin qu'il puisse être efficace. Enfin, la troisième étape est celle de la gestion de la post-infection via les anti-inflammatoires et les anticoagulants. Dans cette dernière étape, la France a obtenu des résultats satisfaisants.

Dans ces conditions, pour pouvoir être facilement et largement utilisé, un antiviral doit être une molécule administrée par voie orale puisqu'en stade précoce, il n'est pas possible d'adresser les patients à l'hôpital. Ensuite, l'évaluation de la toxicité doit être particulièrement poussée dans les essais cliniques et permettre d'obtenir des molécules sûres et sans effets secondaires. Enfin, en période de pandémie, le coût de ces traitements doit être adapté à une distribution de masse.

De plus, un antiviral doit s'attaquer à des virus appartenant à une même famille, sans distinction de variants ou de mutants. Ainsi, avec des antiviraux, nous pourrions mettre en oeuvre une politique d'anticipation pour tous les virus étudiés, permettant d'éviter une politique de réaction. Une fois que le virus est apparu, même si la mise au point d'un vaccin représente une prouesse technologique, il n'en demeure pas moins qu'une année s'est avérée nécessaire pour aboutir à ce résultat. Dès lors, une réflexion importante doit être menée sur la prévention des pandémies par les molécules antivirales.

Que s'est-il passé pour les antiviraux en France ? La tradition qui, je l'espère, sera abandonnée, d'orientation des moyens de la recherche se fait en défaveur des thérapies antivirales. Depuis près de 35 ans, n'ont pas été pris en compte - ils ont au contraire décliné - les trois piliers de la recherche de molécules antivirales que sont la chimie médicinale, la biochimie et les mécanismes d'action ainsi que la biologie structurale. Alors que cette dernière constitue une révolution majeure depuis le développement des cryo-microscopes électroniques, la France n'a pas su se structurer dans ce domaine et donner à ses chercheurs les moyens de travailler sur ces sujets. Nous avons ainsi accumulé un retard qui s'est traduit par un décrochage violent sur cet aspect, qui est pourtant devenu stratégique dans le développement d'antiviraux, que cela soit sur le plan de la santé publique ou d'un point de vue économique.

Pour tenter de pallier ces manques, il faudra du temps et de la lucidité. Pour combler notre retard, nous devrons planifier les actions nécessaires sur 5 à 10 ans avant de pouvoir redevenir compétitifs sur la scène internationale. Je pense que, dans ce contexte, l'ANRS‑MIE est une très bonne base. Je préconiserais donc de doubler le budget qui lui est accordé en prévoyant un effort considérable de soutien à la recherche fondamentale pour la chimie médicinale, la biochimie et les mécanismes d'action, et la biologie structurale.

Au regard des piliers de l'ANRS‑MIE, on se rend compte que cette connexion avec le développement thérapeutique reste à construire. Il est également indispensable de fédérer les laboratoires français afin de mettre en place des structures d'essai de ces molécules pour ensuite passer le relais aux autres acteurs qui peuvent conduire des essais cliniques. Ce soutien de l'ANRS‑MIE est important, car il peut permettre d'établir une politique sur le long terme pour pallier les lacunes françaises dans ce domaine.

Nos instances décisionnelles n'ont pas été capables de faire preuve de la réactivité que l'on a pu observer dans des pays autoritaires comme la Chine, notamment pour la mobilisation des budgets. D'autres pays l'ont également fait, peut-être parce que les scientifiques y sont mieux intégrés dans les instances décisionnelles.

La France peut pourtant s'appuyer sur des personnes bien formées et compétentes. Il reste cependant à accomplir cet effort de fédération et d'organisation, en particulier pour la formation sur les nouvelles disciplines telles que le Drug Design. Cette nouvelle science récemment apparue est absolument stratégique pour tous les pays qui entendent mieux prévoir les pandémies et mieux leur résister.

Avec l'aide de l'ANRS‑MIE et des différents acteurs institutionnels (CNRS, ministères, etc.), la communication entre sciences, santé, agriculture, développement, environnement, etc. doit être renforcée tandis que la connexion entre ces différents acteurs doit être développée. Ce n'est pas simplement la recherche médicale qui est ici impliquée. En réalité, c'est tout l'amont qu'il convient de repenser et de soutenir pour pouvoir disposer de ces molécules.

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