Intervention de Ronan le Gleut

Réunion du jeudi 17 juin 2021 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Ronan le Gleut, sénateur :

. ‑ Merci monsieur le président. Dans le cadre d'un programme d'étude portant sur les différents aspects scientifiques et technologiques de la gestion de la crise sanitaire, rapporté par les députés Jean‑François Eliaou et Gérard Leseul, ainsi que les sénatrices Sonia de La Provôté et Florence Lassarade, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) organise aujourd'hui une audition publique sur la levée des brevets relatifs aux vaccins contre la Covid‑19.

En laissant entrevoir une sortie de crise grâce à l'immunité collective, le développement rapide de vaccins contre la Covid‑19 a constitué dès 2020 une source d'espoir pour la population mondiale. Néanmoins, l'émergence de nouveaux variants peut représenter une menace plus importante que la souche originale. Si aujourd'hui plusieurs pays voient reculer la pandémie grâce à des campagnes de vaccination massive, de profondes inégalités d'accès aux vaccins demeurent entre les différents pays du monde. Bien que l'initiative COVAX, portée entre autres par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ait pour but d'assurer un accès équitable à la vaccination contre la Covid‑19 via des dons de doses aux pays les plus défavorisés, celle-ci ne permet pas pour l'instant d'endiguer ces disparités.

En plus des conséquences humanitaires que cette iniquité fait peser sur ces pays, qui manquent par ailleurs d'infrastructures sanitaires, la circulation du virus sur leur sol crée le risque de voir apparaître de nouvelles mutations contre lesquelles les vaccins existants pourraient se révéler moins efficaces. Il apparaît donc primordial de porter à leur maximum les capacités de production de vaccins afin d'atteindre l'immunité collective mondiale le plus rapidement possible.

Dans la perspective d'accélérer la production de vaccins et de permettre ainsi leur accès aux pays les plus pauvres, l'Afrique du Sud et l'Inde ont saisi, en octobre 2020, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'une demande de dérogation à certaines dispositions de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) concernant la Covid‑19.

Cette demande a été soutenue par le président des États‑Unis, Joe Biden, le 5 mai dernier. Elle a également été examinée lors d'un conseil spécifique de l'OMC sur la propriété intellectuelle les 8 et 9 juin 2021. Les membres de l'OMC se sont alors accordés sur la volonté d'aboutir à un accès équitable aux technologies contre la pandémie aussi vite que possible. Les négociations se poursuivent afin d'évaluer les possibilités de compromis, dans le but de parvenir à un texte avant le Conseil général de l'OMC du 21 juillet. Le Parlement européen, quant à lui, s'est prononcé le 10 juin dernier pour une levée temporaire des brevets sur les vaccins. Néanmoins, l'impact d'une levée des brevets sur la production mondiale de vaccins est aujourd'hui controversé, ceux-ci étant loin de constituer l'unique barrière à une plus grande production.

Fabriquer un vaccin nécessite un savoir‑faire spécifique ainsi que des équipements de pointe. Or, s'il est possible de contraindre à la cessation des brevets, il n'existe aucun moyen d'astreindre les laboratoires qui en sont détenteurs à procéder à un transfert de technologie. Par ailleurs, la fabrication des vaccins s'inscrit dans une chaîne logistique complexe. Ainsi, les matières premières nécessaires pourraient elles aussi s'avérer limitantes, tout comme l'enflaconnage final.

La levée des brevets sur les vaccins contre la Covid-19 pourrait aussi avoir des répercussions plus larges sur l'innovation dans le domaine médical. Outre les coûts de production nécessaires, l'industrie pharmaceutique doit faire face à d'importants coûts de recherche, développement et certification pour ses produits. Les brevets assurent un monopole temporaire permettant de compenser l'investissement effectué. Certains considèrent donc que lever la propriété intellectuelle reviendrait à tuer l'innovation.

Cependant, dans le cadre de la Covid‑19, une part non négligeable de la recherche a été financée par des sources gouvernementales et des organisations à but non lucratif. De plus, l'importante quantité de doses nécessaires pour une couverture vaccinale mondiale promet une perspective de larges gains.

Afin d'accroître la production de vaccins, un compromis pourrait-il consister en l'encouragement de partenariats commerciaux entre laboratoires et centres de production, permettant un réel transfert de technologie tout en garantissant un contrôle et une juste rémunération de l'innovation ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous organisons ce matin une table ronde, avec des experts qui exposeront leurs points de vue, par nature différents, ce qui est véritablement l'objectif de cette audition. Nous entendrons :

- M. Antony Taubman, directeur de la division de la propriété intellectuelle des marchés publics et de la concurrence de l'OMC, qui nous présentera le rôle de l'organisation dans les négociations, et l'état des discussions ;

- M. Hiddo Houben, chef de mission adjoint à la représentation de l'Union européenne auprès de l'OMC ;

- M. Pierre Cunéo, responsable de la task force vaccins, rattaché à la ministre déléguée à l'Industrie, qui présentera la position du gouvernement français ;

- M. Mathieu Guerriaud, maître de conférences en droit pharmaceutique et de la santé, pharmacovigilance et iatrogénie à l'Université de Bourgogne Franche‑Comté, qui apportera son point de vue de juriste sur les aspects légaux liés à cette question ;

- M. Jean-Christophe Rolland, président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI), qui présentera le point de vue des professionnels du secteur de la propriété intellectuelle ;

- M. Philippe Lamoureux, directeur général du syndicat Les Entreprises du médicament (LEEM), qui présentera le point de vue de l'industrie pharmaceutique ;

- M. Richard Benarous, ancien directeur du département maladies infectieuses de l'Institut Cochin, à l'initiative d'une pétition en faveur de la levée des brevets, qui pourra nous apporter son point de vue de médecin ;

- Mme Samira Guennif, maître de conférences en économie industrielle à l'Université Paris 13, qui reviendra sur les aspects économiques au niveau mondial liés à cette pandémie.

Puis les rapporteurs de l'OPECST vous poseront des questions afin que vous puissiez préciser vos positions. L'ensemble des membres de l'Office pourra évidemment vous interroger durant ce moment de questions-réponses.

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