. ‑ Je vous remercie de me donner l'opportunité de contribuer à l'audition d'aujourd'hui. Je m'excuse de devoir m'adresser à vous en anglais.
La tâche qui m'est impartie est de vous parler des structures légales de la discussion. C'est technique, mais c'est important, étant donné la confusion qui existe sur la nature réelle de ce qui fait l'objet du débat.
L'OMC compte 164 membres. Les pays les moins développés n'ont pour l'instant pas d'obligations en termes de propriété intellectuelle, ce qui est important pour nos discussions de ce jour. Nous nous attendons à ce que cette situation perdure encore quelque temps. La structure juridique de l'OMC est également importante pour la compréhension de l'accord sur les ADPIC. Ce n'est pas un accord autonome, il fait partie d'un package juridique, celui de l'accord de Marrakech qui institue l'OMC.
C'est un point essentiel dans le débat actuel. Nous parlons de l'obligation dans le cadre de l'accord sur les ADPIC, cependant un cadre plus large est défini par l'accord de Marrakech. L'accord sur les ADPIC détermine des obligations en termes de propriété intellectuelle qui s'appliquent à tous les membres et fixe les objectifs en termes de propriété intellectuelle, comme décrits dans l'article 7. En particulier, la propriété intellectuelle n'est pas protégée en soi et pour soi, mais pour le bien-être social et économique de la société. Donc, dans l'accord sur les ADPIC, il est bien compris que les droits de propriété intellectuelle sont exclusifs, mais non absolus.
L'accord sur les ADPIC couvre un large éventail de droits de propriété intellectuelle et va au-delà des brevets. Il établit donc des normes que les membres de l'OMC doivent respecter, ainsi que des mécanismes de mise en application.
Il y a 20 ans, l'épidémie de VIH avait suscité un certain nombre de préoccupations. C'est alors qu'était intervenue la déclaration sur les accords ADPIC et sur la santé publique, le 14 novembre 2001, ce qui fut vraiment un tournant.
C'était une déclaration de tous les membres de l'OMC affirmant clairement que les droits de propriété intellectuelle, et les brevets en particulier, ne sont pas absolus et que les membres, au sein de leur système juridique, ont beaucoup de latitude et de flexibilités pour prendre les mesures nécessaires à la protection de l'intérêt public et de la santé publique notamment.
Il y est aussi clairement affirmé que les membres de l'OMC peuvent accorder des licences d'office et juger du fondement de ces licences. Il ne fait donc aucun doute qu'il est tout à fait légitime de contourner des brevets pour l'intérêt public, sur la base d'arguments fondés.
En octobre dernier, une demande de dérogation a été présentée par l'Inde et l'Afrique du Sud, rejointes ensuite par d'autres pays. Leur proposition n'est pas de lever les droits de propriété intellectuelle, cela se jouant à un niveau national, mais de lever les obligations des membres en vertu de l'accord gouvernant l'OMC, et en particulier l'accord sur les ADPIC. Il ne s'agit donc pas d'une levée des brevets ou d'une suspension des droits des brevets, mais de la suspension temporaire des obligations qu'ont les membres de l'OMC au sujet de la propriété intellectuelle.
Je vais vous présenter les points clés qui figurent dans cette proposition. Celle-ci couvre trois domaines de propriété intellectuelle, en plus des brevets :
- la protection des informations non divulguées, ce qui inclut des données d'essais cliniques. C'est important pour la réglementation et la distribution de médicaments ;
- les droits d'auteur et droits connexes ;
- les dessins et modèles industriels.
La dérogation demandée s'applique aussi aux moyens, mis à la disposition des membres de l'OMC, pour faire respecter ces droits de propriété intellectuelle.
La demande couvre de nombreux produits et technologies de santé liés à la prévention, au traitement ou à l'endiguement de la Covid-19, au-delà des vaccins, notamment : les outils de diagnostic, les traitements, les vaccins, et les équipements de protection individuelle. Cela recouvre donc un large éventail de produits et de technologies concourant à la réponse à la pandémie.
Ceci est la proposition de dérogation. Il faut noter que le français est plus précis dans sa terminologie. Dans le monde anglophone, le mot anglais utilisé sème la confusion : waiver. Il ne s'agit donc pas d'une levée des brevets, mais d'une dérogation aux obligations en vertu de l'accord sur les ADPIC, ce qui est distinct des licences d'office, par exemple, ou de la levée des obligations au niveau national.
Il est important de garder cela à l'esprit, car cela permettrait d'élargir l'étendue des options juridiques ouvertes dans le droit national pour les membres de l'OMC mais n'aurait pas d'effet immédiat sur les lois des membres de l'OMC. Ce seraient les membres de l'OMC qui auraient à décider de ce qu'ils souhaitent faire de cette liberté accrue qui pourrait leur être accordée, en fonction du droit national.
L'Union européenne a précisé qu'elle allait faire une contre-proposition la semaine prochaine. Par le passé, elle a déjà présenté une proposition dans le but de clarifier et élargir la compréhension de ce qui est possible dans le cadre de l'accord existant sur les ADPIC.
L'idée est de travailler à une méthodologie et à une approche, non seulement à partir de la demande de dérogation présentée par certains pays mais aussi au regard de la proposition de l'Union européenne et de toute autre proposition qui viendrait s'y ajouter. Le Conseil général de l'OMC aura le pouvoir de statuer lors de sa réunion des 27 et 28 juillet. Ce serait la date butoir idéale. Beaucoup de travail reste cependant à accomplir à cette fin.
L'importance de ce sujet et le fait qu'il est essentiel que l'OMC puisse agir collectivement font consensus au sein de l'OMC. Il n'existe cependant encore aucun consensus sur la manière d'accomplir cela, mais la dynamique est tout à fait positive.