. ‑ Je vais essayer de continuer dans le fil du débat commencé par M. Antony Taubman, et de le faire en français. Je vous prie par avance de m'excuser si jamais il manquait un mot ou une phrase, le français étant ma troisième langue.
L'Europe, depuis des décennies, a toujours été un grand producteur de vaccins, dans tous les domaines de la médecine. Nous avons donc autant un intérêt de voir les marchés à travers le monde ouverts pour des raisons industrielles et humanitaires, qu'un intérêt de protection des droits de propriété intellectuelle qui permette le développement, par le secteur privé, de ces vaccins. Durant cette pandémie, l'Europe a été le premier exportateur de vaccins. Nous avons exporté la moitié de la production européenne vers des pays tiers. Nous avons donc pris en charge, d'une certaine manière, la responsabilité d'offrir des vaccins au reste du monde, même lorsque vacciner nos propres populations représentait encore un défi.
Dans les 18 prochains mois, le défi est de vacciner 80 % de la population mondiale. Pour la plupart des personnes, deux doses de vaccin sont nécessaires. Il s'agit donc de milliards de doses de vaccin qui ne sont pas encore en production aujourd'hui. La production devra être considérablement augmentée dans les prochains mois. Toute la question de politique commerciale et de politique industrielle est de voir quelle approche conviendra le mieux pour permettre cette production accrue.
Dans les propositions que nous avons soumises à l'OMC, nous avons essayé de prévoir trois pistes de travail. Une seule s'imbrique dans l'accord Trade‑Related Aspects of Intellectual Property Rights (TRIPS). Je vais commencer par présenter les deux autres pour finir par l'approche liée à la propriété intellectuelle.
La première piste est de faire en sorte que toutes les restrictions à l'exportation ayant surgi à travers le monde, y compris pour les intrants (les ingrédients des vaccins), soient notifiées plus clairement à l'OMC et de permettre à des pays d'entrer en consultation si des ingrédients de vaccin ne leur sont pas livrés à cause de restrictions imposées par d'autres pays.
Ces derniers mois, l'Inde, également grand producteur de vaccins, a beaucoup souffert du fait de restrictions imposées sur des intrants par les États-Unis. Les restrictions à l'exportation sont donc une piste de travail. C'est un sujet de politique commerciale traditionnel, mais il est très important si nous voulons augmenter la production globale et mondiale de vaccins.
La deuxième piste est le travail entre les gouvernements et le secteur privé pour augmenter la production, y compris dans les pays en voie de développement. C'est ce que la directrice générale de l'OMC appelle the third way : ne pas seulement regarder le droit de propriété intellectuelle, mais aussi entrer dans un débat qui permettra à court terme d'avoir une vue d'ensemble du nombre de vaccins devant être produits, et où ils le seront, par les différents producteurs à travers le monde dans les prochains mois pour que nous parvenions à cette production nécessaire de 11 milliards de vaccins par an afin de pouvoir vacciner la population mondiale.
Enfin, concernant la piste, ou le chantier, de travail sur la propriété intellectuelle, nous proposons une approche différente de celle de l'Inde et de l'Afrique du Sud. Comme l'a dit Antony Taubman, la proposition soumise par l'Inde et l'Afrique du Sud est très large, tant dans sa couverture que dans sa durée. Elle inclut par exemple le copyright qui, selon nous, n'a rien à voir avec la production de vaccins. Pour la durée, c'est une dérogation qui est préconisée, mais sans limite de temps. À notre avis, ce n'est pas la meilleure approche pour répondre aux défis de production de manière ciblée.
Pour nous, la principale question est de savoir pourquoi la production est insuffisante à l'heure actuelle et quelle est la meilleure façon d'encourager le développement de cette capacité de production. Il faut un mélange entre le third way et la reconnaissance que des pays souverains ont le droit de déroger au système de droits de propriété intellectuelle dans ce contexte de pandémie.
Mais nous préférons et proposons de le faire d'une manière ciblée en flexibilisant les paramètres de l'accord sur les ADPIC pendant la pandémie dans le seul domaine du compulsory license, c'est-à-dire les licences obligatoires. Nous voulons faciliter les conditions d'octroi de ces licences obligatoires pour des pays qui voudraient répondre à leur défi national par cette voie. A court terme, il est certainement aussi important d'avancer avec l'engagement des acteurs privés, pour autant qu'ils puissent le faire.