Intervention de Mathieu Guerriaud

Réunion du jeudi 17 juin 2021 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mathieu Guerriaud, maître de conférences en droit pharmaceutique et de la santé, pharmacovigilance et iatrogénie à l'Université de Bourgogne Franche-Comté :

. ‑ Je vais vous présenter un diaporama intitulé « La “levée des obligations” et des licences obligatoires, est-ce vraiment une solution ? »

Quels sont les moyens à notre disposition en matière de propriété intellectuelle pour sauvegarder la santé publique ? Ils sont essentiellement au nombre de quatre. Ils n'ont pas les mêmes impacts sur le brevet et sur la résolution du problème.

Nous comptons évidemment les licences obligatoires et les licences d'office. Là encore, le français détaille plus que l'anglais ces deux licences : la licence obligatoire, en droit français, concerne l'exportation ; et la licence d'office, le marché intérieur.

De façon plus attentatoire à la propriété industrielle, la réquisition, en droit français, a été permise par la loi d'urgence du 23 mars 2020. Celle-ci a un caractère temporaire. Elle va au-delà du brevet, puisqu'il est possible de réquisitionner des entreprises industrielles privées avec la mise à disposition du personnel.

L'expropriation de brevets peut être mise en œuvre en France pour des besoins de défense nationale, sachant que cette dernière notion va bien au-delà des matériels de guerre.

Le dernier levier est la nationalisation.

Les licences obligatoires posent le principal problème actuellement s'agissant des accords ADPIC. Je vais vous présenter deux exemples frappants d'utilisation de ces licences obligatoires par le passé.

La première utilisation a eu lieu dans les années 2000, dans le contexte très particulier de la propagation du VIH : le sida explose et les trithérapies coûtent très cher. Après la déclaration de Doha, le premier pays à utiliser la licence obligatoire a été la Malaisie qui, en 2003, a demandé à l'Inde, et au laboratoire Cipla, de produire des antirétroviraux. Le laboratoire a produit ces antirétroviraux, qui ont ensuite été expédiés vers la Malaisie, à un coût très inférieur à ce que la Malaisie aurait dû payer si elle avait acheté le médicament princeps.

Le deuxième exemple, toujours dans le même contexte, est celui du Brésil. Il est un peu différent. Le Brésil a d'abord fait appel, de 2007 à 2009, à l'Inde pour produire un antirétroviral, l'Efavirenz – aujourd'hui générique du Sustiva, ce qui n'était pas le cas à l'époque – via le laboratoire Aurobindo. Le Brésil avait tenté, en vain, de négocier une baisse de prix avec le propriétaire du médicament. À partir de 2009, le Brésil n'a plus besoin de l'Inde et va produire lui-même ce médicament après avoir fait de la rétro-ingénierie, c'est-à-dire après avoir analysé la façon dont le médicament était fabriqué.

Ce sont deux exemples parmi bien d'autres qui ont eu des effets remarquables sur les prix des médicaments, facilitant ainsi l'accès des populations malades à ces médicaments. Par la suite, beaucoup d'États n'ont même pas eu besoin d'utiliser la licence obligatoire ou licence d'office. Ils ont simplement dit qu'ils souhaitaient l'utiliser pour que les laboratoires fassent des concessions et baissent d'eux-mêmes les prix.

La licence obligatoire est donc très efficace pour faire baisser les prix. Malheureusement, cette licence obligatoire ou la levée des obligations n'auront pas d'utilité dans la production de vaccins, du moins à court terme. Pourquoi ?

Le brevet n'est pas une solution clé en main. En effet, ce n'est pas un savoir-faire. Il ne contient que très peu d'informations techniques. Il ne contient pas le mode d'emploi de la fabrication d'un médicament. Or, nous l'avons bien compris grâce aux intervenants précédents, un médicament n'est pas simplement une substance active. C'est la substance active, les excipients et le conditionnement, éléments qu'il faut également produire. Un médicament est un produit complexe de par la production des ingrédients, des substances actives, des excipients, la formulation et enfin l'enflaconnage. Et l'on ne trouve pas ces informations dans le brevet. Ces informations relèvent du savoir-faire, qui est propre à l'entreprise titulaire du ou des brevets, parfois à ses façonniers, soit ses sous-traitants.

Un brevet n'est donc pas un kit pour fabriquer un médicament. Cependant, un savoir-faire est transférable via le transfert de technologie, qui est donc le mot-clé. Le seul problème est que ce transfert de technologie, vous l'avez dit en introduction, monsieur le président, ne peut être que volontaire. Il n'est pas possible de forcer à faire du transfert de technologie. De plus, nous nous heurterions au secret des affaires. Le titulaire du brevet doit donc accepter un tel transfert.

C'est là que réside la nécessité de travailler avec les industriels, et non pas contre eux. Il faut imaginer des mécanismes d'incitation ou les réinventer pour favoriser le transfert de technologie sur le long terme. Prenons l'exemple des vaccins à ARN, aujourd'hui majoritairement distribués en France. Un transfert de technologie est fondamental, car on ne produit pas de l'ARN messager comme on le veut.

Il est assez facile d'en produire dans un laboratoire de recherche comme dans une université, mais la production à l'échelle industrielle est beaucoup plus complexe. C'est ce que l'on appelle le scale‑up. D'ailleurs, les industriels ont eu énormément de mal à trouver des sous‑traitants capables de fabriquer en grande quantité l'ARN messager. Ils en ont trouvé certains comme Lonza mais il en existe très peu.

Il va donc falloir travailler sur des formes de coopération et passer par la licence volontaire, bien plus que par la licence obligatoire, quand cela est possible. Demeure tout de même un écueil à ce transfert de technologie : il prend des années. En effet, si nous voulons transférer ces technologies dans les pays du Sud, il faudra y construire une usine ou en reconvertir une. Celle-ci devra être qualifiée d'un point de vue réglementaire, d'un point de vue normatif. Il faudra qualifier ou peut-être requalifier le matériel pour répondre aux exigences minimales de production des médicaments. Dans le cas de la production de vaccins, c'est encore plus contraignant puisque c'est un médicament injectable. Cela requiert un traitement drastique de l'eau pour obtenir de l'eau pour préparation injectable (PPI) et un traitement de l'air à toute épreuve. Or, dans les pays du Sud, les conditions climatiques n'aident pas, les températures étant supérieures à 35 °C et l'humidité relative de l'air supérieure à 80 %, rendant le traitement de l'air très complexe. En France, assurer ce traitement de l'air est déjà compliqué, des pannes surviennent souvent. Dans les pays du Sud, ce sera encore plus difficile.

L'industrie du médicament est sans doute, avec l'aéronautique, la plus normée de par le monde, et ce dans le seul but d'assurer la sécurité des patients. Sur ce point, la levée des obligations, la levée des brevets sans transfert de technologie ne sert à rien. Il faut des licences volontaires, de la coopération et de l'incitation.

Un autre point très scientifique posera un énorme problème : un vaccin n'est pas une simple molécule chimique. C'est un médicament à part entière, mais aussi une substance biologique et immunologique. Ceci entraîne des conséquences en cascade. Il existe une importante différence entre un médicament chimique, donc de synthèse, et un médicament biologique. En effet, un médicament chimique est chimiquement défini, très stable et très petit. Par exemple, l'oxycodone est une toute petite molécule, qui présente l'énorme avantage d'une très grande reproductibilité au niveau industriel, avec de grandes facilités de contrôle.

En revanche, un médicament biologique, de par sa nature, est variable et infiniment plus grand. L'insuline, par exemple, tout en étant plus grande qu'une molécule chimique, est une petite molécule biologique. Si j'avais voulu vous montrer un virus comme celui contenu dans le vaccin AstraZeneca, des dizaines de diapositives auraient été nécessaires pour vous en montrer toute la structure. C'est donc impossible. Le problème du médicament biologique est sa très grande variabilité et le risque de contamination.

Certes, nous savons faire des biosimilaires, c'est-à-dire des copies de médicaments biologiques. Cependant, aujourd'hui, nous ne savons faire que des biosimilaires de petites molécules biologiques. Nous n'avons jamais, à ce jour, copié de vaccins. En effet, les éléments d'un vaccin sont infiniment plus grands et plus complexes. Au niveau de sa réglementation, le vaccin étant un médicament biologique et immunologique, il existe des procédures particulières de culture, de purification et d'analyse. En somme, copier du chimique avec une licence d'office obligatoire est possible ; copier du biologique est quasiment une mission impossible.

En conclusion, la licence d'office obligatoire ou les levées d'obligations ont une fin intéressante, à savoir faire chuter les prix. Ce sont donc des armes de dissuasion. Il suffit de brandir la menace pour faire baisser les prix. En revanche, ce ne sont pas des armes tactiques. Elles ne pourront pas répondre au problème de pénurie et de manque de production. Elles ont permis par le passé de copier du chimique, car c'était facile. Copier du biologique sera beaucoup plus complexe, en tout cas en l'état, voire impossible.

Le brevet n'est donc pas une solution clé en main. Les licences ne prennent pas en compte le savoir-faire. Il ne faut pas négliger les problématiques de scale-up, soit de passage à l'échelle industrielle, les problématiques de terrain, et surtout la réglementation du médicament et l'ampleur normative autour de cette réglementation.

Il faudra privilégier la négociation plutôt que le rapport de force, ce qui évitera de contribuer à une perte de confiance des industriels dans le marché. Cette perte de confiance engendrerait, lors d'une prochaine pandémie, un risque de non-investissement et de non-innovation.

Il faudrait donc davantage recourir aux licences volontaires plutôt qu'aux licences obligatoires, inciter à la coopération avec les industriels et ne pas travailler contre eux, promouvoir rapidement le transfert de technologie sur le long terme, ce qui laisse le temps d'exploiter le brevet et d'avoir un retour sur investissement. Il faudra par ailleurs imaginer des incitations. Pour aller plus loin, je vous présente quelques publications dans mon document écrit.

Je vous remercie pour votre attention et je remercie également le professeur Fortier qui m'a beaucoup aidé pour cette présentation.

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