Intervention de Jean-Christophe Rolland

Réunion du jeudi 17 juin 2021 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Rolland, président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) :

. Vous avez bien voulu rappeler le rôle de la CNCPI et je vous en remercie. En tant que conseils libéraux, nous avons la charge de représenter aussi bien parmi nos clients des laboratoires développant des médicaments et des vaccins princeps que des laboratoires génériqueurs. Nous avons ainsi l'occasion d'être au cœur des stratégies d'innovation et des projets de transfert de technologie dans ce domaine du médicament et des vaccins en particulier.

Je vais modestement rappeler les principes à la base de la propriété intellectuelle. Sur de nombreux points, je rejoins le Dr Guerriaud. L'objectif d'atteindre une immunité collective mondiale contre la Covid-19 ne fait pas débat. Aujourd'hui, nous comptons quatre options pour augmenter la distribution des vaccins dont celle qui a pu être qualifiée de « troisième voie », essentiellement une coopération internationale qui n'est pas basée sur des questions de propriété intellectuelle. En ce qui concerne la propriété intellectuelle, les trois voies suivantes sont :

- les licences volontaires, donc la conclusion d'accords de licences de brevets et de transfert de technologie sur la base du volontariat entre les laboratoires ayant mis au point les vaccins et les laboratoires qui sont candidats à leur exploitation ;

- les licences d'office, c'est-à-dire le même type d'accord mais de façon contrainte, la contrainte étant organisée par la puissance publique ;

- la levée des brevets. Il faudrait probablement être plus large, comme nous l'avons entendu, puisqu'il s'agit d'une levée de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle. Son objet principal serait de rendre inopposables les brevets couvrant les vaccins contre la Covid-19, voire d'autres produits.

La différence entre les licences d'office et la levée des brevets est l'aspect financier. Dans la dernière option, il n'existe plus de notion de contrepartie financière, en tout cas selon l'acception que nous en avons aujourd'hui.

Pour nous, parmi ces quatre options, seules la « troisième voie » ou la concession de licences volontaires nous semblent des solutions pragmatiques et réalistes qui permettraient d'atteindre rapidement l'objectif visé.

Quels sont les freins principaux actuellement ? Ce sont les problèmes d'approvisionnement en matières premières et les délais d'obtention des autorisations réglementaires et de distribution. Actuellement, le problème ne réside donc pas dans les brevets.

Pourtant, la propriété intellectuelle joue un rôle moteur dans l'innovation. Les premiers vaccins contre la Covid-19 ont été développés en moins d'un an, ce qui est exceptionnel dans l'histoire des pandémies mondiales. Pour faire face aux enjeux de la pandémie, il faut promouvoir ces innovations de façon à assurer la lutte contre les potentiels variants, la mise en place d'une vaccination périodique – c'est en tout cas ce qui se dessine – et la lutte contre les prochains types de virus.

La propriété intellectuelle joue un rôle fondamental dans le financement de cette innovation, en sécurisant les marges des entreprises qui ont financé l'innovation pour qu'elles puissent amortir leurs frais de recherche et développement ; une autre voie pour elles est de valoriser cette innovation par des transferts de technologie. Le financement public par des aides d'État peut certes contribuer au financement de l'innovation, notamment en donnant une impulsion, mais ces aides sont insuffisantes. Sans propriété intellectuelle, pas d'innovation.

Pour en revenir à la notion d'intrants, si la fabrication des vaccins contre la Covid-19 devait se concentrer sur les trois ou quatre formulations actuellement utilisées, cela augmenterait nécessairement la pression sur les matières premières. À l'inverse, continuer à favoriser l'innovation augmentera les chances de découvrir de nouveaux vaccins mettant en avant – en tout cas, nous pouvons l'espérer – la possibilité de faire appel à de nouvelles matières premières.

La propriété intellectuelle est aussi un moteur de transfert de technologie. Pour produire et commercialiser les nouveaux vaccins contre la Covid-19, il faut l'accès aux brevets correspondants et la communication du savoir-faire associé. En disposant d'une licence de brevets, les laboratoires candidats à la fabrication et à la commercialisation des vaccins pourront exercer leur activité avec l'accord du titulaire des droits.

Avoir accès aux brevets ne suffit pas, surtout pour les technologies les plus innovantes du type ARN messager. Le Dr Guerriaud l'ayant bien expliqué lors de sa présentation, je ne vais pas y revenir en détail. Cependant, il est capital que le transfert de savoir-faire puisse avoir lieu, et ceci de manière complète. Pourquoi ? Parce qu'il va falloir produire des vaccins en très grande quantité, et ce avec un niveau de qualité de type zéro défaut. Cette exigence est en effet indispensable pour ne pas risquer une défiance vis-à-vis du système des vaccins, qui ne manquerait pas de s'installer en cas de mise à disposition d'un vaccin inefficace, voire dangereux. La balance bénéfice-risque des fabrications actuelles doit impérativement être conservée pour ne pas remettre en cause la volonté des populations de se faire vacciner. Pour garder un tel niveau de qualité sur des fabrications à très haut volume, il faut un transfert de technologie complet entre les laboratoires ayant mis au point les vaccins et les laboratoires candidats à leur exploitation.

En matière de transfert de savoir-faire, deux difficultés surgissent. Contrairement au contenu d'un brevet, le savoir-faire est secret. Il faut organiser sa communication. Une fois divulgué, le savoir-faire n'est plus protégé par son caractère secret. Un transfert de technologie repose donc sur un principe de confiance réciproque et une contrepartie adaptée. C'est bien l'objet de la propriété intellectuelle que d'instaurer cette confiance et d'organiser les contreparties.

Sans liberté de conclure des accords, nous pouvons nous interroger sur ce qui poussera les laboratoires ayant mis au point les vaccins à effectuer un transfert de technologie efficace. En effet, comment obliger quelqu'un à révéler une information secrète s'il n'a pas confiance et n'y trouve pas son intérêt ? Autrement dit, nous pensons que la licence volontaire semble plus adaptée à la situation que des dispositifs contraignants.

Plusieurs questions subsistent. L'une d'elles consiste à savoir comment épauler ces acteurs volontaires. De nombreuses solutions sont possibles. La puissance publique peut d'ailleurs jouer son rôle. À titre d'exemple, nous pensons qu'à l'initiative de la France, une mission pourrait être confiée à un organisme international, tel que l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), pour proposer des lignes directrices adaptées aux principales situations, ceci en coopération avec l'OMS.

Un organe de médiation dédié pourrait en outre être constitué pour favoriser la conclusion rapide de tels accords et harmoniser les négociations. Il pourrait en particulier assurer la transparence des accords, permettant à l'ensemble des parties et aux tiers de vérifier que ces accords sont conclus de manière équitable.

En conclusion, nous pensons que le système des brevets n'est pas un frein à la vaccination des populations. Au contraire, il est un des maillons essentiels de la chaîne qui relie la recherche fondamentale, le développement et la mise au point de vaccins efficaces.

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