. ‑ Merci. Il nous semblait très important de donner la parole au LEEM. Vous avez notamment rappelé l'exploit de la création de vaccins en un temps record, le danger de l'émergence de nouveaux variants et donc la nécessité de poursuivre l'effort d'innovation des laboratoires. Je vous cite : « Nous tuerions dans l'œuf de nombreuses innovations prometteuses », en enfreignant cette innovation. En effet, les variants et les risques de pandémie future nous appellent à rester vigilants.
Dr Richard Benarous, ancien directeur du département maladies infectieuses de l'Institut Cochin, à l'initiative de la pétition « La séquence du virus responsable de la pandémie Covid-19 est un bien public mondial, les vaccins qui en sont issus doivent l'être aussi ! ». Cette pandémie, aux conséquences absolument catastrophiques, avait pourtant été annoncée dès 2015 par les chercheurs spécialisés sur les coronavirus, en particulier par mon ami Bruno Canard, qui dirige un laboratoire sur les coronavirus à Marseille. Malgré ces avertissements, l'impréparation au niveau mondial a été totale. Il faut donc faire attention à ne pas reproduire de telles erreurs à l'avenir.
Nous nous félicitons de disposer de vaccins aussi performants aussi rapidement, ceci grâce à 20 années de recherche publique et de recherche industrielle.
Les enjeux actuels sont de deux ordres : d'une part vacciner massivement dans le monde entier, d'autre part vacciner le plus rapidement possible. Nous n'avons pas des années devant nous. M. Guerriaud rappelait qu'en 2003 et en 2009, la Malaisie et le Brésil avaient pu obtenir des antirétroviraux contre le sida. Là, nous n'avons pas trois ans ou dix ans devant nous. Nous sommes engagés dans une course de vitesse contre un virus qui a toujours un coup d'avance et un potentiel de mutation extraordinaire qu'il est loin d'avoir épuisé. Il faut gagner cette course.
Le problème auquel nous faisons face est la pénurie de vaccins. Comment la surmonter ? Une centaine de gouvernements, la société civile et des prix Nobel ont demandé que soit levée la propriété intellectuelle sur les brevets relatifs aux vaccins en question.
Je demande à M. Lamoureux, qui a été un peu excessif, de retirer son allégation selon laquelle tous ceux qui demandent la levée des brevets sont des complotistes. Aucun de ceux qui la demandent n'est complotiste. La pénurie est avérée, il existe une énorme disparité dans les pays en développement, ou pauvres, où la couverture vaccinale est très faible, voire insignifiante. Si nous continuons ainsi, nous ne pourrons pas endiguer la pandémie mondiale.
M. Lamoureux parlait du fait que les sociétés pharmaceutiques actuelles pouvaient produire jusqu'à 10 milliards de vaccins d'ici à fin 2021. Je vous recommande la lecture de Nature, la plus grande revue scientifique, qui a précisément dit dans son dernier volume que le Fonds monétaire international (FMI) considère que, malgré tous les accords dont les précédents orateurs ont parlé, l'industrie ne pourra produire que 6 milliards de doses de vaccins d'ici à fin 2021. C'est vraiment un maximum. Nous serons donc toujours en situation de pénurie par rapport aux besoins, d'ailleurs évoqués par M. Houben, qui sont effectivement de 11 milliards de doses par an.
Malgré les accords qui ont eu lieu entre les différentes sociétés, nous n'arriverons pas à régler cette pénurie. La seule solution réelle est de mobiliser l'ensemble de l'industrie pharmaceutique mondiale en capacité de produire ces vaccins, sous l'égide de l'OMS, en concertation avec l'ensemble des acteurs. Il en existe au Sud et au Nord.
Nous devrions nous inspirer de ce qui a été fait pour le climat avec le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et les Conférences des parties (COP). Il est vraiment dommage que cela n'ait pas été fait pour la Covid-19. Nous sommes toujours dans une situation de nationalisme vaccinal plutôt que de coopération globale dans le monde. Si nous pouvions mobiliser des sociétés comme GSK, BMS, Novartis, Sanofi, Servier, Fabre en France, en Russie, en Chine, dans les pays du Sud, qui ont également des capacités réelles comme l'Inde et l'Afrique du Sud, nous serions largement en capacité de répondre aux besoins mondiaux en ce qui concerne ces vaccins Covid‑19. Pour réussir cette mobilisation, il est indispensable de lever les brevets.
Je suis d'accord avec M. Guerriaud : ce n'est pas en lisant un brevet qu'il est possible de fabriquer des vaccins ou autres produits médicaux. Il existe un savoir-faire, et celui-ci n'est pas breveté. Cela apporte donc de l'eau au moulin de ce que nous nous disons dans la pétition que j'ai initiée avec le professeur Spira : les brevets sur les vaccins Covid‑19 sont-ils vraiment légitimes ?
Dans ces brevets, nous ne trouvons pas de véritables innovations technologiques vaccinales. Celles-ci ont été développées des années auparavant, essentiellement au départ dans la recherche publique. Elles ont fait l'objet de nombreux brevets, bien antérieurs à la pandémie. La seule innovation véritable de ces brevets de vaccins anti-Covid est la séquence du virus, sans laquelle il n'est pas possible de fabriquer le vaccin.
Cette séquence a été élucidée très rapidement par des chercheurs chinois qui ne l'ont pas brevetée. C'est donc un bien public, une ressource publique mondiale. Il n'existe aucune raison pour laquelle les vaccins qui en sont issus ne soient pas également considérés comme tels. Nous parlons de vaccins de deuxième génération contre les variants. Nous connaissons les séquences des variants grâce à la recherche publique. Les séquences des variants sont publiques. Est‑il concevable que ces séquences de variants soient en quelque sorte privatisées par l'intermédiaire de nouveaux brevets ? Je ne le pense pas.
Pour quelles raisons certaines sociétés insistent-elles sur le fait qu'il ne faut pas lever la propriété sur les brevets ? Les brevets ne servent à rien, ou presque, pour reproduire un vaccin. Entre parenthèses, je dirai à M. Guerriaud que les vaccins sont aussi de la chimie. Pour faire un ARN, il faut absolument avoir les briques nécessaires à son agencement.
Tous les intrants dont nous avons parlé aujourd'hui sont produits dans les pays du Sud. Dans les pays du Nord, en France en particulier, il n'y a pratiquement plus de chimie médicinale. Celle‑ci est en Inde, en Chine et dans d'autres pays du Sud. Ces pays méritent aussi que nous coopérions avec eux pour faire les vaccins dont ils ont besoin.
Ma dernière remarque concernera la France – ce qui est peut-être un peu à l'écart du problème des brevets. Malheureusement, en France, les entreprises pharmaceutiques ont répondu aux abonnés absents sur la Covid‑19, et ce n'est pas un accident. L'humanité, depuis quarante ans, fait face à des fléaux infectieux considérables – je ne parle que de virologie : sida, hépatite C, et aujourd'hui Covid‑19. L'industrie pharmaceutique française n'a produit aucun antirétroviral antisida, aucun anti-hépatite C et aucun vaccin anti-Covid-19. Cette situation n'est-elle pas anormale alors que notre pays était l'un des leaders du temps de Roussel, Rhône-Poulenc, etc. ?
Notre pays doit prendre ce problème à bras-le-corps. Il doit prendre des décisions fortes qui s'imposent sur les structures, la recherche, le financement de la recherche dans les maladies infectieuses et l'organisation des liens entre la recherche, les biotechnologies et la production. La revue Nature rappelle que les États-Unis prévoient, dans les cinq ans qui viennent, un doublement de leurs crédits de recherche. Un effort analogue doit être fait en France. Cela est d'autant plus important que nous allons devoir faire face à l'émergence de nouveaux virus. Demeure par ailleurs le problème non négligeable de la résistance aux antibiotiques. Ce sont des menaces à prendre très au sérieux.
Pour conclure sur les brevets, la France et l'Union européenne seraient bien inspirées de suivre les États qui demandent la levée des brevets et de suivre les États-Unis, la Russie et la Chine qui ont rejoint ces États.