. Je tiens à préciser que je suis certes juriste, mais je suis également pharmacien de formation. Je voudrais répondre à M. Benarous qui souhaiterait mobiliser beaucoup plus d'usines de par le monde. Je ne sais pas si nous pouvons en mobiliser beaucoup plus, la grande majorité des usines actuelles étant des usines de formes sèches, c'est-à-dire des comprimés, des poudres. Il n'existe pas tant d'usines d'injectables que cela. Pour reconvertir ces usines en injectables pour produire du vaccin, il faudrait procéder à un changement de ligne. Cela prend déjà beaucoup de temps. Par ailleurs, cela stopperait la production d'autres médicaments injectables tout aussi essentiels pour la population, comme des antibiotiques.
En revanche, comme le dit M. Benarous, il faut augmenter nos capacités de production et restaurer la puissance industrielle française ou au moins européenne, ce qu'a aussi rappelé M. Lamoureux.
J'ai été assez surpris des propos de ma collègue économiste sur le manque d'innovation. Effectivement, le nombre de molécules chimiques est moins important qu'autrefois mais, depuis les années 1980, on observe une explosion du nombre de molécules biologiques. Aujourd'hui, des anticorps monoclonaux font partie de notre panel de thérapies. Ils présentent d'énormes avantages par rapport aux médicaments chimiques et permettent de cibler des pathologies, ouvrant la voie à des thérapies personnalisées. Depuis 2007 existe le règlement européen 1394‑2007 sur les médicaments de thérapies innovantes ou nouvelles thérapies telles les thérapies géniques et les thérapies cellulaires somatiques. Ce sont de réelles innovations grâce auxquelles nous allons pouvoir soigner des maladies rares, et qui ne sont pas très rentables pour l'industrie pharmaceutique, le nombre de patients étant faible. Des aides sont concédées à ces industries, mais elles ne sont pas forcément très élevées.
Vous disiez que ces dernières années l'industrie encourait peu de risques. Cependant, dans le cadre des médicaments de thérapies innovantes, les risques sont importants. De nombreux médicaments ont été des échecs commerciaux, parce qu'ils sont peut-être arrivés trop tôt sur le marché, et parce que les évaluateurs, qui fixent le prix de remboursement, ont été confrontés à une difficulté. Ils avaient l'habitude de médicaments classiques. Là, il s'agit de médicaments qui peuvent soigner des patients en une injection. Je suis donc en opposition avec vous à ce sujet. C'est le principe du débat diacritique et contradictoire.
Produire dans les pays du Sud est très compliqué. Il faut être pragmatique. Une usine de médicaments ne se construit pas du jour au lendemain. Cela requiert des années pour en construire dans un pays occidental. Il en faut tout autant, sinon plus, dans un pays du Sud, à cause des contraintes climatiques que nous ne pouvons ignorer pour le difficile traitement de l'air et de l'eau. Cela peut tout à fait se faire, mais cela prend beaucoup de temps. Le risque à se lancer dans la production dans des usines qui ne sont pas aux normes actuelles est de fabriquer des médicaments sous-standards, ce qui serait inacceptable, en particulier dans le cadre de cette pandémie.
La levée des brevets, comme j'ai essayé de vous le démontrer, ne sert pas à grand-chose. Donc pourquoi les lever puisque cela ne sert à rien ? Je ne vois pas l'intérêt. À mon avis, cela permet effectivement de maintenir l'innovation et aussi la confiance de l'industrie pharmaceutique dans le système actuel.
S'agissant des capitaux publics qui ont été injectés, en revanche, je souhaite que nous réfléchissions à un meilleur retour sur investissement pour les acteurs académiques, un meilleur partenariat entre le public et le privé. M. Lamoureux a souligné qu'en France, le monde académique a du mal à dialoguer avec le monde industriel. Et quand certains acteurs académiques le font, ils ne sont pas très bien vus des autres.