Intervention de Albert Benveniste

Réunion du jeudi 1er juillet 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Albert Benveniste, membre de l'Académie des technologies :

Voilà, c'est exactement cela !

Je passe à l'analyse de situation avec un entretien effectué auprès de Thalès. Nous avons tout de suite pensé à Thalès lorsque nous nous sommes demandé quel industriel solliciter. En effet, le traitement des crises fait partie du portefeuille des gens du secteur militaire. Thalès nous a répondu avoir une activité de plateforme de sécurité. Leur outil s'appelle Security Digital Platform (SDP) ; ils s'en servent pour leur activité industrielle et l'ont aussi expérimenté pour aider à la gestion de la crise sanitaire.

La planche qui vous est projetée montre les divers cas d'usage auxquels l'équipe Thalès s'est intéressée pour le Covid. Elle a fait de la surveillance de clusters à partir de collecte et d'analyse de données et du repérage de signaux faibles. Ils ont abordé l'aspect collecte des informations de déplacement, similaire à ce que nous avons vu précédemment pour les données Orange, avec report dans les modèles compartimentaux SIR. Ils ont fait de la corrélation entre indicateurs, par exemple avec les données d'eaux usées. Ils ont aussi travaillé sur la mobilisation des indicateurs rapides pour prévoir le comportement des indicateurs lents, et développé une approche par scénarios pour voir l'impact sur la pandémie des décisions pouvant être prises par les pouvoirs publics. Les principales dimensions abordées sont l'intelligence artificielle et les données, un point fort du groupe Thalès.

Quels sont les avantages clés de cette approche plateforme ? Pourquoi, d'ailleurs, est-ce que j'utilise le mot « plateforme » ? Parce qu'il s'agit essentiellement d'une plateforme logicielle permettant d'intégrer divers composants algorithmiques très largement disponibles sur étagère. Les équipes de Thalès développent très peu de nouveaux composants lorsqu'elles ont à traiter une nouvelle demande d'un client. La plateforme SDP a par exemple été utilisée pour le traitement de la sécurité dans la ville de Mexico et la gestion de l'aéroport de Dubaï. Ces deux exemples ont été des marchés importants pour Thalès et il en existe une dizaine de même nature. Je crois qu'ils se sont aussi occupés des cérémonies à la Mecque.

Il faut savoir que Thalès est capable de déployer son outil dans un délai de l'ordre d'un mois après réception de la demande – c'est parfois même quelques jours pour un traitement en urgence. Le principal problème est d'assurer la collecte des données disponibles. C'est ce qui prend le plus de temps puisqu'il faut se débrouiller avec les données telles qu'elles sont et en faire le meilleur usage.

Un avantage de l'outil « plateforme » est qu'il impose de ne passer à côté d'aucun point important : il oblige à prendre en compte toutes les facettes possibles du problème, pas seulement celles qui sautent aux yeux. Il faut évidemment être aussi précis que possible dans la qualité de la modélisation, et l'outil permet alors de prédire l'effet de décisions avec l'approche par scénarios.

Nos interlocuteurs ont beaucoup insisté sur le fait que les plateformes de ce type sont une « force de collaboration » : leur utilisation permet de réunir des personnes de communautés, de moyens, de types de pensée, de disciplines et de profils tout à fait différents, pour les faire travailler ensemble. Elles favorisent chez les participants une attitude collaborative, ce qui est un point important.

Le troisième entretien, avec les équipes de Dassault Systèmes, met l'accent sur l'aspect « modèle ». En matière épidémiologique, la modélisation repose notamment sur les modèles SIR qui sont des systèmes d'équations différentielles, voire d'équations aux dérivées partielles si le compartimentage a été très finement réalisé.

L'équipe de Dassault Systèmes a procédé à une expérimentation en généralisant la démarche de modélisation à divers facteurs dont nous avions noté l'importance : il y a évidemment l'aspect purement épidémiologique autour de la propagation du virus, mais aussi, parmi les moyens de gérer la crise, les contraintes logistiques, tant au niveau des masques et des tests qu'au niveau de la vaccination. Comment prendre en compte ces différents éléments ? Les décisions en matière de confinement ont des impacts économiques ; est-il possible de les prédire ? Tous ces aspects peuvent être intégrés dans une modélisation qui prend en compte la multiplicité de ces acteurs.

Cette plateforme est l'une des plus remarquables qui soit et Dassault Systèmes est vraiment un champion mondial. Il n'existe dans le monde qu'un tout petit nombre d'entreprises capable de construire des outils de ce niveau, dont deux en Europe : Dassault Systèmes et Siemens.

Le système est basé sur la plateforme 3DEXPERIENCE qui permet de combiner des types de modélisation différents dans ce que Dassault Systèmes a coutume d'appeler une « approche cockpit » : elle réunit dans un même environnement de nombreux cadres de modélisation de données et d'affichage des résultats en utilisant le concept de jumeau numérique, c'est-à-dire une reproduction numérique de situations ou de phénomènes de nature physique ou paraphysique, si l'on peut dire.

Ils ont ainsi développé pour la région Est un service nommé Inesia, conjointement avec l'université de Strasbourg, dans le cadre d'une expérience sur le Covid.

Il faut comprendre que la plateforme 3DEXPERIENCE va un peu plus loin que ce qui a été réalisé dans le cadre de la plateforme de Thalès puisque la dimension « plateforme » n'est pas une infrastructure logicielle au sens de la programmation mais une infrastructure de nature mathématique. En effet, le cœur d'aide à la modélisation est un langage mathématique qui s'exprime directement en termes de systèmes d'équations différentielles, le fameux langage Modelica. Il permet d'écrire à la fois des systèmes d'équations différentielles algébriques et des systèmes d'agents qui sont des automates interagissant en temps discret. Il est donc possible de travailler en temps discret ou en temps continu et d'interfacer l'ensemble avec des algorithmes d'apprentissage pour caler les modèles.

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