Intervention de Albert Benveniste

Réunion du jeudi 1er juillet 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Albert Benveniste, membre de l'Académie des technologies :

… a introduit la notion de « jeu à champ moyen » qui conceptualise un jeu faisant intervenir un nombre de joueurs tendant vers l'infini et gomme l'aspect combinatoire de la théorie des jeux avec un grand nombre d'agents, en le remplaçant par une approche statistique qui le globalise et le rend utilisable. Les deux principaux initiateurs de cette théorie sont Pierre-Louis Lions et Jean-Michel Lasry.

Cette planche précise l'enrichissement de la modélisation par boucles fermées ; elle est développée dans une annexe au rapport. Elle est fondée sur le premier article qui a adopté ce point de vue, d'une grande qualité pédagogique. Pour moi qui n'étais spécialiste ni des jeux à champ moyen ni de l'épidémiologie, pour un mathématicien de métier mais non du domaine, il est réellement abordable. J'en recommande la lecture. Des articles plus élaborés et plus compliqués ont été publiés depuis ; ils vont dans la même direction.

Le point important est que la prise en compte de cette interaction montre un écart notable par rapport aux résultats de référence fournis par les modèles SIR. Il s'agit sur les graphes de la différence entre les courbes en pointillés et les courbes en trait continu. Je n'ai pas confronté ces écarts aux différences entre prévision et réalité qui ont été beaucoup discutées dans la presse et dans le grand public. Ils ne signifient donc pas que ces nouveaux modèles ont raison, mais que nous avons raison de vouloir en développer l'étude. Il existe probablement des pistes intéressantes à examiner.

La conclusion du rapport formule des recommandations. Nous pensons qu'il faut jeter les bases d'une véritable politique de gestion de crise en France, en développant un système permettant ce type de gestion, mais pas un système qui n'est réveillé que pendant les crises. Il faut un système utilisé en routine, éventuellement pour un autre usage qu'une crise sanitaire, mais en éveil de manière active. Le système doit être construit sur la base de ces deux piliers que sont la modélisation et les données, en utilisant des technologies de jumeaux numériques et en le concevant autour de modalités facilitées de travail collaboratif pendant la crise, au moment où l'on n'a pas le temps de former les gens à travailler ensemble. Il faut donc disposer d'une plateforme conçue par essence pour faciliter cette collaboration.

Nous ne sommes pas parvenus à analyser les problèmes d'organisation. Je me suis entretenu avec Bernard Larrouturou, longuement et de façon très ouverte, ainsi qu'avec un membre de la cellule de crise de sécurité qui a souhaité rester anonyme. Le rapport contient les éléments correspondants.

Nous en sommes ressortis avec des interrogations plutôt que des réponses et des solutions. Le point important est que l'approche par plateforme ne préjuge pas du mode d'organisation retenu pour son usage, contrairement à ce qui est souvent reproché à l'égard de l'informatique. Les politiques, les décideurs gardent la main sur le type d'organisation qu'ils décident de mettre en œuvre, contrairement à ce qui arrive souvent par l'informatique quand on met en avant les process de traitement plutôt que les outils algorithmiques et de traitement des modèles et des données. C'est un point important : le système reste neutre vis-à-vis de l'organisation.

Nous pensons qu'il serait utile de lancer des programmes pour favoriser cette nouvelle école de modélisation d'épidémiologie humaine, ouverte sur d'autres disciplines mathématiques et bénéficiant de la réflexion accumulée dans d'autres domaines comme l'économie. L'important est de s'appuyer sur des outils qui préparent à improviser et qui servent aussi en temps normal.

La conclusion est que la France et l'Europe sont très bien dotées en ressources scientifiques et industrielles dans le secteur de l'informatique et du numérique, en particulier avec Dassault et Siemens, en particulier du fait de notre positionnement fort dans des secteurs critiques comme les transports. Ce type de secteur industriel a appelé le développement de ce type d'outil.

Le groupe de travail a ensuite réfléchi à ce qu'il faudrait faire dans les six à neuf mois à venir. Le rapport donne en quelque sorte un point de départ. Il montre l'étendue des possibles et c'est ce que nous avons mis derrière l'idée de Crisis model hub, qui a été illustrée par les comptes rendus d'entretiens. Nous avons identifié les acteurs, tant industriels que de la recherche mais il reste à un nombre important de choses à faire à court terme pour, dans une première étape, aboutir à un véritable cahier des charges.

Comme nous n'avons pas eu l'accès dont nous aurions eu besoin aux acteurs de la décision politique, nous ne savons pas très bien quelles ont été les priorités, où les difficultés se sont cristallisées et où elles continuent à l'être, et où sont réellement les besoins au regard du soutien que peut apporter le genre d'outil dont nous avons parlé. Il faut affiner les priorités des pouvoirs publics et un travail complémentaire, qui demande d'accéder aux personnes appropriées, nous semble nécessaire.

Ensuite, il faudrait choisir les grandes options pour le développement de ce type de plateforme. À grands traits, elle peut être développée de deux manières différentes. La première est un pilotage public, même s'il peut faire appel à un partenariat entre public et privé. Typiquement, un opérateur public concevrait un cahier des charges très détaillé, en élaborant des spécifications système assez précises de ce que doit être le type de plateforme et, éventuellement, ferait travailler un grand nombre de sous-traitants. L'alternative consiste à choisir un partenariat avec un seul ou un tout petit nombre d'éditeurs privilégiés qui ont l'expérience de ce genre d'outil, et de discuter avec eux essentiellement d'une personnalisation de l'outil qu'ils proposent à leurs clients.

Il s'agit d'un choix politique. Les deux solutions sont possibles et ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Ce n'est pas à nous de décider. Nous pensons qu'il faut s'inspirer de développements similaires dont l'État a l'expérience. Il en existe au ministère de la défense. Vous avez certainement eu à prendre ce genre de décision. À notre avis, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a une expérience particulièrement intéressante en la matière pour décider de ce type de stratégie. Il serait également judicieux d'en discuter avec la cellule qui a mis sur pied le Health data hub.

La troisième étape consiste à mettre sur pied la task force côté État, donc à savoir qui regrouper pour devenir les acteurs principaux. Nous pouvons accompagner mais nous ne pouvons pas être des acteurs principaux pour préparer un cahier des charges détaillé et prendre les décisions qui y sont mentionnées. Enfin, il faut évidemment un chiffrage du dossier

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