Dans le champ de l'expertise, l'Institut a rendu plus de 650 avis et rapports aux autorités de sûreté civile, de défense, de sécurité, de non-prolifération et aux ministères.
Je souhaite illustrer la démarche de l'expertise par l'avis de synthèse du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 mégawatts remis à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au mois de mars 2020, durant le premier confinement. Cet avis était une priorité majeure, fixée conjointement par l'ASN et l'IRSN dans le cadre de notre protocole pour l'année 2020. Il agrège les conclusions d'une quarantaine d'avis de l'Institut au cours de ce réexamen. Celui-ci s'inscrit dans le cadre de la prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs, prolongation souhaitée par EDF dans un contexte de prise en compte du retour d'expérience de l'accident survenu à Fukushima. L'expertise de l'IRSN sur ce sujet représente plus de 200 000 heures de travail, soit 130 personnes par an sur la période 2015-2020. C'est donc un énorme travail.
Les experts de l'IRSN se sont focalisés sur deux enjeux majeurs : la conformité des installations à leur référentiel de conception, et l'amélioration de leur niveau de sûreté visant à se rapprocher des réacteurs de conception plus récente.
À l'issue de ce travail, l'IRSN a considéré dans son avis, qui est public comme la plupart de nos avis, que le programme proposé par EDF devrait lui permettre d'atteindre les objectifs fixés par l'ASN à ce réexamen, moyennant des compléments substantiels en termes de modification des installations ou de démonstration de sûreté. L'expertise de l'IRSN a d'ailleurs conduit à introduire une quarantaine de modifications nouvelles dans le programme initialement prévu par EDF.
Au-delà de son contenu technique, ce travail de l'IRSN illustre deux caractéristiques de l'expertise qu'il réalise. La première est l'importance de la recherche qu'il effectue pour conforter ses conclusions sur ce dossier de sûreté. Par exemple, en cas de brèche sur le circuit primaire du réacteur, l'eau de celui-ci s'échappe et s'écoule au fond du bâtiment réacteur. Elle est récupérée par des puisards puis renvoyée par des pompes dans le circuit primaire pour continuer à refroidir le cœur du réacteur et à évacuer la puissance résiduelle hors de l'enceinte. Cette eau se charge de débris, notamment des calorifuges, donc doit être filtrée pour permettre ces opérations. Le colmatage des filtres des puisards par des débris est un enjeu majeur de sûreté puisque, évidemment, il pourrait interrompre la circulation d'eau et donc le refroidissement. Pour disposer de nouvelles connaissances sur les phénomènes en cause, l'IRSN a mené des essais dans une boucle expérimentale nommée Victoria, construite en 2011 en Slovaquie, en collaboration avec une société d'ingénierie slovaque. Les résultats de ces essais ont permis de mieux apprécier le risque de colmatage en fonction de certains paramètres comme la température, la chimie de l'eau ou la nature des débris.
La deuxième caractéristique de l'expertise est la volonté d'instaurer dès 2014 et tout au long du processus un dialogue technique continu avec la société civile, afin de permettre l'accès de celle-ci aux travaux des experts de l'Institut et d'intégrer ses préoccupations dans nos expertises. L'IRSN a une politique d'ouverture et d'interaction avec la société, inscrites dans le contrat d'objectifs et de performance signé avec ses tutelles. Nous avons d'ailleurs publié en 2020 un bilan de dix ans d'engagement de l'Institut auprès de la société civile.
Ce dialogue a revêtu de nombreuses formes, comme un dialogue technique entre l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli), des experts et l'IRSN, ou une implication dans la dizaine de réunions qui ont eu lieu dans le cadre de la concertation publique menée par le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN).
L'IRSN a engagé ou poursuivi l'expertise de sûreté nucléaire dans de nombreux domaines pour des installations nouvelles comme le réacteur EPR, avec notamment la réalisation d'essais de démarrage ou l'étude des écarts de réalisation des soudures des lignes de vapeur principales. L'IRSN a aussi examiné la sûreté du sous-marin Barracuda ou des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération, a regardé l'EPR 2 et le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo).
L'IRSN s'est aussi intéressé aux installations existantes. Nous travaillons sur la prolongation d'exploitation des réacteurs de 1 300 mégawatts au-delà de quarante ans, comme cela vient d'être dit pour les réacteurs de 900 mégawatts. Nous réexaminons plusieurs installations du cycle du combustible, comme celles de l'entreprise Orano à La Hague, ou des installations de recherche comme le réacteur à haut flux (RHF) à Grenoble.
Dans le domaine de l'expertise en radioprotection, qu'elle vise les travailleurs, les patients ou le public, l'IRSN a produit plusieurs synthèses. L'une porte sur les niveaux de référence diagnostiques (NRD) en imagerie médicale. Ils permettent aux professionnels de santé en imagerie de délivrer le bon niveau de dose. Pour le sixième bilan des NRD, qui couvrait la période 2016‑2018, le rapport a montré une diminution des doses reçues dans tous les domaines. Ces valeurs se situent maintenant entre 0 et 25 % au-dessous des NRD en vigueur depuis le 1er juillet 2019.
L'IRSN a aussi publié en 2020 un nouveau rapport périodique sur l'exposition de la population aux rayonnements ionisants dus aux examens d'imagerie médicale diagnostique. Il porte sur l'année 2017 en comparant les données de 2017 à celles de 2012. Nous constatons que les évolutions observées entre 2012 et 2017 sur la fréquence des actes et la dose efficace annuelle par individu sont faibles puisque la dose moyenne est passée de 1,56 millisievert à 1,53 millisievert. La scanographie reste de loin la modalité qui contribue le plus à l'exposition de la population, avec 75 % de la dose efficace collective. La médecine nucléaire – qui est le troisième contributeur à la dose efficace collective – est la modalité qui a connu l'augmentation la plus importante ces cinq dernières années, que ce soit en fréquence ou en contribution à la dose efficace collective. Le rapport met en relief la problématique du cumul d'examens, qui conduit plusieurs centaines de milliers de patients à intégrer sur trois ans des doses efficaces pouvant dépasser les 100 millisieverts. Cela peut poser la question d'éventuels effets radio-induits à long terme.
Comme tous les ans, l'IRSN a publié en 2020 les résultats pour l'année 2019 de la surveillance dosimétrique des 395 000 personnes exposées aux rayonnements ionisants dans le cadre de leur activité professionnelle. Nous constatons qu'en 2019, l'effectif a légèrement augmenté, de 1,2 %, par rapport à 2018, mais que la dose collective a augmenté de 8 %. Ceci est principalement lié au volume accru de maintenance dans l'industrie nucléaire en 2019 et à l'augmentation des doses reçues par le personnel navigant exposé aux rayonnements ionisants, en lien avec l'activité solaire.
Le rapport 2021, présentant les résultats pour l'année 2020, est finalisé et sera rendu public en septembre. Il montre de manière assez prévisible une baisse de la dose collective dans tous les domaines. C'est évidemment un effet de la pandémie, notamment avec le report des opérations de maintenance chez EDF – puisque c'est là que l'essentiel des doses sont délivrées – et avec la baisse forte du trafic aérien.
J'en viens à la recherche. L'objectif de la recherche à l'IRSN est de disposer des connaissances nécessaires à l'évaluation des risques nucléaires ou radiologiques. J'ai déjà donné un exemple pris dans le cadre de la prolongation d'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans.
Cette recherche est évidemment partenariale et, en 2020, j'ai signé un accord-cadre de collaboration avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il faut savoir que plus de la moitié des thèses IRSN sont encadrées par un chercheur ou une chercheuse du CNRS et que 40 % de nos publications sont réalisées en association entre l'IRSN et le CNRS. Nous avons aussi un accord en recherche préclinique en radiothérapie avec l'Institut Gustave Roussy, qui est le premier centre de recherche sur le cancer en Europe. Nous collaborons afin de mieux travailler sur la balance bénéfice-risque entre l'effet sur la tumeur et la toxicité sur les tissus sains.
Notre recherche est aussi internationale et européenne. À titre d'exemple, l'IRSN est présent dans 14 des 31 projets sélectionnés par la Commission européenne dans le champ de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, dans le cadre de son quatrième appel à propositions de 2019. Ces projets concernent le vieillissement des structures et des équipements, notamment des matériaux métalliques, les études probabilistes sur le risque sismique ou la gestion du risque d'explosion d'hydrogène en situation accidentelle, les risques liés à l'exposition au radon ou la préparation d'un agenda stratégique concernant les applications médicales des rayonnements ionisants.
Pour la recherche, l'année 2020 a été riche de réalisations. Par exemple, l'Institut de recherche en communications optiques et microondes (IRCOM) possède l'une des rares installations dans le monde capable de cibler avec une précision micrométrique des éléments cellulaires ou subcellulaires avec un nombre défini de particules chargées et de suivre par vidéomicroscope les effets biologiques précoces d'une irradiation. La première campagne expérimentale de l'IRCOM a été conduite en 2020 et a déjà donné lieu à deux publications ; deux thèses ont débuté et deux collaborations ont été engagées, l'une avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'autre avec le CNRS.
Le projet PRIODAC (prophylaxie répétée par l'iode stable en situation accidentelle), coordonné par l'IRSN et financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR), est un autre exemple de recherche. Il est destiné à déterminer la posologie et la fréquence d'administration d'iode stable aux personnes qui se trouveraient dans une zone de rejets accidentels radioactifs répétés ou prolongés comme il y a pu en avoir à Fukushima. Il s'agit d'évaluer les effets secondaires potentiels de la prise d'iode pour différentes catégories de population telles que les nourrissons, les enfants, etc. Ce projet a été prolongé de trois ans pour préciser la prophylaxie pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.
En novembre 2020, l'IRSN a signé un accord avec l'Établissement français du sang et l'entreprise TreeFrog Therapeutics pour la production de greffons hématopoïétiques à partir de banques de cellules souches. Il s'agit d'une stratégie thérapeutique innovante du syndrome hématopoïétique consécutif à des sur-irradiations. Concrètement, cette stratégie vise à répondre à la destruction partielle ou totale des cellules souches sanguines, destruction qui conduit à la perte de l'immunité et à un défaut de coagulation du sang. Ce projet est le résultat de recherches conduites par l'IRSN en lien avec Sorbonne Université.
Dans le champ de la recherche en sûreté, des jalons importants ont également été atteints. Je peux citer :
L'IRSN a agi dans l'ensemble de ses champs d'intervention dans un contexte d'enjeux sans précédent, d'attentes et de demande s croissantes, qu'il s'agisse de sûreté nucléaire des installations existantes ou projetées, de sécurité nucléaire avec un contexte terroriste persistant , de la protection contre les rayonnements ionisants auxquels il est plus souvent recouru dans le domaine médical ou des attentes sociétales fortes en santé et environnement. Ces enjeux sont bien éclairés par le baromètre annuel sur la perception des risques par les Français que l'IRSN réalise tous les ans.
Dans un monde en constante évolution, la pérennité et la pertinence de notre action nécessitent une adaptation permanente aux nouveaux enjeux pour répondre à ces demandes et attentes croissantes. L'IRSN a engagé des démarches de transformation pour accroître son efficience dans un contexte de ressources publiques rares. Ces transformations sont numériques, managériales et sont aussi des transformations des modes de travail. Il s'agit de permettre à l'IRSN, aux femmes et aux hommes de l'Institut, de répondre à tout moment à ce besoin d'adaptation pour que la sûreté nucléaire, la sécurité nucléaire, la protection des personnes et de l'environnement soient au plus haut niveau dans une société actrice de la gestion des risques.