Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 1er juillet 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

S'agissant du budget et des effectifs, l'IRSN est face à un contexte sans précédent d'attentes et de demandes croissantes sur la sûreté nucléaire, qui concerne tout à la fois les nouvelles installations qu'il faut expertiser – l'EPR, les SMR, Cigéo, le réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH), le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) – mais aussi les installations existantes – la prolongation d'exploitation des réacteurs, des réexamens sur des installations du cycle du combustible. En sûreté nucléaire, les enjeux sont importants et croissants.

La médecine fait de plus en plus appel aux rayonnements ionisants. Plus ils sont utilisés, notamment à forte puissance, plus le risque d'impact est élevé et plus il est important de maîtriser les effets adverses de ces traitements. J'ai évoqué la santé environnement : dès qu'un cluster de pathologies, notamment de cancers, est suspecté en un lieu, l'IRSN fait partie des organismes sollicités puisque la radioactivité peut être impliquée. En 2019, nous avons été sollicités trois fois sur des sujets de ce type. Cela renvoie à la problématique de l'impact des faibles doses, sur laquelle l'IRSN développe à la fois des recherches et des expertises.

Parmi les acteurs publics, l'IRSN est mieux traité que d'autres mais il est tout de même porteur d'une demande d'augmentation de ses moyens pour faire face à ces attentes croissantes. Je précise que le budget de l'Institut a baissé d'une petite dizaine de pourcents depuis une dizaine d'années et, l'expertise étant à juste titre prioritaire, la baisse des moyens a essentiellement porté sur la recherche : celle-ci représentait 50 % du budget de l'IRSN, elle n'est plus que de 40 %. Si nous n'y prenons pas garde, la poursuite de cette tendance conduira à ce que l'IRSN ne soit plus en mesure d'effectuer les recherches nécessaires à son expertise. Ma présentation entendait justement vous montrer le caractère essentiel du lien entre expertise et recherche. Sur les trois prochaines années, nous avons évalué nos besoins supplémentaires à 17 personnes et sept millions d'euros.

L'IRSN fait des efforts de productivité et d'efficience, notamment avec ses plans de transformation. Dans nos relations avec les autorités de sûreté, nous avons beaucoup travaillé sur l'efficacité de notre processus de traitement des dossiers par des démarches de priorisation. Avec PIREX, nous développons des outils numériques pour l'échange de documents mais aussi en appui de notre expertise.

Une question portait sur le vieillissement des cuves. Les cuves sont l'un des composants non remplaçables d'une centrale nucléaire. Ces composants sont peu nombreux – la cuve, l'enceinte – mais ils sont essentiels. La cuve est soumise à un rayonnement neutronique puisqu'elle est au plus proche du cœur. Ce rayonnement peut avoir un effet sur la matière et, dans certaines conditions, notamment accidentelles, le fait que des défauts existent pourrait conduire à des situations inacceptables.

Dans le cadre de la prolongation d'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans, l'IRSN a étudié de près ce sujet. Nous avons analysé les évaluations de flux neutronique sur les cuves, nous nous sommes interrogés sur la qualité des matériaux et sur la présence de défauts puisque, pour qu'une situation devienne inacceptable, il faut le cumul d'un défaut préexistant et de ce que nous appelons un chargement, par exemple une injection d'eau plus froide à l'occasion d'une fuite sur le circuit primaire. Après avoir étudié l'ensemble de ces éléments, nous arrivons à la conclusion que, de manière générique, les cuves sont aptes au service pour encore dix ans, sachant qu'il faut un contrôle des cuves lors de chaque réexamen.

Les cuves sont vérifiées tous les dix ans par des moyens spécifiques pour identifier les défauts et surtout caractériser l'évolution de ces défauts. Il existe des défauts préexistant sur les cuves, par exemple celles des réacteurs de Tricastin. Ces défauts sont stables mais font l'objet d'une attention particulière. Aujourd'hui, sous réserve de la vérification faite à l'occasion des visites décennales, l'IRSN a considéré que ces cuves peuvent être utilisées encore dix ans de plus.

Ce qui différencie le plus les centrales nucléaires est ce que nous appelons les agressions externes et la situation géographique, bien plus que les réacteurs eux-mêmes qui se ressemblent beaucoup. Les agressions externes sont les risques d'inondation et de séisme.

Dans le cadre de la prolongation au-delà de quarante ans, l'IRSN a aussi identifié un sujet lié à la qualité des radiers des réacteurs, selon qu'ils sont plus ou moins siliceux, vis-à-vis de leur comportement en accident grave. Ce sujet est en cours d'étude. Nous attendons les résultats de l'expérimentation qu'EDF réalise aux États-Unis sur l'interaction entre le corium et le béton du fond des bâtiments réacteurs. Cela concerne 14 réacteurs sur lesquels EDF doit apporter des réponses complémentaires.

Sur le réacteur EPR 2, la position de l'IRSN est à ce jour la suivante : l'Institut s'était exprimé en 2017 ou 2018 sur le dossier d'options de sûreté d'un réacteur qui s'appelait EPR NM, ou « EPR nouvelle génération ». C'était une évolution du modèle EPR prenant en compte le retour d'expérience du réacteur EPR existant, notamment au niveau de la construction, et qui intégrait le retour d'expérience des réacteurs en fonctionnement. EDF y a aussi intégré des retours d'expérience en termes de complexité potentielle. Le réacteur EPR NM évolue donc au niveau de sa chaudière et de ses bâtiments annexes, tout en restant dans l'idée générale du bâtiment du réacteur EPR.

L'IRSN a considéré que les dispositions proposées par EDF avaient vocation à ce que le niveau de sûreté de ce nouveau type de réacteur soit au moins équivalent à celui de l'EPR. Nous avons notamment jugé tout à fait bénéfique la diversification de ce que nous appelons les fonctions supports des fonctions de sûreté, alimentations électriques et dispositifs de refroidissement. À l'époque, nous n'étions pas favorables à l'augmentation de puissance prévue pour ce réacteur.

EDF a alors proposé un réacteur dit EPR 2, celui que vous avez évoqué. Par rapport à l'EPR NM, il revient à la chaudière nucléaire de l'actuel EPR, introduit des modifications sur les bâtiments annexes, remplace la double enceinte par une enceinte simple avec un liner. EDF a aussi choisi de ne mettre que trois boucles au lieu de quatre. Tout cela ne remet pas en cause l'avis de l'IRSN sur le dossier d'options de sûreté. Il faut maintenant aller dans le détail puisque les options de sûreté sont très générales. Nous attendons le dossier de sûreté à proprement parler, qui devra accompagner le processus d'autorisation.

Pour répondre aux questions de monsieur Piednoir, l'accident majeur est « le fonds de commerce » de l'Institut. D'ailleurs l'IRSN est probablement le seul organisme à travailler majoritairement sur ce sujet. Par exemple, dans les années 2000, l'IRSN a mis en chantier un code de simulation pour les accidents graves et les accidents majeurs. Cet investissement de 20 ans s'appuie sur de nombreuses expérimentations, de nombreux programmes de recherche développés notamment par l'IRSN, de façon partenariale. Aujourd'hui, ce code de calcul devient une référence internationale et se substitue dans un certain nombre de cas au code qui faisait jusqu'à présent référence, le code MAAP (Modular accident analysis programme) qui est américain. C'est assez flagrant : ce code était cédé gratuitement aux autorités de sûreté et aux « IRSN » étrangers dans le cadre de recherches académiques ; nous constatons aujourd'hui que des industriels veulent l'acquérir. Évidemment, l'IRSN vend ce code, qui intègre les résultats de toutes nos recherches. Je rappelle que, pour l'IRSN, les codes de ce type ont une double vertu : faire des calculs à des fins de modélisation et intégrer l'ensemble de la connaissance à un moment donné. Ce code est ainsi devenu le code de référence sur les accidents graves.

L'IRSN continue à travailler sur les différents types d'accidents. Suite à Fukushima, nous avons engagé deux programmes importants, dont le programme PERFROI sur le refroidissement du cœur en situation accidentelle. Nous venons de réaliser avec un ingénieriste canadien, voici quelques semaines, une expérimentation unique à ce jour au niveau mondial. L'idée est de simuler des assemblages de crayons combustibles. En cas d'accident nucléaire ou d'échauffement, les crayons combustibles se gonflent de manière localisée et la circulation de l'eau autour d'eux en est modifiée. Nous avons reproduit le ballonnement, ce qui avait déjà été fait, mais nous avons surtout reproduit la puissance dégagée par ce ballonnement, ce qui est tout à fait novateur. Ce programme est très lié à l'accident de Fukushima qui avait montré les faiblesses potentielles des piscines d'entreposage. En fait, est en cours un programme visant à étudier les conditions de refroidissement d'une piscine en situation d'accident.

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