L'IRSN participe demain matin à une table ronde organisée par le ministère de la santé sur la Polynésie. Qu'a fait l'IRSN sur ce sujet ? Depuis 1962, il dispose en Polynésie une petite équipe dont la tâche est de mesurer la radioactivité dans l'environnement. Cette activité a longtemps été réalisée tous les ans et nous avons décidé de le faire maintenant tous les deux ans. Pour mesurer la radioactivité artificielle en Polynésie, des prélèvements sont réalisés dans sept îles des cinq archipels, afin d'étudier la contamination de l'eau, de l'air et de ce que consomme la population. Nous sommes attentifs à ce qui est local mais aussi à ce qui vient d'ailleurs, voire de métropole.
Les calculs montrent qu'aujourd'hui, le niveau de radioactivité artificielle est très bas, à savoir un millième de la radioactivité naturelle. Tous ces résultats font l'objet de rapports publics. Rien ne montre de contamination marine liée à l'accident de Fukushima car de telles contaminations restent plutôt dans l'hémisphère où elles sont apparues.
L'évaluation à laquelle vous faites référence est vraisemblablement celle qui a été demandée à l'IRSN par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français (CIVEN). Cette évaluation a été faite par l'IRSN sur la période 1975-1981 – donc après les essais – puisque cette période n'avait pas encore été couverte.
Le travail de l'IRSN est basé sur trois types d'informations :
L'ordre de grandeur de l'exposition estimée est un dixième de la limite d'un millisievert, donc 100 micro-sieverts, pour la période 1975-1981.
La question que vous soulevez est complexe et la table ronde de demain a pour objectif de discuter de l'exhaustivité des évaluations réalisées.
S'agissant de la mesure de la radioactivité dans l'air, l'IRSN a une mission prévue par les textes de surveillance de l'environnement. Plusieurs réseaux sont utilisés dans ce but, dont le réseau Téléray constitué de 450 balises fixes – environ une par département et un plus grand nombre autour des installations nucléaires – et de 50 balises mobiles qui peuvent être déployées selon les besoins, notamment en cas d'accident. Ces 500 balises mesurent le rayonnement. L'IRSN gère aussi une quarantaine de systèmes de prélèvement d'aérosols, c'est-à-dire des petites poussières. Ce sont de gros aspirateurs qui aspirent l'air à très haut débit et le font passer dans des filtres. La radioactivité des filtres est ensuite mesurée.
Vous vous souvenez peut-être que, lors de la détection de la présence de ruthénium dans l'air, en 2018 je crois, des traces avaient pu être détectées dans le sud de la France. Pour la contamination dont il est question, nos systèmes de détection n'ont rien signalé. Le niveau de contamination était donc inférieur à leur capacité de détection, qui est pourtant très bonne. Cela signifie que la contamination en France était très faible.
L'IRSN travaille sur ces sujets avec le réseau Ring O Five, ainsi nommé parce que, à l'origine, il était constitué de cinq organismes. Les participants sont maintenant beaucoup plus nombreux. Nous partageons nos données et, d'ailleurs, la plupart des membres du réseau les rendent publiques.
À partir des conditions météorologiques et des mesures de contamination, on peut essayer de reconstituer d'où vient la contamination. Pour celle dont il est question, il n'existait pas d'enjeu sanitaire dans les pays concernés puisque le niveau de radioactivité était très faible. Le rétrocalcul n'est pas forcément très précis mais identifie comme source une zone couvrant l'ouest de la Russie et les pays baltes. Il me semble que la signature était celle de rejets issus d'une centrale avec plusieurs types de radionucléides. C'est la méthode que l'IRSN utilise. Il ne peut guère en dire plus si les pays concernés ne disent pas de quoi il s'agit ; en l'espèce, il me semble que personne n'a levé le doigt pour dire « cela vient de chez nous ».
Le projet TRAJECTOIRE, financé par l'ANR, vise à identifier les polluants dans de grands bassins versants. Cela rejoint ce que j'ai évoqué sur l'exposome. Selon une tendance qui se développe à l'heure actuelle, ce n'est pas un projet dédié aux radionucléides mais touchant à l'ensemble des polluants. L'idée est d'essayer de mettre en place un modèle prédictif de migration de ces polluants à l'échelle d'un bassin versant. Le projet a démarré en 2020 avec sept partenaires mais il n'en est qu'à son tout début et n'a pas encore livré de résultats concrets. C'est un travail très intéressant au sens où il combine plusieurs contaminants.
Monsieur Guiol a posé une question sur la sûreté de l'EPR et la sous-traitance. Il est tout à fait exact que la sûreté d'un réacteur comporte deux aspects. Le premier est la conception : il faut que le réacteur soit bien conçu, bien construit, etc. Le deuxième est l'exploitation : un réacteur très performant du point de vue de la conception mais exploité par des personnes qui n'ont pas la formation et les compétences requises peut être dangereux. La compétence est évidemment essentielle.
La question de la sous-traitance est extrêmement pertinente. Il faut savoir que 80 % des travaux de maintenance sur les gros composants sont sous-traités par EDF. Comment l'IRSN suit-il ce sujet ? Nous ne faisons pas d'inspection. L'IRSN est un organisme scientifique et technique, qui fait des évaluations pour les autorités, les ministères, les décideurs. Pourtant, ce sujet nous concerne complètement et nous nous sommes donc interrogés depuis un moment déjà. L'Institut avait constaté qu'EDF prenait des mesures pour maîtriser la dimension de sûreté de ces sous-traitances, mais il avait mis en évidence trois points qui restent d'actualité. Le premier est qu'EDF doit renforcer sa capacité à s'assurer que le sous-traitant pourra respecter toute cette dimension de sûreté. Le deuxième est qu'il faut renforcer la capacité des sous-traitants à faire face à des aléas. Un chantier de maintenance en arrêt de tranche d'une centrale nucléaire est un chantier complexe qui peut connaître de nombreux aléas. Ce n'est pas anormal, c'est la vie industrielle. Par contre, en cas d'aléa, il faut que le sous-traitant puisse continuer à faire le travail proprement. Le dernier point consiste à favoriser le partage du retour d'expérience entre le sous-traitant et EDF : le sous-traitant ne doit pas le garder pour lui dans la crainte de se voir adresser des reproches. In fine, l'idée est qu'il faut que la relation entre EDF et ses sous-traitants soit dans le registre du partenariat plus que dans celui de donneur d'ordre à exécutant.
Lors des expertises réalisées par l'Institut ces dernières années, il a été constaté qu'EDF évolue, comme il le dit lui-même d'ailleurs dans sa stratégie, vers plus de « faire par lui-même » et moins de « faire faire ». L'inspecteur général pour la sûreté nucléaire d'EDF, M. de Lastic, l'a écrit explicitement dans son rapport de 2020. En particulier, les équipes des unités logistiques de maintenance ont été renforcées pour se substituer à la sous-traitance. Ce sont les unités qui s'occupent notamment des groupes électrogènes diesel sur lesquels un certain nombre de non-conformités ont été détectées ces dernières années. Elles s'occupent aussi de la turbine, etc.