. ‑ Il nous a semblé utile de réaliser en premier lieu un rappel sur la contribution de la France au développement de l'énergie nucléaire, ainsi que sur les difficultés rencontrées dans la période récente, pour mieux mettre en lumière la nécessité d'un sursaut de la recherche et de l'industrie nucléaire française.
La contribution française aux sciences nucléaires a été décisive sur le plan scientifique, avec des figures comme Henri Becquerel, Paul Villard, Marie et Pierre Curie, ou encore Irène et Frédéric Joliot-Curie. Elle a continué après-guerre, notamment avec la création du CEA en 1945, qui a permis à notre pays de se doter en une dizaine d'années à la fois de l'arme nucléaire et de la maîtrise de l'atome pour les usages civils, en particulier pour la production d'électricité. Elle s'est poursuivie dans les années 1970 avec le déploiement, accéléré après le premier choc pétrolier, du parc de centrales nucléaires et avec la conversion de l'usine de La Hague vers le secteur civil, première étape de la mise en place d'un cycle du combustible « fermé ».
Néanmoins, les accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima ont entamé la confiance des populations dans l'énergie nucléaire et ralenti son développement en Occident.
L'Office avait alerté le Gouvernement dès 1991, et les années récentes le confirment : l'absence de construction de nouveaux réacteurs s'est traduite par une perte de compétences et de savoir-faire conduisant aux difficultés récurrentes que l'on connaît, notamment sur le chantier de Flamanville. Aux États-Unis, la situation des acteurs traditionnels de l'industrie nucléaire est similaire.
Alors qu'à l'Ouest l'industrie nucléaire déclinait, à l'Est de nouveaux leaders ont émergé. D'une part, en Fédération de Russie la création de l'entreprise d'État Rosatom en 2007 a conduit à une accélération sur le plan industriel, en particulier à l'exportation, ainsi qu'en matière de recherche et développement. D'autre part, la Chine, après une phase d'appropriation des technologies étrangères, devrait dépasser dès 2030 les États-Unis et l'Europe en termes de capacité nucléaire installée, tout en investissant elle aussi fortement dans la recherche.
Ce basculement de la maîtrise de l'énergie nucléaire génère pour la France plusieurs risques : le risque d'une prise de contrôle des organisations internationales, par exemple l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), par des pays moins soucieux de non-prolifération et de sûreté nucléaires ; le risque d'une influence de la Chine et de la Russie sur un nombre croissant de pays clients, puisque le choix de l'énergie nucléaire conduit le pays client à nouer des relations de long terme avec ses fournisseurs ; à terme, le risque que la France devienne elle aussi dépendante si sa maîtrise technologique continue à décliner. Ce risque serait d'autant plus dommageable que nous pourrions avoir besoin de l'énergie nucléaire sur le très long terme, en complément des énergies renouvelables : malgré la multiplication des scénarii « 100 % énergies renouvelables », les solutions techniques nécessaires pour se passer de sources pilotables ne sont pas encore au rendez-vous. Si elle se concrétisait, cette dépendance pourrait également remettre en cause notre aptitude à maintenir une force de dissuasion crédible : sa principale composante, les sous-marins, pourrait devenir plus difficile à maintenir sans maîtrise des technologies nucléaires civiles.
Il convient également de souligner que la France est la seule puissance occidentale à exploiter de façon commerciale les technologies liées à la fermeture du cycle du combustible, fermeture que visent aussi Russes et Chinois. Les Britanniques et les Japonais ont eux aussi investi dans la fermeture du cycle, mais les premiers ont abandonné, avec le reste de leur savoir-faire nucléaire, et les seconds ne sont jamais parvenus à démarrer l'usine de Rokkasho, équivalent de La Hague.
Continuer sur la voie du déclin du nucléaire civil pourrait donc avoir de multiples et lourdes conséquences. Nous considérons qu'il ne sera pas possible d'inverser la tendance sans revenir aux fondamentaux qui ont fait de la France l'un des grands acteurs du nucléaire civil, à savoir un fort investissement dans la recherche et l'innovation, qui va de pair avec la motivation des jeunes pour un domaine scientifique et technique parmi les plus exigeants.