Intervention de Stéphane Piednoir

Réunion du jeudi 8 juillet 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur :

. J'ai également pris beaucoup de plaisir à travailler avec Thomas Gassilloud sur cette mission.

J'en viens donc au projet de réacteur de quatrième génération Astrid, réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, que je vais brièvement vous présenter, et à la décision rendue publique en août 2019 de ne pas en construire le prototype.

Ce projet répondait à trois enjeux majeurs. D'abord l'indépendance énergétique, en donnant à la France la capacité d'utiliser la quasi-totalité du contenu énergétique de l' uranium naturel et des matières qui en sont issues, déjà disponibles sur notre sol en grande quantité, par exemple les 350 000 tonnes d' uranium appauvri issues des opérations d'enrichissement réalisées pour les besoins du parc actuel. Ensuite, une meilleure gestion des déchets radioactifs les plus dangereux, en mettant en œuvre la transmutation, prévue par la loi Bataille de 1991 et par la loi du 28 juin 2006 sur la gestion durable des déchets radioactifs. Enfin, la préservation des acquis de la recherche, Astrid prenant le relais de 60 ans de recherches sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium qui s'étaient concrétisées par la construction de trois réacteurs : Rapsodie, Phénix et Superphénix.

Le projet Astrid, prévu par les lois du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique et du 28 juin 2006 déjà mentionnée, a été lancé en 2010, à la suite d'une décision du président Jacques Chirac. Son financement dans le cadre du premier Programme d'investissements d'avenir (PIA) était d'environ 650 millions d'euros. Compte tenu des autres sources de financement, par exemple le budget du CEA, son coût total est estimé aujourd'hui à environ 1,2 milliard d'euros.

Le projet était encadré par une convention signée entre l'État et le CEA. Jusqu'en 2017, il s'est déroulé en conformité avec les engagements pris dans ce cadre, notamment en termes de délais, d'atteinte des objectifs techniques initialement définis et de mobilisation de nombreux partenariats, avec des industriels français et étrangers. Le Japon était le principal partenaire étranger de la France dans ce projet.

Il semblerait que dès 2017 la décision ait été prise de diviser par quatre la puissance du futur prototype Astrid, ce qui revenait à repartir sur la conception d'un nouveau réacteur.

Un article de presse paru le 29 août 2019 a fait état d'une décision consistant à ne pas poursuivre le projet Astrid au-delà de 2019 par la construction d'un prototype. Cette décision a été confirmée le lendemain par un communiqué de presse du CEA qui annonçait le report de la construction à la fin du siècle.

Deux justifications ont été avancées : le prix de l' uranium durablement bas, qui ne justifiait pas dans l'immédiat d'investir dans de nouveaux réacteurs économes en ressources naturelles, et la nécessité d'approfondir les connaissances sur le cycle du combustible associé à Astrid.

Les intérêts à long terme du pays, notamment son indépendance énergétique dans un contexte où l'électricité représentera une part croissante de sa consommation d'énergie, ne semblent pas avoir été pris en compte.

Quoiqu'il en soit, nous estimons que l'absence d'association du Parlement à cette décision et la divergence créée avec le cadre législatif ne sont pas garantes du nécessaire consensus qui doit se dégager sur des questions aussi stratégiques pour la Nation.

Nous avons identifié quatre impacts principaux de cette décision. Le premier porte sur l'image de l'industrie nucléaire française dans le monde, étroitement associée à l'objectif de fermeture du cycle du combustible et à la maîtrise des technologies associées : l'annonce soudaine de l'abandon d'Astrid sème le doute sur la cohérence de la démarche suivie par la France depuis 70 ans, et de ce fait sur les intentions de la France à long terme. En matière de recherche et développement, alors que les partenariats sont plus que jamais indispensables, nous risquons d'être perçus comme un partenaire peu fiable, en particulier par les Japonais qui pourraient alors se tourner vers les États-Unis. De surcroît, les pays qui souhaitent acheter des centrales nucléaires cherchent à établir des partenariats de long terme avec des fournisseurs fiables et pourraient donc s'interroger sur les intentions de la France.

Le deuxième impact de l'arrêt d'Astrid concerne les étudiants et les chercheurs. Astrid était le projet phare de la R&D nucléaire en France. Dans un contexte industriel déjà difficile, l'annonce de son abandon a nécessairement eu un impact négatif sur des étudiants en général peu informés sur la filière nucléaire.

Le troisième impact est très direct. Il a trait au risque de perte de l'acquis de 70 ans de recherches sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Sans un projet fédérateur, les outils de gestion des connaissances et de simulation numérique, les essais unitaires, etc. mis en place par le CEA ne suffiront pas à freiner cette dégradation au-delà de quelques années.

Le quatrième impact, de plus long terme, est le risque d'abandon de la stratégie de fermeture du cycle du combustible qui est une obligation légale prévue par la loi sur la gestion durable des déchets radioactifs de 2006. L'article 6 prévoit en effet que « la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs est recherchée notamment par le traitement des combustibles usés ». Nous estimons que la remise en cause du statut de matière de l' uranium appauvri peu après la décision intervenue sur Astrid montre que ce risque est réel. Les conséquences sont potentiellement très lourdes sur l'industrie nucléaire française et sur le stockage géologique des déchets.

Nous pensons qu'il est nécessaire de réagir rapidement, en montrant que la France dispose toujours d'une vision claire de l'avenir de l'énergie nucléaire.

Évidemment, il semble difficile, dans le contexte actuel, de proposer une nouvelle vision de la politique énergétique du pays. En revanche, nous sommes persuadés qu'il est encore possible de refonder, avant la fin de la législature, une stratégie de recherche sur le nucléaire avancé, au travers d'un projet ou d'une proposition de loi programmatique.

Un tel texte serait l'occasion d'un large débat au sein du Parlement qui permettrait notamment de réévaluer le choix stratégique de la fermeture complète du cycle du combustible ainsi que du développement des réacteurs de quatrième génération indispensables à sa mise en œuvre. Il serait aussi l'occasion d'évoquer le statut des matières nucléaires. Il permettrait enfin de traiter de l'accompagnement de la recherche, par exemple en confirmant les objectifs poursuivis ou en prenant des mesures pour relancer la formation des jeunes, en particulier à l'université, à l'heure où les emplois dans le nucléaire seront dynamisés par les travaux de rénovation du parc.

Nous sommes persuadés qu'une telle démarche permettrait à la fois de réduire, voire d'inverser, les impacts que je viens d'évoquer et d'instaurer une nouvelle dynamique pour la recherche et les compétences en matière d'énergie nucléaire.

Cette étude nous a permis de mieux connaître la filière nucléaire française, de visiter plusieurs laboratoires et installations industrielles et de rencontrer de nombreux scientifiques, chercheurs, enseignants, ingénieurs et techniciens. Nous sommes tout à fait confiants en leur capacité à redonner à la France sa place de leader technologique de l'énergie nucléaire.

Il revient aux responsables politiques que nous sommes de leur indiquer un chemin clair et de leur donner des objectifs ambitieux, sans oublier les moyens pour les atteindre. À notre sens, c'est la principale condition du renouveau de cette industrie française de pointe, qui est un fondement essentiel de notre souveraineté et de notre indépendance.

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