Intervention de Gilles Pijaudier‑Cabot

Réunion du jeudi 8 juillet 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gilles Pijaudier‑Cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) :

. Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, la CNE2 a pu travailler dans des conditions quasiment normales, nonobstant le fait que nous avons conduit nos auditions à distance. Pour faire suite à une demande de l'Office, nous avons travaillé sur les conséquences de la crise sanitaire et nous vous avons présenté les conclusions de ces travaux spécifiques en mars dernier. Le contexte nucléaire a été particulièrement évolutif en 2020‑2021, notamment avec le plan de relance et la préparation du PNGMDR. Cette année, le rapport propose une synthèse sous la forme d'encadrés formulant des recommandations pour mettre en œuvre la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2020. La Commission suivra en outre avec attention les études et recherches menées dans le cadre du plan de relance. J'ajoute que deux membres ont décidé de démissionner en janvier 2021 pour des raisons personnelles. Ils n'ont donc pas contribué à l'élaboration du rapport.

La première dimension abordée dans le rapport concerne les enjeux de la PPE. Quatorze réacteurs de 900 MWe doivent être mis à l'arrêt d'ici à 2035, imposant l'utilisation de combustible MOX dans des réacteurs de 1 300 MWe pour limiter l'augmentation du stock de combustible usé UOX (oxyde d' uranium ). Une étape intermédiaire avant le déploiement des réacteurs à neutrons rapides est prévue pour 2050 environ : c'est le multi-recyclage du plutonium en réacteur à eau pressurisée (MRREP), qui présente des défis majeurs non résolus à ce jour. La PPE impose d'instruire la planification des opérations d'assainissement et de démantèlement, l'augmentation de la capacité de stockage des déchets de très faible activité (TFA), et la création d'un stockage pour les déchets de faible activité à vie longue (FAVL).

La Commission observe que les priorités de R&D doivent évoluer pour suivre l'évolution de la place et des modalités d'exploitation du nucléaire dans le mix énergétique français. La Commission a consacré cette année ses travaux à trois sujets qu'elle considère prioritaires : les pistes de recherche sur les « alternatives » au stockage profond ; les travaux sur la séparation ; le déploiement du projet Cigéo. A l'instar de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la Commission estime que le déploiement de la nouvelle stratégie française appelle des décisions à prendre d'ici 5 ans pour ce qui concerne les capacités de stockage, le cycle des matières et la gestion des déchets. La Commission rappelle qu'il sera difficile d'attirer de nouveaux talents vers la R&D sans un engagement à développer une industrie nucléaire sûre et performante s'intégrant dans un mix énergétique décarboné.

Une « alternative » au stockage profond est une installation ou une combinaison d'installations, éventuellement associées à des procédés de traitement et de conditionnement spécifiques, qui permet de garantir le même niveau de sûreté qu'un stockage profond pendant la même durée et sous les mêmes contraintes, c'est-à-dire la prise en charge des déchets avec les mêmes performances de sûreté et une prévision des moyens financiers associée.

Il n'y a pas lieu de remettre en cause le consensus scientifique au sujet de l'entreposage de longue durée : il ne s'agit pas d'une alternative possible au stockage profond. Les alternatives sont fondées sur la transmutation. La transmutation d'un radionucléide à vie longue vise à le transformer en un ou plusieurs autres radionucléides de période radioactive plus courte. Une étape indispensable consiste à séparer et isoler les radionucléides à transmuter. Même si elles requièrent des avancées significatives, les technologies envisagées aujourd'hui pour la transmutation pourraient déboucher sur des installations industrielles avant la fin du siècle, à la condition que des moyens importants leur soient consacrés.

En revanche, il est vain d'espérer que la transmutation permette de s'affranchir d'une installation de stockage profond. Une telle installation restera nécessaire pour gérer les déchets de haute activité à vie longue déjà vitrifiés, les déchets de moyenne activité à vie longue dont la transmutation n'est pas réaliste, et les déchets ultimes issus de la séparation et de la transmutation.

Les alternatives au stockage géologique profond reviennent sur le devant de la scène, dans le plan de relance et le PNGMDR. La Commission examinera tous les concepts nouveaux « d'alternative » au stockage géologique profond, scientifiquement documentés, qui pourraient émerger. Elle auditionnera les scientifiques concernés, afin d'avoir la capacité d'évaluer au mieux leurs travaux pour en informer le Parlement.

Le deuxième grand chapitre de notre rapport traite de la recherche et du développement sur la séparation. La séparation pour le multi‑recyclage du plutonium permet de retraiter le combustible usé pour isoler les matières valorisables afin de fabriquer de nouveaux combustibles. Elle est incontournable pour le déploiement du multi-recyclage du plutonium. Il n'est pas acquis que le procédé Purex de retraitement du combustible usé UOX puisse être transposé aux quantités industrielles de combustible usé de type MOX à retraiter en vue du multi‑recyclage en REP, et a fortiori en réacteurs à neutrons rapides, car les teneurs en plutonium y sont beaucoup plus élevées. La faisabilité scientifique d'un procédé de substitution semble acquise à l'échelle du laboratoire. Dans la perspective d'une mise en œuvre du multi‑recyclage en REP à partir de 2040, et en tenant compte de la nécessaire rénovation des installations de la Hague prévue à cette date, la faisabilité industrielle des nouveaux procédés de séparation devra impérativement être établie avant 2030 pour que les calendriers de la PPE soient plausibles.

La séparation sert également en amont de la transmutation des actinides. L' américium est l'élément le plus pénalisant pour un stockage profond. Il y aurait donc un intérêt à le transmuter, ce qui exigera de l'isoler en aval du procédé de retraitement. L'atteinte d'un rendement global de transmutation significatif nécessite plusieurs cycles d'irradiation et de retraitement. Un procédé spécifique a été développé en France à l'échelle du laboratoire ; il reste à l'industrialiser. L'absence d'installations d'irradiation en spectre rapide en Europe rendra d'autant plus difficile toute expérimentation sur plusieurs cycles de transmutation. En tout état de cause, la recherche sur la séparation est un axe indispensable pour la mise en œuvre de la PPE et devrait bénéficier d'un très haut niveau de priorité. Force est de constater que ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Le troisième aspect concerne le projet Cigéo. Dans la mesure où l'inventaire de référence reste inchangé, la PPE n'a pas d'impact sur les études et recherches concernant le projet Cigéo, en particulier sur la préparation de la demande d'autorisation de création (DAC). La Commission a conclu dans ses deux derniers rapports que l'ANDRA disposait des connaissances scientifiques et des éléments techniques suffisant au dépôt de cette demande. Des connaissances restent toutefois à consolider, avant le dépôt du dossier de DAC ou d'ici la fin de son instruction, notamment sur deux sujets.

Les phénomènes de radiolyse et de corrosion produiront de l'hydrogène, ce qui provoquera sur le long terme une montée en pression temporaire dans le stockage. Le critère de conception du stockage vis-à-vis de ce phénomène est respecté, mais la Commission considère que l'ANDRA devra expliciter les marges liées d'une part aux processus physiques mis en jeu, d'autre part aux modalités techniques mises en œuvre.

Le stockage de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) bitumés avait fait l'objet de réserves relatives au risque d'incendie. Les producteurs ont défini un programme de travail approprié, dont les résultats sont désormais attendus.

Par ailleurs, selon la loi de 2016 sur la réversibilité, Cigéo débutera par une phase industrielle pilote (« phipil »), au cours de laquelle une partie de l'installation sera construite. Seules quelques familles de déchets y seront admises pour stockage. La Commission rappelle l'importance d'une définition claire et partagée du processus de gouvernance opérationnelle du projet Cigéo avant le lancement de la phipil. Le schéma adopté doit définir qui est concerné, pourquoi, comment et quand. Sa simplicité est un gage d'efficacité. La phipil aura atteint son objectif quand elle aura répondu aux enjeux suivants mettant en pratique la gouvernance définie au préalable : la démonstration de la réalisation technique des composants de Cigéo ; la démonstration du bon fonctionnement de l'installation par des essais de qualification et par des tests de mise en œuvre de la réversibilité ; la démonstration du bon déroulement de son exploitation industrielle.

Le dernier point concerne l'activité scientifique future en soutien au projet Cigéo. L'outil numérique de visualisation du stockage dans son environnement géologique développé par l'ANDRA pourra utilement intégrer les informations acquises ultérieurement dans une démarche d'amélioration continue (jumeau numérique). L'exploitation de Cigéo nécessitera jusqu'à sa fermeture, et donc pendant plus de cent ans, de tester des innovations et des adaptations, ce qui ne saurait être réalisé dans une installation nucléaire de base en fonctionnement. La Commission considère qu'il sera nécessaire de maintenir en activité le laboratoire souterrain de Meuse-Haute Marne pendant toute l'exploitation du stockage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.