Je suis effectivement impliquée dans de nombreuses études et je fais partie de sociétés médicales européennes, notamment consacrées à la santé allergique et respiratoire. Sous mon impulsion, la problématique de la contamination par le SARS-CoV-2 et le danger de vivre dans des zones polluées ont été beaucoup approfondis. Considérer à la fois la pollution de l'intérieur et la pollution de l'extérieur, comme vous le faites dans votre étude, me semble une très bonne idée.
Vous avez mentionné la tribune dans laquelle je faisais le point sur l'air intérieur. Cette tribune faisait état de faits moins solides que ce que nous savons maintenant sur la pollution en air extérieur. Il existe actuellement 1 294 études sur PubMed et 52 sur medRxiv (med-archive) sur le thème des liens entre pollution et SARS-CoV-2 ou Covid : c'est énorme.
Une méta-analyse a été réalisée et, à la fois pour les effets à court terme et pour les effets à long terme, les risques relatifs sont significatifs. Les études sont éparses et hétérogènes mais leurs résultats sont vraiment concordants. Ces études mettent aussi en évidence un problème majeur, à savoir un gradient selon le niveau socioprofessionnel : les classes sociales les moins favorisées sont les plus exposées, celles où la Covid sévit davantage. La raison en est très simple : la pollution est un irritant et altère la perméabilité des voies aériennes. C'est vrai tant pour la pollution de l'air extérieur que pour celle de l'air intérieur.
Pour les effets à long terme, cette méta-analyse a montré que les organes visés par la pollution de l'air et la Covid sont les mêmes. Des raisons biologiques maintenant bien cernées par les experts étayent cette hypothèse.
Pour en revenir à la période de confinement, je vous cite ce papier assez ancien qui porte sur le SARS-CoV-1. Il provient d'une très bonne revue, le New England Journal of Medecine. Les auteurs concluent, entre autres, que lorsque l'épidémie se propage de personne à personne, à grande échelle et rapidement, il faut envisager, au-delà de la transmission par gouttelettes et par contact, un autre mode de transmission et accorder une grande attention au mécanisme de transmission par aérosols, ce qui a été fait. J'ai signé la première lettre écrite par le professeur Lidia Morawska qui alertait sur le sujet dans le cas du SARS-CoV-2.
Schématiquement, une personne infectée en contact avec un individu peut contaminer ce dernier par les aérosols liés à l'expiration, à la parole ou au chant mais également par évaporation, par les gouttelettes qui sèchent : le virus peut ainsi circuler et contaminer les amis. Bien sûr, ce phénomène est d'autant plus important que l'on se trouve dans un lieu de faible volume.
J'aime bien l'image suivante : il faut penser à la personne infectée comme à une bougie. La cire qui tombe à proximité est constituée de grosses gouttelettes lourdes ; ce sont celles de la contamination directe. La fumée est constituée de gouttelettes légères, qui se dispersent dans l'air et dans l'environnement : ce sont les aérosols, ceux qui s'éloignent.
Voici quelques données qui rappellent des points bien connus maintenant. Une personne infectieuse peut expulser jusqu'à 200 millions de particules virales chaque fois qu'elle tousse, ce qui est énorme. La plupart des gouttelettes sont lourdes et tombent mais certaines entrent en suspension dans l'air pour des durées importantes – jusqu'à sept heures – et elles peuvent se retrouver à plusieurs mètres de la personne qui les a émises.
Tous les environnements fermés avec peu d'échanges d'air et une forte densité de personnes sont idéaux pour la propagation du virus. C'est là qu'il faut vraiment être prudent et, dans les lieux fermés avec un espace suffisant, nous devons bien sûr rester éloignés de la cire de la bougie. Je trouve que cette notion de distanciation s'est perdue.
L'image présentée maintenant montre un crachat et, en bas à droite, une personne qui émet des aérosols tout simplement en respirant. Mme Lydia Bourouiba avait mesuré ainsi que les aérosols se diffusent jusqu'à huit mètres de distance et restent en suspension dans l'air.
Après ces trois modes de transmission, voyons les répercussions au niveau de l'organisme. Une fois la gouttelette séchée, il reste un petit virus de 0,12 micron, comme celui de la grippe. Ce virus, une fois inhalé, peut franchir la barrière alvéolaire et se retrouver dans le sang – c'est très important – mais aussi bien sûr au niveau de l'épithélium alvéolaire. Un autre point très important et peu connu est qu'une partie de ces particules – en fonction de leur taille – s'arrêtent au nez de par leur mouvement brownien. C'est pourquoi le masque doit couvrir le nez. Les gens ne le savent pas et n'imaginent pas que c'est très important. Des calculs ont été faits et nous savons quelle part de particules ultrafines restent dans le nez.
À titre de démonstration, je vous présente trois cas emblématiques de ce mode de contamination. Le premier concerne une chorale dans le comté de Skagit aux États-Unis. Nous savions déjà qu'il fallait se laver les mains, porter un masque et être éloignés mais, au moment de chanter, les gens enlevaient le masque. Cela se passait dans un local fermé et 50 personnes ont été contaminées. Deux décès ont même eu lieu.
Ce qu'il s'est passé à Wuhan dans un restaurant à plusieurs étages comme il en existe en Chine est encore plus spectaculaire : un individu a contaminé d'autres personnes à plusieurs étages de distance, par le biais d'un système de ventilation mal adapté.
Pour en revenir à la France, l'étude ComCor – un questionnaire très intéressant – de l'Institut Pasteur avait montré que, dans le cas des contaminations extra-domiciliaires, 80 % des contacts avaient lieu à l'intérieur des locaux, fenêtres fermées, et ce en dépit du respect des gestes barrières. Les gens enlèvent le masque pour manger, pour boire, pour prendre un café ou parce qu'il les gêne et, évidemment, c'est problématique.
Pour moi, il faut absolument empêcher la transmission aéroportée du virus. C'est le défi à relever. Il faut compléter les mesures actuelles par des mesures de prévention de la transmission des aérosols à l'intérieur des locaux. Naturellement, il faut ventiler autant que possible. Je sais qu'il fait froid en hiver ou que certains bureaux n'ont pas de fenêtre même si ceci est interdit. Il faut augmenter la distanciation dans les espaces bondés, définir des jauges de fréquentation des locaux. Bien sûr, il faut installer des appareils capables de piéger les aérosols en suspension porteurs de virus ; c'est l'objet de la discussion d'aujourd'hui mais je ne suis pas une experte. Il faut mesurer le CO2, j'en reparlerai, mais je souhaite d'abord insister sur deux aspects déjà mentionnés.
Premièrement, il ne faut pas confondre ventilation et isolation thermique. Une isolation thermique empêche souvent les échanges d'air si elle n'est pas bien faite.
Deuxièmement, je vous ai déjà parlé du gradient socio-économique dans le risque de contamination. Il faut donc mettre en œuvre en priorité un plan d'assainissement de l'air dans les lieux fréquentés par du public tels que les écoles, universités, lieux de culture, hôtels.
Un appel d'offres Horizon Europe a été lancé. Mes collègues et moi avons soumis un projet concernant notamment les virus – pas seulement le SARS-CoV-2 – à l'école en améliorant la qualité de l'air mais aussi en mettant en place des systèmes d'alerte. Il existe une sonde très intelligente qui permet de détecter le SARS-CoV-2 dans l'air. Le procédé n'est pas complètement validé mais nous pourrons en parler. Dans tous les lieux fréquentés par du public, le dioxyde de carbone peut être utilisé comme indicateur. Je l'avais utilisé lors d'études dans les écoles françaises voici quelque temps.
Nous en arrivons à la priorité générale qui est de réduire les émissions de polluants atmosphériques. Je souhaite vraiment qu'une étude française puisse dire quels sont les liens entre Covid et pollution. Je fais partie du conseil scientifique d'une grande équipe internationale qui a regardé en détail ce que l'on appelle les biais en épidémiologie. Elle a trouvé une relation entre pollution de l'extérieur des locaux, Covid, mortalité et morbidité. J'aimerais qu'une telle étude soit réalisée aussi en France.
Pour finir, j'en viens à ce que j'appelle « le faux sentiment de sécurité ». Il m'arrive de parler avec des gens qui sont sans masque dans le train ou dans l'avion et qui me disent : « De toute façon, je n'en ai pas besoin parce que je suis vacciné. » Nous savons que, malheureusement, les vaccins ne protègent pas complètement. Il existe de nouveaux variants et, chez certains sujets, les vaccins ne fonctionnent pas comme il le faudrait.
Nous avons en interne un service de pneumologie. Nous commençons à revoir des malades, même en réanimation, qui ont eu une double dose. Le vaccin est très important mais il faut que les gens comprennent qu'il est toujours utile de porter le masque. Deux publications récentes ont montré que certains sujets ne sont pas complètement protégés par le vaccin. Il faut aussi savoir que les individus asymptomatiques sont contagieux. C'est pour cette raison que les masques doivent être mis et je conseille vraiment le masque FFP3 dans certaines situations.
Le Japon a enregistré 19 000 décès depuis le début de l'épidémie pour 126 millions d'habitants alors que les Japonais sont âgés ce qui est un facteur de risque de la Covid. Les Japonais disent éviter autant que possible les espaces clos, trop bondés et le contact proche. Je pense qu'il ne faut pas l'oublier.