Intervention de Matteo Redaelli

Réunion du jeudi 4 novembre 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Matteo Redaelli, coordinateur scientifique de l'unité d'évaluation des risques liés à l'air à l'Anses :

J'espère que ma participation permettra d'apporter quelques éléments constructifs sur la question des épurateurs d'air. Comme vous l'avez signalé, l'agence s'était autosaisie du sujet en 2012. À l'époque, elle n'était évidemment pas motivée par le contexte actuel mais par la multiplication d'équipements qui revendiquaient des propriétés de traitement de l'air. Ces travaux avaient abouti à un avis et à un rapport publiés en 2017.

Il est important de rappeler que nos objectifs, à l'époque, étaient doubles. Il s'agissait d'abord de recenser les techniques d'épuration de l'air disponibles pour le grand public ou en traitement d'appoint en milieu professionnel, donc en écartant les grands systèmes utilisés en conditions industrielles ; il fallait, ensuite, analyser les connaissances sur l'évolution de la qualité de l'air associée à l'utilisation des nouvelles techniques, ce qui n'inclut donc pas les techniques de filtration mécanique, notamment les filtres à haute efficacité déjà cités, qui datent des années 1940 et ont fait leurs preuves en termes d'efficacité et de performance intrinsèque.

Cette analyse s'est, à l'époque, appuyée sur quelque 189 publications scientifiques. Dans la sélection d'articles réalisée, nous avions privilégié les essais en conditions réelles ou en conditions proches de la réalité, pour justement essayer de bien apprécier l'efficacité de ces dispositifs, pas uniquement en conditions expérimentales.

Je rappelle que l'épuration de l'air repose sur deux grands principes. Le premier est de piéger les contaminants, le second est de détruire ces contaminants. Ces techniques d'épuration peuvent être intégrées soit dans des appareils autonomes, soit dans les systèmes de ventilation, chauffage, climatisation d'un bâtiment. Mon propos se centrera plutôt sur le premier point.

En 2017 – cela a pu évoluer depuis –, nous avions recensé 14 technologies d'épuration de l'air sur le marché français. Il s'agissait, par exemple, de l'ionisation, l'adsorption physique, la photocatalyse, la catalyse, le plasma, les rayonnements ultraviolets (UV), l'ozonation. Il est à noter qu'en France, comme ailleurs à l'international excepté dans l'État de Californie, il n'existait pas de réglementation contraignante encadrant ces dispositifs mais, comme cela a déjà été évoqué, il existe des normes sur les performances et l'efficacité intrinsèque en conditions de laboratoire.

Nos travaux ont notamment mis en évidence plusieurs points intéressants. Tout d'abord, il existe peu d'études réalisées en conditions réelles ou proches de la réalité. Ces études ne permettent pas de démontrer une efficacité significative de ces dispositifs en conditions réelles.

La seconde conclusion est que certains dispositifs peuvent dégrader la qualité de l'air intérieur en générant de nouveaux polluants, notamment l'ozone pour des systèmes tels que l'ozonation, l'ionisation ou le plasma. La formation de particules a également été soulignée, en lien avec l'interaction qui peut se produire entre des terpènes déjà présents et le dispositif. Les terpènes sont des composés organiques volatils qui servent par exemple de désodorisants, que l'on peut retrouver dans l'air intérieur, et leur interaction avec le dispositif peut former des particules secondaires. Il peut aussi se former des polluants cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques tels que le formaldéhyde ou le toluène avec certains autres dispositifs.

Certains traitements utilisent des UV, qui sont un germinicide puissant. Ils s'attaquent au matériel génétique des micro-organismes et sont évidemment efficaces pour les détruire. Les seules réserves sur ces traitements sont, d'abord, qu'ils ne puissent pas rayonner directement vers l'être humain puisque nous savons que ceci peut provoquer des érythèmes, des lésions cutanées, des inflammations au niveau de la cornée, des conjonctivites et, ensuite, d'assurer que leur utilisation ne produit pas d'ozone.

À l'inverse de toutes ces technologies qui impliquent un traitement physico-chimique de l'air, la filtration de type HEPA, qui n'avait pas été investiguée à l'époque, n'induit évidemment pas de sous-produit dangereux pour la santé puisqu'elle repose sur une filtration mécanique. Par ailleurs, nous avons plus de recul sur cette technologie qui est déjà ancienne. Elle est notamment utilisée dans les hôpitaux et les laboratoires. Les normes doivent garantir une efficacité de filtration d'au moins 99,95 % des particules de 0,3 micron à partir de tests en conditions de laboratoire. Il s'agit donc de filtres de type H13 ou H14.

Les réserves portant sur les filtres HEPA rejoignent ce qui vient d'être dit par monsieur Squinazi : le rapport entre coût et efficacité en conditions réelles nous semble loin d'être évident, pour quatre raisons. La première est que leur efficacité en conditions réelles n'est pas démontrée. La deuxième est que cela nécessite des réglages, un conditionnement adapté aux conditions de la salle et à la fréquentation. Cela nécessite aussi un entretien régulier des filtres : il ne s'agit donc pas uniquement de poser le matériel et d'appuyer sur un bouton. La troisième raison est que ces appareils peuvent générer un faux sentiment de sécurité. Leur utilisation peut donc entraîner une moindre observance de la ventilation naturelle ou mécanique et du respect des gestes barrières dans le contexte de la pandémie. Le dernier point est que ce filtrage ne permet pas l'apport d'air neuf.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que la priorité doit être tournée sans conteste sur l'aération et la ventilation, en complément des gestes barrières et du port du masque in primis pour ce qui concerne la pandémie.

Ensuite, je voudrais évoquer un point sur la question des concentrations de CO2 dans l'air intérieur puisque c'est un sujet sur lequel l'Agence a également rendu une expertise, en 2013. À l'occasion de cette expertise, nous avions fait une revue des valeurs de concentration en dioxyde de carbone et de leurs effets sur la santé dans les environnements intérieurs, en collaboration avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Il faut rappeler qu'il existe des valeurs limites, réglementaires ou normatives, pour les concentrations de CO2, qui varient usuellement entre 1 000 ppm et 1 500 ppm suivant les pays, plutôt vers 1 000 ppm en France. Les règlements sanitaires départementaux et le code du travail encadrent ces valeurs.

Nous savons que certains environnements avec un fort taux d'occupation, comme les salles de classe, sont souvent loin du compte au regard du respect de ces normes. Nous savons aussi que les concentrations en CO2 mesurées dans l'air des écoles ont été associées à des symptômes d'asthme, à une altération des performances cognitives et à de l'inconfort. Une publication de Satish datant de 2012 suggérait également des effets sur les performances psychomotrices – prise de décision ou résolution de problèmes – à partir d'une concentration de 2 000 ppm.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que les investissements qui peuvent être consentis pour améliorer le renouvellement de l'air intérieur ne doivent pas être vus qu'au regard du contexte épidémique actuel. Ils sont également susceptibles d'améliorer sur le long terme la santé, le confort et les capacités d'apprentissage de nos enfants. Cela justifie d'investir sur une amélioration de la ventilation dans ces espaces.

Pour conclure sur le thème de la pollution de l'air et du Covid, nous avons publié une note d'appui scientifique et technique en juillet dernier. Cette note avait d'abord pour objectif de récapituler l'état des connaissances sur la transmission par aérosols, qui a déjà été largement évoquée par les précédents interlocuteurs. L'objectif était également d'étudier la viabilité dans l'air du virus et les questions de dose infectante qui restent encore très complexes. Nous avons analysé à cette occasion quelque 400 publications scientifiques.

La note confirme qu'il existe un fort faisceau d'arguments en faveur d'une transmission par aérosols. Nous parlons toujours de faisceau d'arguments et non de preuve pour la simple et bonne raison que, aujourd'hui, il n'existe pas d'étude expérimentale chez l'homme permettant de prouver la transmission par aérosols et que des études épidémiologiques ne permettent pas de prouver une transmission par aérosols, même si beaucoup de travaux épidémiologiques déjà évoqués montrent un risque augmenté dans les environnements intérieurs mal ventilés.

Nous n'avons toujours pas de réponse quant aux parts respectives des différentes voies de transmission dans le risque d'infection. Très honnêtement, c'est une question à laquelle il risque d'être très difficile, voire impossible, de répondre puisqu'elle s'est déjà posée pour la grippe et qu'elle reste sans réponse. Pour autant, les nombreuses publications scientifiques sur le sujet au cours de ces deux années d'épidémie montrent de façon certaine que le risque de transmission est augmenté dans les environnements intérieurs fortement fréquentés, confinés ou mal ventilés. C'est un point sur lequel nous avons une forme de certitude.

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