Intervention de Manuel Rosa-Calatrava

Réunion du jeudi 4 novembre 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Manuel Rosa-Calatrava, directeur de recherche à l'Inserm, codirecteur du laboratoire de virologie et pathologie humaine (VirPath) :

Je suis virologiste de formation. Le savoir-faire du laboratoire VirPath à Lyon consiste en l'étude, la manipulation, la production et la quantification des virus respiratoires infectieux tels que les virus influenza, les pneumovirus notamment responsables des bronchiolites des jeunes enfants et le SARS-CoV-2 depuis janvier 2020. Nous avons une activité très soutenue, tant sur le volet des antiviraux que sur le volet des vaccins. Un troisième axe nous implique fortement dans la lutte contre le SARS-CoV-2 depuis deux ans et s'inscrit dans notre démarche de contribuer à un meilleur contrôle des pathogènes viraux respiratoires : il s'agit de l'évaluation des dispositifs et technologies d'épuration de l'air.

Je suis en complet accord avec les interlocuteurs précédents mais j'ai quand même plusieurs commentaires et précisions à apporter. Le premier est que la pandémie à SARS‑CoV‑2 a, je crois, permis de prendre véritablement conscience de l'importance de l'enjeu sanitaire, économique et sociétal de la qualité de l'air intérieur. Finalement, le SARS‑CoV-2 et d'autres virus respiratoires tels que les virus influenza ou les virus responsables des bronchiolites sont des pathogènes qui se transmettent par aérosols comme cela a été prouvé par différentes études précliniques avec des modèles animaux, mais également par contact de surface.

Je donne quelques chiffres pour replacer dans son contexte la lutte actuelle contre le SARS-CoV‑2 mais aussi, en termes d'investissement d'avenir, contre des épidémies saisonnières. Les virus influenza responsables de la grippe provoquent entre 5 000 et 15 000 morts par an en France et plus de quatre millions de journées de travail perdues, alors qu'il existe plusieurs vaccins disponibles sur le marché et plusieurs antiviraux. Pour les pneumovirus responsables notamment des bronchiolites mais aussi de pneumopathies sévères chez les personnes âgées, il n'existe sur le marché ni vaccin ni antiviral. C'est un vrai problème et, actuellement, avec le déficit de l'immunité collective vis-à-vis des virus type virus respiratoire syncitial (VRS) et métapneumovirus, une problématique sanitaire supplémentaire s'ajoute à la pandémie à SARS‑CoV‑2.

Dans ce contexte, nous avons mené un certain nombre d'études et d'essais pour évaluer les purificateurs d'air filtrants, notamment sur la base des recommandations du Haut Conseil de la santé publique comme l'a rappelé monsieur Squinazi, et à la demande de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous avons mobilisé un banc d'essai de 2,5 mètres cubes, dans lequel nous sommes capables de générer des atmosphères très hautement contaminées par des virus respiratoires – en l'occurrence le virus SARS-CoV-2 – pour caractériser selon un protocole scientifique, avec tous les contrôles nécessaires, les performances des purificateurs d'air filtrants. Nous avons notamment étudié l'abattement de particules virales infectieuses et la stabilité du SARS‑CoV‑2 sur les filtres HEPA.

L'objectif n'était bien évidemment pas de prouver l'efficacité des filtres HEPA H13 ou H14. Ce sont des dispositifs que nous avons dans nos laboratoires, notamment dans notre laboratoire BSL-3 (biosafety level 3) ou P3 (pathogènes de classe 3) au niveau de l'air entrant et de l'air sortant. L'objectif était d'évaluer un dispositif dans son entièreté, selon son mode de fonctionnement, le débit d'air et la durée de fonctionnement.

Nous sommes conscients des limites de nos technologies et de nos savoir-faire. Le premier point important à retenir est que, pour évaluer ces technologies, la mesure fondamentale en ce qui concerne les virus respiratoires est le nombre de particules infectieuses et non la détection de génomes viraux. Ceci nécessite un savoir-faire en termes de production en grands volumes de ces virus respiratoires, de génération d'atmosphères très hautement contaminées par nébulisation et de récolte en préservant le mieux possible les virus infectieux résiduels après fonctionnement de ces épurateurs, de façon à pouvoir quantifier ces particules virales infectieuses et mesurer l'abattement viral.

Pour évaluer ces dispositifs in situ, nous n'allons certainement pas nébuliser du virus infectieux dans une salle de classe ou dans un établissement recevant du public (ERP). L'enjeu est de disposer d'un banc d'essai de très grand volume mimant le mieux possible les conditions environnementales in situ, c'est-à-dire avec des approches d'aéraulique, de génération de flux d'air anarchiques comme dans une salle de classe ou maîtrisés, contrôlés comme par exemple dans une salle propre, de pouvoir modéliser cette aéraulique, de faire varier des paramètres environnementaux comme la température et l'hygrométrie, et de générer des atmosphères très hautement contaminées par des virus infectieux dans de grands volumes.

Notre ambition est de proposer un protocole de déploiement in situ de ces dispositifs, ce que nous ne sommes pas capables de faire aujourd'hui. Je parle du nombre de ces dispositifs, de leur mode de fonctionnement selon leurs caractéristiques de débit d'air, et de leur disposition dans ces environnements. Nous nous sommes fixé cet objectif avec plusieurs acteurs du domaine et nous espérons bien pouvoir l'atteindre parce que le besoin est énorme. Il a été exprimé par les interlocuteurs précédents, par les institutions et par les industriels. Il faut pouvoir évaluer les performances de toutes ces technologies dans les conditions les plus proches de la réalité.

L'autre problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est l'absence de normes françaises, et même mondiales, par rapport à la décontamination de l'air sur un plan virologique. Ce problème s'explique assez facilement parce que manipuler, produire, quantifier des virus infectieux nécessite des savoir-faire, des technologies, des espaces de laboratoire dédiés et qualifiés au niveau BSL‑2 ou BSL-3.

Nous avons intégré plusieurs groupes de travail de l'Association française de normalisation (AFNOR) pour essayer de compléter la norme B44-200 que M. Squinazi a contribué à mettre en place par un volet virologie. Comme l'Anses et le Haut Conseil de la santé publique l'ont recommandé, nous intégrons l'évaluation de ces dispositifs selon une norme qui mime le plus fidèlement possible la réalité des environnements avec ces données d'aéraulique, de paramètres environnementaux et toute la biologie associée au virus.

En effet, la contamination par aérosols est possible mais ces aérosols sont très hétérogènes en termes de taille de particules et de composition. Ils sont constitués de mucus, de salive et tout l'enjeu de notre travail au laboratoire est de mimer au mieux les conditions environnementales in situ pour être capables de caractériser du mieux possible les performances des dispositifs purificateurs d'air filtrants mais également des autres technologies comme les UV-C (bande 100-280 nm des ultraviolets), l'ozone, la photocatalyse. Il s'agit de proposer des protocoles de déploiement in situ de ces dispositifs.

Pour vous faire saisir la difficulté technologique et les besoins logistiques et matériels pour évaluer ces dispositifs en atmosphère très hautement contaminée, je vais vous présenter une vidéo d'une minute environ.

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