Intervention de Dr Olivier Robineau

Réunion du jeudi 16 décembre 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Dr Olivier Robineau, infectiologue au centre hospitalier de Tourcoing, coordinateur de la stratégie Covid long de l'ANRS-Maladies infectieuses émergentes :

Merci beaucoup, Madame la présidente, de me faire l'honneur de pouvoir présenter ces travaux, tenter de faire un état des lieux de la recherche et expliquer pourquoi le sujet de ce jour est extrêmement compliqué.

Quelques diapositives vont vous être présentées. L'objectif est de montrer, à travers quelques exemples tirés de la littérature scientifique, que la question est éminemment complexe et qu'il va falloir faire preuve à la fois de nuance et d'ouverture d'esprit pour considérer les différentes possibilités physiopathologiques qui guident cette pathologie et qui sont probablement très intriquées.

La première diapositive, par laquelle je commence toujours, est très importante : il s'agit de la photographie, publiée dans le British Medical Journal en 2020, de la lettre d'une patiente ayant contracté le Covid-19 pendant la première vague, dans laquelle elle détaille les symptômes qu'elle a présenté et présente encore longtemps après. C'est de là qu'est venue l'expression « Covid long », qui est d'abord apparue sur les réseaux sociaux au sein de la communauté des patients concernés. Cette terminologie est ainsi étroitement associée à la forme ambulatoire de la pathologie, alors que la Covid entraîne aussi des conséquences pour les personnes ayant été hospitalisées.

Il est dès lors plus juste, si l'on veut réfléchir à un niveau plus général, de parler d'« état post-Covid », et c'est d'ailleurs ce terme, « post-Covid condition » en anglais, qui est utilisé par l'OMS.

Je vais m'intéresser assez longuement à la définition de cet état, parce que c'est nécessaire quand on fait de la recherche : pour pouvoir comparer différents travaux scientifiques, suivre les cas, il faut des définitions précises.

À l'heure actuelle, l'« état post-Covid » n'a toujours pas de définition précise, même si la notion est un peu plus claire. La problématique est celle de la chronicité : au bout de combien de temps peut-on parler de post-Covid ? On peut répondre de façon arbitraire : trois semaines pour le long, trois mois pour le chronique – c'est ce qui a été décidé très rapidement en Angleterre. On peut aussi utiliser un critère épidémiologique : ce serait alors la durée à partir de laquelle un nombre de patients anormal quoique faible présente encore des symptômes, et l'on pourrait ainsi décider qu'au-delà de la phase aiguë de la maladie, soit trois semaines, commence l'état post-Covid. Enfin, comme l'a fait la Haute Autorité de santé, on peut donner une réponse très pratique, qui ne constitue pas une définition à proprement parler mais tente de circonscrire la problématique : la durée à partir de laquelle il existe des interrogations sur la cause ou à partir de laquelle une prise en charge spécifique ou adaptée peut être proposée. Ce type de réponse très pragmatique existe déjà en médecine, dans d'autres situations : les diarrhées sont par exemple dites chroniques au bout de quelques semaines, ce qui signifie simplement que c'est à partir de ce moment que l'on va faire des examens complémentaires pour en chercher la cause et soigner les patients. Concernant l'état post-Covid, on s'est raisonnablement dit qu'au-delà d'un mois, il fallait faire des investigations pour éliminer la possibilité d'autres étiologies et pouvoir prendre en charge les patients rapidement.

La question de la définition de l'état post-Covid nécessite de s'intéresser aux populations concernées. S'agit-il de patients hospitalisés ou ambulatoires ? On se rend compte aujourd'hui que les deux catégories formulent plus ou moins les mêmes plaintes. La distinction faite initialement entre hospitalisés et ambulatoires a donc peut-être moins de fondement aujourd'hui.

L'état post-Covid est-il défini par des symptômes spécifiques ou une association spécifique de symptômes ?

Enfin, la définition d'une maladie se fonde en général sur une origine physiopathologique. Si un marqueur pouvait déterminer une cause physiopathologique de l'état post-Covid, ce serait très facile, mais ce n'est malheureusement pas le cas. C'est le problème ici, car beaucoup d'hypothèses demeurent.

L'OMS a proposé une définition, en utilisant la méthode Delphi : un panel d'experts a répondu à un ensemble de questions sur ce qui devait ou non entrer dans la définition, avec une gradation. La définition ainsi obtenue est celle-ci : on peut parler d'affection post-Covid lorsqu'il y a des antécédents d'infection probable ou confirmée par le SARS-Cov-2, et des symptômes présents trois mois après l'infection, persistant au moins deux mois, et ne pouvant être expliqués par un autre diagnostic.

Dans l'expression « infection probable ou confirmée », on aperçoit déjà la question de la sensibilité des tests et de la sur-attribution au Covid-19 de patients présentant des symptômes évocateurs et néanmoins non atteints.

La suite de la définition de l'OMS pose problème, toujours à cause de cette sur-attribution possible : « Les symptômes peuvent être d'apparition nouvelle après un rétablissement initial, à la suite d'un épisode de Covid-19 aigu, ou persister après la maladie initiale. Les symptômes peuvent également fluctuer ou récidiver au fil du temps. » Il faut évidemment que ces symptômes n'aient pas une autre explication physiopathologique ou une autre étiologie. Avec cette deuxième partie de la définition, on a ainsi le risque d'attribuer au Covid tous les événements cliniques survenant dans les mois qui suivent une infection au Covid. L'OMS le dit d'ailleurs clairement, qualifiant cette définition d'octobre 2021 de transitoire : elle sera amenée à être modifiée au fur et à mesure des découvertes.

Sur quoi ces définitions se fondent-elles ? En premier lieu, sur l'épidémiologie descriptive. Considérons la prévalence de cet état post-infectieux, en reprenant notre distinction entre patients ambulatoires et hospitalisés. Les données concernant les patients hospitalisés sont assez similaires selon les régions, malgré quelques différences : globalement, plus de 50 % de patients se plaignent d'au moins un symptôme au-delà de six mois. Pour les patients ambulatoires, il y a une grande variabilité selon les régions : cela tient essentiellement à la méthodologie utilisée et probablement aux populations sur lesquelles les études ont été faites. J'aime beaucoup une étude qui a été réalisée aux Îles Féroé très tôt dans la pandémie. L'ensemble des patients de ces îles avaient pu être suivis et 53 % d'entre eux avaient encore au moins un symptôme après quatre mois.

L'étude suisse du docteur Mayssam Nehme, qui interviendra tout à l'heure, fait partie des meilleures études jamais réalisées sur le suivi des patients ayant consulté pour leurs symptômes : 32 % des patients ont encore au moins un symptôme à J+45 jours, et un taux proche après 7 mois de suivi.

Dans l'étude du National Institute for Health Research (NIH), environ 10 % des patients britanniques étudiés ont encore un symptôme après trois mois.

Enfin, une étude internationale parue dans Nature Medecine, majeure, estime à 2,6 % les personnes encore symptomatiques à 84 jours. La réserve que l'on doit émettre est qu'il s'agit d'une estimation minimale, et que les patients ont été suivis de manière séquentielle : l'étude a considéré que les personnes qui n'étaient plus suivies et qui présentaient moins de trois symptômes lors de leur dernier examen étaient guéries. Or on sait aujourd'hui que la plupart des patients ont moins de trois symptômes. Cette étude sous-diagnostique donc la prévalence du Covid long. Mais elle reste excellente sur un certain nombre de points qui ont apporté assez tôt, en janvier 2021, une lumière sur le Covid long.

Au sujet de la présentation clinique et des facteurs de risque, l'étude suisse a suivi les patients au moment du diagnostic, entre 35 et 45 jours après, et entre 7 et 9 mois après. Sur la partie haute de la diapositive on trouve les symptômes recherchés initialement : il s'agissait de la liste élaborée lors de la première vague, qui a été augmentée par la suite. Dans la partie basse, on trouve les symptômes additionnels qui ont été recherchés au cours du suivi de ces patients. On voit que les patients présentant au moins un symptôme représentaient 44 % du total entre 30 et 45 jours après le diagnostic et 39 % de 7 à 9 mois. Les symptômes les plus prévalents sont l'asthénie, l'anosmie, les céphalées, la dyspnée, les myalgies et la toux. Cette étude ne permet pas encore de dire si ces symptômes sont vraiment tous attribuables au Covid, car ils sont assez communs, en dehors de l'anosmie qui est le seul symptôme vraiment spécifique et qui reste très importante – il y a ainsi 15 % d'anosmiques à 9 mois. Les autres symptômes peuvent être trouvés dans d'autres états pathologiques. Toute la question est donc de savoir quelle est la part de ces symptômes attribuable au Covid.

Quels sont les facteurs de risque connus ou discutés ? Parmi les facteurs les moins contestés, nous trouvons l'hospitalisation, ou le contact avec l'hôpital, autrement dit la sévérité de la maladie. Plus le patient a eu un Covid sévère, plus il a des symptômes qui persistent. On trouve également la présentation clinique initiale « bruyante » : un certain nombre d'articles montrent ainsi que plus les patients ont eu de symptômes, pour ceux suivis en ambulatoire, plus certains de ces symptômes persistent. On peut noter une particularité du symptôme de l'anosmie, qui peut apparaître de façon isolée lors de la phase d'infection et persister de façon isolée chez un certain nombre de patients. Enfin, l'âge et le sexe féminin ont été identifiés comme facteurs de risque d'avoir des symptômes persistants.

Parmi les facteurs de risque discutés, une publication évoque le faible taux d'anticorps. C'est possible, mais je reste prudent pour des raisons méthodologiques : l'étude n'était pas initialement faite pour cela, et il faudrait d'autres travaux pour confirmer ce point. Sans entrer dans des considérations calculatoires, disons qu'il faut prendre ces résultats avec certaines limites indiquées d'ailleurs dans l'étude.

À partir de l'image qui est ainsi dressée – les multiples symptômes évoqués par les patients, la comparaison entre les Covid longs et les Covid « courts », une première approche des facteurs de risque –, le problème majeur qui apparaît est qu'en dehors de l'anosmie et l'agueusie, les autres symptômes sont peu spécifiques. Ceci crée deux risques opposés : une sur-attribution au Covid de symptômes communs à d'autres pathologies, retardant le diagnostic de celles-ci ; à l'inverse, une sous-attribution au Covid des symptômes ressentis, entraînant la recherche d'autres causes, avec une multiplication d'examens inutiles et l'anxiété afférente. Il y a donc lieu de chercher si certains symptômes sont vraiment associés au Covid, c'est-à-dire à la fois s'ils sont plus présents que dans d'autres situations – on doit alors comparer les personnes faisant un Covid-long aux personnes n'ayant pas eu le Covid – et si les patients « Covid long » présentent des symptômes similaires ou non à d'autres infections.

Il faut partir du fait que le Covid long est un état post-infectieux. Or, de nombreux autres états post-infectieux existent, par exemple après une grippe : chacun connaît des personnes qui ont eu une grippe et disent ne pas s'en être remises six mois après. La question est de savoir si les symptômes et les hypothèses physiopathologiques sont les mêmes ou diffèrent selon ces états post-infectieux. A-t-on affaire à quelque chose de générique ou y a-t-il des mécanismes spécifiques et des particularités sémiologiques et cliniques dues à l'agent pathogène initial ?

Sur ce sujet, on dispose de très peu de travaux. L'un des premiers, un article de Havervall et al. publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), comparait les états à 2 mois et à 8 mois chez des soignants : 26% des soignants ayant été atteints du Covid présentaient au moins un symptôme pendant 2 mois, au lieu de 9 % chez les soignants ayant une sérologie négative ; pour les personnes présentant au moins un symptôme pendant 8 mois, les taux étaient respectivement 15 % et 3 % ; les symptômes rapportés étaient des troubles du sommeil, des céphalées, des palpitations, des troubles de la concentration, des douleurs musculaires, des troubles de la mémoire, une anosmie, de la fatigue, soit une liste assez importante.

L'étude n'a pas réalisé d'ajustements permettant de rendre comparables les groupes examinés : on peut imaginer qu'un groupe contiendrait peut-être des patients plus âgés, ou davantage d'individus d'un sexe plutôt que de l'autre. Des ajustements, en prenant des personnes de même âge, de même sexe, etc., auraient peut-être produit d'autres résultats.

Pour autant, cette étude est importante car elle est la première à s'être intéressée à la question de la qualité de vie : dans les trois dimensions du travail, de la maison et de la vie sociale, on trouve une qualité de vie altérée chez les personnes séropositives au Covid par rapport aux séronégatives.

L'article de Wanga et al. paru dans le Morbidity and Mortality Weekly Report est à l'heure actuelle la meilleure étude qui compare des personnes ayant eu le Covid et des personnes ne l'ayant pas eu. L'échantillonnage met en rapport des groupes d'Américains comparables, ce qui est très important. L'étude montre par exemple que la fatigue est ressentie par 34 % de personnes ayant eu le Covid et 28 % de personnes ne l'ayant pas eu, soit une différence de 6 points. On voit que ces symptômes sont très fréquents et que la part attribuable au Covid n'est pas négligeable. Pour le changement de l'odorat (symptôme très associé au Covid), c'est respectivement 26 % et 3,9 %. Pour la dyspnée, c'est 24 % et 12 % ; pour la toux, c'est 22 % et 11 %. Fait intéressant, les résultats sont inversés pour certains symptômes : les troubles du sommeil et les douleurs musculaires paraissent moins fréquents chez les personnes ayant eu le Covid que chez les personnes ne l'ayant pas eu. Ce sont pourtant des plaintes régulières chez les patients. Il faut donc réussir à faire la part des choses. Les diarrhées ne sont ainsi pas plus fréquentes chez les patients ayant eu le Covid.

Il est important de comparer ce qui est comparable : deux études ont comparé des personnes ayant eu le Covid et d'autres pathologies, notamment la grippe, sans doute la pathologie respiratoire qui s'en approche le plus en termes de gravité et comme phénomène épidémique. Il y a eu très peu de grippes pendant la pandémie, ce qui limite la portée de ces travaux, car on compare des patients qui n'ont pas été suivis pendant la même période. Ainsi le fait même de la pandémie, du confinement, avec ses conséquences psychologiques, n'a pas pu être pris en considération.

La première de ces études inclut à la fois des patients suivis en ambulatoire et des patients hospitalisés – la deuxième, que je ne présenterai pas, s'intéresse uniquement aux personnes hospitalisées. Les différences entre les patients ayant eu le Covid et les autres concernent à peu près tous les symptômes : anxiété, douleurs abdominales ou thoraciques, myalgies, etc. Ils sont plus importants chez les patients ayant eu le Covid.

On peut s'étonner car dans l'étude précédente, les différences étaient moindres. Mais on y considérait des personnes testées positives, prises dans la population générale, alors qu'ici on s'intéresse à des personnes qui ont consulté pour le Covid, ce qui signifie probablement que leur cas est un peu plus sévère. Ce que ces chiffres suggèrent, c'est que l'état des personnes qui consultent pour le Covid est plus sévère que celui des personnes qui consultent pour une grippe.

Il demeure donc une question : avec des symptômes équivalents en nombre ou en intensité, le Covid et la grippe entraînent-ils des symptômes similaires ? Quelques données, pas encore publiées, suggèrent qu'il y a très peu de différence entre le Covid et un autre état infectieux, à intensité initiale comparable. Mais cela reste encore à discuter et à démontrer.

En résumé, sur la problématique de l'épidémiologie, il faut caractériser soigneusement le public étudié – population générale, personnes ayant consulté pour leurs symptômes, personnes ayant été hospitalisées, avec ou sans un passage en réanimation, etc. – car les résultats diffèrent selon les catégories. Par ailleurs, la plupart des travaux ont concerné la première vague, mais les travaux à venir vont s'intéresser aux autres vagues, portées par d'autres variants. Nous n'avons pas encore de données quant à d'éventuelles différences selon les variants, il faudra là aussi faire attention au fait que les notions de prise en charge, d'anxiété, d'angoisse, de contexte épidémique se sont modifiées depuis la brutalité de la première vague et du premier confinement.

Dans le domaine physiopathologique, un article excellent, bien qu'un peu ardu, paru dans la revue Cell, reprend les différentes hypothèses. Pour rappeler ce qu'est le Covid : on a tout d'abord la phase aiguë, maintenant bien connue, qui correspond à la phase virale initiale avec ses symptômes viraux classiques : le nez qui coule, le petit essoufflement, la toux, les douleurs diffuses – à peu près ceux d'une grosse grippe. Ensuite, il peut y avoir une petite amélioration, puis les symptômes repartent : c'est ce qu'on appelle la phase inflammatoire. Le virus est probablement toujours un peu présent et l'inflammation apparaît ; c'est une défense de l'organisme, et c'est elle qui est délétère et responsable de la gravité de la maladie. Il y a bien sûr des personnes qui ne tolèrent pas la première phase, virale, mais chez la grande majorité des patients, c'est la phase inflammatoire qui n'est pas tolérée. Cela a un impact thérapeutique important, dont le grand public a entendu parler dans les médias : les traitements antiviraux et les traitements par anticorps, qui agissent sur le virus, donc pendant la première phase, et qu'il faut administrer très tôt, ont peu ou pas fonctionné sur les patients hospitalisés. Pour la phase inflammatoire, il faut des corticoïdes, ainsi que d'autres traitements immunosuppresseurs, ou immunomodulateurs, qu'on utilise dans d'autres maladies inflammatoires chroniques.

Après cette phase, les symptômes évoluent ; certains peuvent disparaître, d'autres apparaître. Plusieurs questions se posent : le virus disparaît-il ou est-il encore présent, par exemple sous la forme d'un réservoir caché ? L'inflammation persiste-t-elle ? Peut-elle augmenter ? Le virus peut-il même déclencher d'autres processus inflammatoires ? C'est une chose assez connue en médecine : il existe des déclencheurs viraux qui conduisent à d'autres pathologies. Au sujet du Covid, il y a eu très peu de diagnostics de maladies auto-immunes, alors qu'on pensait qu'il y en aurait beaucoup. Il y a eu notamment toute une discussion autour de la thyroïdite, l'inflammation de la thyroïde, or les données semblent finalement montrer qu'il n'y en a pas plus chez les personnes ayant eu le Covid, voire un peu moins. Il y a enfin une dernière question : persiste-t-il une inflammation chronique, celle-ci pouvant être associée à la persistance d'un virus ou en être complètement indépendante, dans une sorte d'autonomisation de l'inflammation ? Il existe d'autres infections virales qui peuvent persister longtemps dans l'organisme, par exemple l'infection au cytomégalovirus (CMV) ou au virus d'Epstein-Barr (EBV), la fameuse mononucléose. Chacun connaît des personnes ayant eu une mononucléose à l'âge adulte et qui sont restées fatiguées pendant six mois ou un an. Ce sont des virus dont la persistance est démontrée ; ils appartiennent à la grande famille des herpès, qui peuvent réapparaître et entraîner une inflammation parfois chronique. Bien que quelques cas aient été décrits, les coronavirus ne sont pas censés pouvoir rester longtemps dans l'organisme. L'hypothèse de la persistance virale comme explication de l'état post-Covid est parmi les moins probables, bien que les données actuelles de la littérature scientifique ne permettent pas de l'exclure et qu'il faille donc l'investiguer avec sérieux.

Je rappelle par ailleurs qu'il y a de multiples interactions possibles entre les cellules, et qu'elles vont mobiliser des mécanismes de défense qui peuvent être inappropriés.

Le tableau que je vous présente maintenant est tiré d'un article publié il y a deux mois dans la revue Frontiers in immunology : soixante-dix patients qui avaient des symptômes modérés ou importants à l'hôpital ont été comparés à des individus sains. Un grand nombre de marqueurs de l'inflammation, de régulateurs de l'inflammation, ont ainsi été dosés – moins de trois mois se sont écoulés depuis l'infection – et l'on voit qu'un certain nombre de protéines de l'inflammation sont anormalement exprimées chez les personnes qui ont eu le Covid.

De multiples articles ont été écrits sur ce sujet : la plupart ont porté sur des patients sévèrement atteints, parce qu'on les avait « sous la main », et il était sans doute dès lors plus facile de trouver quelque chose, car la gravité de la maladie entraîne des anomalies beaucoup plus visibles. L'étude citée permet de formuler diverses hypothèses : certains globules blancs, les monocytes CD16+, sont persistants et induisent la production d'une protéine IL6, qui entraîne des lésions pulmonaires. Y aurait-t-il chez les patients peu sévères une sécrétion locale a minima de cette protéine, entraînant des lésions pulmonaires et expliquant la persistance de la dyspnée, qu'on ne verrait pas sur une imagerie standard ? Cela fait partie des hypothèses.

Le TNF-alpha est une autre protéine de l'inflammation, qui active un certain nombre de cellules de l'inflammation, dont on peut imaginer qu'elles ont un impact sur certains symptômes, comme la fatigue.

L'étude, qui est assez originale, a mis en évidence les complexes immun-IgA. Ce sont des anticorps particuliers qui s'attachent à une autre protéine, et l'on retrouve cette association dans d'autres pathologies auto-immunes et dans d'autres maladies inflammatoires chroniques.

On trouve donc sur des patients à moins de trois mois des analogies avec d'autres maladies, des anomalies, dont le lien avec les symptômes reste cependant sujet à débat. Le défi majeur consiste à savoir s'il s'agit d'une convalescence longue, avec des anomalies qui vont finir par disparaître, ou d'une autonomisation d'un processus inflammatoire. La cinétique de l'état clinique doit être prise en compte : il va falloir attendre la disparition des anomalies et voir si ce retour à la normale est associé ou non à la disparition des symptômes.

Un autre article publié dans Frontiers in immunology a procédé à une revue de la littérature et fait le point, selon les symptômes – la diapositive n'en indique que trois : symptômes respiratoires, syndromes cardio-vasculaires et troubles du système nerveux central –, sur les manifestations cliniques, les lésions que l'on peut détecter avec les techniques standard d'imagerie, et les hypothèses associées. Pour chaque atteinte, la liste des hypothèses est très longue. Tout reste donc très ouvert. Est cité à différents endroits le rôle de l'hypoxie sur l'atteinte du système nerveux central, le rôle de l'inflammation ou de l'invasion virale : toutes ces hypothèses sont évoquées, mais aucune ne se détache réellement.

Il est important de faire un point sur les troubles fonctionnels, dont on entend beaucoup parler. On gagne d'ailleurs toujours à travailler sur ce sujet, car on trouve une part fonctionnelle dans toute pathologie chronique. Que sont les troubles fonctionnels ? Ce ne sont pas une maladie imaginaire, mais une véritable maladie, avec de vrais symptômes qui persistent sans pouvoir être expliqués par une dysfonction de l'organe qu'ils désignent. Ces symptômes sont l'apanage des pathologies chroniques. Il y a des facteurs de risque, notamment psychologiques mais pas uniquement, pour la persistance de ces symptômes. Il y a également des facteurs d'entretien de nature comportementale ; par exemple, le patient va éviter de faire les actions qui le fatiguent, et cet évitement entraîne en retour une baisse de la capacité à accomplir ces actions.

Les troubles fonctionnels ont probablement une part dans le Covid, mais il reste à démontrer s'ils expliquent tout ou partie des symptômes. Il est néanmoins très important de les rechercher, de les étudier et de les prendre en charge, et l'on doit noter qu'il y a à l'heure actuelle très peu de publications sur cette thématique.

En conclusion, les symptômes persistants post-Covid existent et sont polymorphes. Ils ne sont pas spécifiques de la pathologie, en dehors de l'anosmie et de l'agueusie, et ils n'éliminent pas des étiologies différentes aboutissant à des symptômes proches. La réflexion sur les phénomènes post-infectieux est donc un enjeu majeur de santé publique, tant pour les pathologies que l'on connaît que pour des pathologies futures, car nous ne sommes pas à l'abri de nouvelles émergences. C'est pourquoi il est nécessaire de faire de la recherche multidisciplinaire. Enfin, nous devons prendre conscience de la nécessité d'améliorer la prise en charge post-traitement des infections aiguës. En effet, il n'existe pas vraiment de suivi pour la plupart des pathologies de ville. Que se passe-t-il six mois ou an après avoir eu une grippe sévère, un EBV ou un CMV ? Les données sont très parcellaires.

Je termine en rappelant qu'un appel à projet sur le Covid long a été ouvert, du 8 novembre au 1er décembre ; les dossiers sont en cours d'arbitrage et l'on espère connaître très rapidement la liste des projets acceptés. Il y aura une deuxième session du 1er février à la mi-mars 2022, les dates étant à confirmer, et l'on y retrouvera probablement certains projets soumis en première session qui n'étaient pas alors assez mûrs. On a cherché pendant un an des équipes pour travailler sur ce sujet. Il a été compliqué d'en trouver, parce que les chercheurs étaient débordés. Sans parler d'engouement, le sujet suscite un intérêt véritable : des projets sont déposés, et depuis notre appel, plusieurs chercheurs nous contactent pour monter d'autres projets sur des questions qui n'ont été que très peu évoquées.

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