‑ Je vais présenter la mise en place d'un parcours de soins Covid long à Montpellier, en m'intéressant tout particulièrement à la difficulté du diagnostic.
Même si les chiffres diffèrent selon les études, il semble que 10 % à 30 % des patients Covid développent un Covid long. En France, on estime que 7 millions de personnes au moins ont été diagnostiquées positives au Covid avec des tests PCR ; le Covid long concerne ainsi au bas mot 700 000 personnes. C'est donc un enjeu de santé publique et un défi pour la prise en charge.
On a déjà pu voir la nécessité de formaliser un parcours de soins structuré, fluide, utilisant si besoin la télémédecine. Étant donné le nombre de patients engagés, les tensions dans le système de santé et la démographie médicale, la prise en charge des patients va nécessiter de recourir à la télé-expertise ou à la téléconsultation.
Chacun fonctionne déjà avec son propre réseau de collègues cardiologues, pneumologues, neurologues à qui il adresse régulièrement des patients. Nous devrons activer et formaliser ces réseaux centrés sur le patient : ainsi, celui-ci ne sera plus promené d'un spécialiste à un autre, mais il sera au centre des intervenants, mobilisés autour de lui. Cette démarche n'est pas en soi très originale, mais elle nécessite, pour ces patients-là, d'être mise en place d'une façon plus formalisée.
La première étape, celle de la prise de rendez-vous, se faisait soit sur Doctolib, soit lorsque les médecins généralistes nous adressaient un patient.
La deuxième étape, celle de la consultation, avait lieu si possible en présentiel ; mais il s'agissait parfois de téléconsultations car les patients venaient de toute la France, y compris d'outre-mer. Cette étape était longue : la consultation d'un patient pour lequel on a une suspicion de Covid long nécessite un véritable travail de diagnostic. Il faut au moins 45 minutes pour recueillir l'histoire de la maladie, les symptômes, examiner les patients, refaire le point sur les bilans qu'ils ont déjà eus, et se faire une idée de l'état du patient.
La troisième étape est celle des conclusions préliminaires, avec éventuellement la prescription d'examens paracliniques, comme des échographies cardiaques, des explorations fonctionnelles respiratoires, un scanner pulmonaire, ou une IRM cérébrale, pour établir un premier état des lieux et un diagnostic. Pour les patients qui n'avaient pas eu de bilan préalable ou dont les examens étaient trop anciens ou inadaptés, nous avons mis en place, sur une journée, un parcours de soins permettant de réaliser plusieurs examens, de recueillir plusieurs avis spécialisés, de statuer sur les problématiques existantes et, le même jour, de faire une consultation de synthèse et de déterminer un parcours de soins. Pour d'autres patients, ce parcours d'une journée n'était pas nécessaire, et on complétait ce qu'ils avaient déjà fait par d'autres examens.
Ce parcours visait à écarter divers autres diagnostics n'ayant aucun rapport avec le Covid ou avec le Covid long – les symptômes de ce dernier n'étant pas spécifiques). Il permettait également, à l'inverse, d'éliminer un diagnostic erroné de Covid long, grâce aux définitions désormais admises.
L'intérêt de ce type de parcours est multiple. Il permet en premier lieu d'accélérer le diagnostic et la démarche thérapeutique. Accéder à une simple prise en charge du diagnostic est un véritable parcours du combattant pour le patient. Pouvoir le faire en une journée permet de gagner des mois entiers.
Un tel parcours est un recours pour les patients qui ne sont pas encore pris en charge, mais aussi pour les médecins généralistes, pour qui ce diagnostic n'est pas évident à établir, notamment à cause du caractère chronophage de la consultation. À cet égard, un fonctionnement plus fluide en réseau ainsi que les moyens nouveaux de la télé-expertise devraient permettre d'accélérer les choses.
Un troisième intérêt de ce type de parcours concerne la recherche clinique : il offre la possibilité d'enrichir les cohortes de patients « Covid long » et de mieux comprendre ce qui se passe, dans un contexte brumeux où plusieurs hypothèses coexistent. Les données multiples provenant de différents pays et le grand nombre de patients concernés manifestent la réalité du phénomène. Il faut l'éclaircir en établissant des typologies de patients et proposer des thérapies.
Enfin, sur un plan sociétal, un parcours de soins structuré permettrait de faire des économies de santé, en rationalisant les examens et le suivi proposés aux patients. L'errance de diagnostic est onéreuse : les personnes non prises en charge consultent quatre ou cinq spécialistes sans aucune coordination, se font prescrire des IRM ou des scanners pas nécessairement pertinents, etc. Tout cela a un coût, pour le patient, pour la sécurité sociale et pour un système de santé qui est déjà en forte tension.
Voici maintenant un bilan chiffré rapide – car je ne pense pas que ce soit le plus important : en huit mois, nous avons pris en charge plus de 500 patients, fait plus de 800 consultations et mis en place un peu plus de 140 prises en charge et soins en secteur ambulatoire. Notre planning de consultations est plein jusqu'en juin 2022, ce qui est un vrai problème car certains délais de diagnostics et de prise en charge se chiffrent encore en mois.
Une organisation de ce type ne peut se faire sans la volonté du personnel médical et de la direction de l'établissement. Ce n'est pas simplement une question de système, mais de personnes : nous avons réussi à monter cette organisation parce que nous voulions le faire, et notre établissement nous a suivis parce qu'il a jugé que c'était important. Nous avons ainsi montré qu'un parcours de soins centré sur le patient, inclusif, intégratif, était faisable. Nous avons aussi montré qu'il était efficace en termes de prise en charge du diagnostic, de prise en charge thérapeutique – même si l'on traite davantage les symptômes que les véritables causes physiopathologiques – et de suivi des patients. Car il apparaît clairement que, même en l'absence de traitement définitif et parfaitement efficace, le fait d'être pris en charge, écouté, suivi régulièrement, a un réel effet positif sur les patients. Nous avons enfin montré que ce parcours de soins est parfaitement réplicable : il ne nécessite ni structures ni bâtiments particuliers.
Les compétences et les outils organisationnels sont donc aujourd'hui à notre disposition. Il faut simplement les mettre en œuvre, dans une démarche véritablement centrée sur le patient, où, je le répète, celui-ci n'est pas à la disposition des médecins, mais où les médecins s'organisent pour être à sa disposition. La mise en œuvre n'est pas si simple. Elle nécessite une réelle volonté, un peu d'agilité organisationnelle et l'usage des technologies nouvelles. Les vagues successives de Covid ont bien montré combien la téléconsultation avait été importante pour pouvoir continuer à suivre des patients pour des pathologies autres que le Covid. Cela représente une charge de travail supplémentaire parce que les autres activités n'ont pas disparu et qu'on ne peut abandonner les patients qui ont d'autres pathologies. Cela représente également une charge psychologique, en premier lieu pour les patients qui subissent le Covid long, mais également pour les médecins. Lorsqu'on est réellement à l'écoute, que l'on voit dix à quinze patients par jour pour des diagnostics de Covid long, la charge émotionnelle se fait lourde.
Cela nécessite de faire travailler les réseaux. Les personnes existent, il faut simplement les mettre en relation et créer une dynamique autour d'un objectif commun : s'occuper de ces patients. Enfin, tout ceci nécessite des moyens humains et financiers ; la volonté seule ne suffit pas.
Aujourd'hui, la vraie difficulté est d'obtenir un diagnostic positif de Covid long, car il demeure un simple diagnostic d'élimination. Ce n'est pas parce que les outils de diagnostic manquent que le Covid long n'existe pas, et il faut poursuivre les recherches clinique et fondamentale pour obtenir ce diagnostic positif.
La question de la prise en charge par les assurances, la Sécurité sociale, les mutuelles, et celle de l'ALD (affection de longue durée) sont essentielles. Pour donner un exemple concret, 40 % des patients que je suis sont soit en mi-temps thérapeutique, soit en arrêt maladie. Ces personnes finissent par avoir des problèmes financiers, des problèmes de reconnaissance sociale et sociétale.
La première recommandation que je formule est que nous devons nous organiser mieux, en ouvrant des centres labellisés Covid long comme le font déjà certaines régions de France sous l'impulsion des agences régionales de santé (ARS). Nous avons également besoin de plateformes téléphoniques : les plateformes territoriales d'appui (PTA) disposent de numéros de téléphone où les personnes qui pensent avoir un Covid long peuvent déjà, dans certaines régions, se renseigner sur les modalités de prise en charge au niveau territorial. Il faut accompagner les cellules de coordination départementale « Covid long » pour améliorer la formation et améliorer ce maillage important. Nous avons aussi besoin de réseaux régionaux : si les politiques nationales ne se traduisent pas par des adaptations territoriales, il sera compliqué de prendre en charge les patients.
Par ailleurs, je le répète, l'usage de la téléexpertise entre médecins généralistes et spécialistes doit être étendu, tout comme celui de la téléconsultation pour le suivi de patients. Et il faut développer des réseaux, à l'échelle régionale, nationale et internationale, pour améliorer la prise en charge de ces patients, revenir sur les différentes expériences et entrer ainsi dans un cercle vertueux.
La recherche clinique et fondamentale, pourvoyeuse de preuves, est également importante, mais on ne doit pas attendre d'avoir l'ensemble des résultats pour instituer un certain nombre de prises en charge pour les patients. La question des remboursements, pour les diagnostics et la thérapie, ainsi que le soutien politique et sociétal me semblent également essentiels.
Je tiens à vous remercier pour cette audition, parce que cela manifeste votre soutien politique ou tout au moins l'intérêt que vous y portez. C'est une pierre ajoutée à cet édifice.