Intervention de Huguette Tiegna

Réunion du jeudi 2 décembre 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Tiegna, députée, rapporteure :

Le sujet du biomimétisme est à la fois philosophique et scientifique. Depuis toujours, l'humanité s'est intuitivement appuyée sur la nature pour innover, en s'inspirant notamment du vivant. Notre Terre a une histoire : elle a passé 3,8 milliards d'années à innover et à s'adapter aux changements afin de répondre aux enjeux de survie et de trouver des solutions durables, économes et résilientes. Le vivant est une source d'inspiration réelle et inépuisable.

Le biomimétisme a plusieurs définitions, mais on peut considérer qu'il s'agit d'une approche scientifique pluridisciplinaire qui s'inspire des propriétés et des stratégies de la nature et du vivant pour répondre à des besoins d'ingénierie et d'innovation.

La note scientifique que je présente ce matin a nécessité l'audition de 27 personnes d'horizons bien différents : des scientifiques, des industriels, du personnel administratif ou éducatif, des membres de cabinets de conseil ou encore des militaires. Le sujet n'est d'ailleurs pas tout à fait nouveau pour l'Office, qui avait déjà organisé en 2007 une table ronde sur ce sujet.

Les auditions et les recherches que nous avons menées ont montré que les champs d'application du biomimétisme sont riches et variés, et que la France en raison de son patrimoine de biodiversité exceptionnel peut développer une approche scientifique et en faire une opportunité souveraine.

On estime qu'il y a sur Terre entre 8 et 12 millions d'espèces, dont 2 millions seulement sont connues à ce jour. La France, grâce à ses territoires ultra-marins et à sa zone économique exclusive, deuxième au plan mondial en termes de superficie, possède un capital naturel exceptionnel et abrite environ 10% de la biodiversité décrite dans le monde. À cet immense réservoir de ressources à ciel ouvert s'ajoute le patrimoine des différents musées français d'histoire naturelle, dont la collection la plus importante est détenue par le Museum national d'histoire naturelle, riche de près de 67 millions de spécimens et d'archives documentaires, sources d'un savoir à fort potentiel.

Compte tenu de cette richesse, la France peut, en développant le biomimétisme, valoriser ce capital unique au monde. Le biomimétisme est donc aussi une puissante incitation à la préservation de la biodiversité. Certains scientifiques auditionnés militent pour que le biomimétisme devienne un vecteur d'ouverture de la recherche vers la richesse du vivant et ses potentielles applications. Ces pratiques soutiendraient la lutte contre l'effondrement de la biodiversité.

Avec ces différentes auditions, nous avons pu définir l'éventail des parties prenantes du biomimétisme et leur place sur l'échiquier biomimétique. En France, le Centre d'études et d'expertises en biomimétisme (Ceebios) occupe une place centrale. C'est l'interface entre les mondes industriel, académique et institutionnel. Il ambitionne de promouvoir la démarche bio-inspirée, dans une optique de développement durable, tout en créant des outils méthodologiques et des plateformes de recherche et développement.

Aujourd'hui, quand un industriel français porte un projet bio-inspiré, c'est le plus souvent avec ses propres équipes de recherche et développement, et le soutien scientifique d'acteurs privés, généralement le Ceebios, ou de scientifiques sous partenariat. Car contrairement à l'Allemagne, la France ne compte quasiment pas d'ingénieurs spécialisés en biomimétisme. C'est toute la problématique de la pluridisciplinarité de ce sujet.

De grandes structures généralistes comme Capgemini Engineering et Akka Technologies proposent également des solutions bio-inspirées. Et de plus petites entreprises spécialisées existent : les acteurs de la Défense ou les opérateurs d'importance vitale (OIV) peuvent se tourner vers des cabinets de conseil scientifique.

L'offre de formation en biomimétisme est très limitée. Les deux seuls cursus sont dispensés par l'université de Pau et des pays de l'Adour et l'école de design ENCSI Les Ateliers. Quelques grandes écoles d'ingénieur proposent des initiations au biomimétisme sous forme d'un cours ou d'une courte série de cours. Nos interlocuteurs nous ont fait remonter le besoin d'une sensibilisation à grande échelle et d'une offre plus large afin de développer des formations pluridisciplinaires et des partenariats entre la recherche fondamentale et les départements de recherche et développement de l'industrie.

Malgré des progrès récents, la France est considérée comme étant en retard par rapport à d'autres pays en matière de biomimétisme.

Nous avons eu l'occasion d'entendre notamment nos partenaires allemands, en particulier des fonctionnaires du ministère de l'éducation et de la recherche et des acteurs de l'entreprise – bien que j'aie dû annuler un déplacement prévu à Berlin.

L'Allemagne est le leader européen du biomimétisme. Nous préconisons donc pour renforcer notre compétitivité de soutenir la recherche fondamentale en biologie et en écologie, au laboratoire et sur le terrain, de préserver et de mieux exploiter les collections des musées d'histoire naturelle, afin d'en faire un catalogue de ressources dont l'ingénierie peut s'inspirer. Il conviendrait également de référencer les projets bio-inspirés dans les appels à projets. Cela permettra notamment un inventaire plus complet des activités de la filière en France. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne en 2022, il conviendra de renforcer les partenariats franco-allemands, afin qu'une réflexion sur la création d'une structure européenne de biomimétisme puisse être menée. C'est une idée partagée par les acteurs scientifiques allemands que nous avons entendus, qui se sont dits prêts à accueillir une initiative française au niveau européen.

Par ailleurs, au vu de l'intérêt grandissant des industries pour le biomimétisme, notamment pour améliorer leurs performances au regard de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), je suis arrivée à la conclusion qu'il est nécessaire de mettre en place des critères durables et précis du biomimétisme afin d'écarter le risque de greenwashing, ou éco-blanchiment. Il est indispensable de placer l'éthique et la durabilité au cœur de la démarche. C'est pourquoi les problématiques d'expérimentation sur les animaux doivent aussi être prises en compte. Je recommande donc de mettre en place une charte du biomimétisme avec les principaux acteurs du biomimétisme, afin que les projets s'inscrivent dans une démarche éthique globale qui respecte des principes de protection de la nature. Cette charte devra donner lieu à la création d'un label pour mettre en valeur les entreprises qui s'inscrivent dans une démarche de biomimétisme éthique.

J'estime enfin qu'il est très important de donner une impulsion politique décisive. C'est pourquoi je recommande d'organiser des assises du biomimétisme, sous l'égide conjointe des ministères de la transition écologique, de la mer, de l'agriculture et de l'alimentation, de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et de l'économie, des finances et de la relance. À l'issue de ces assises, une feuille de route de la filière en biomimétisme pourrait être écrite afin de définir les moyens et d'élaborer les actions à mener à court et moyen terme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.