Nous avons exploré les interactions entre la pollution de l'air extérieur et la dynamique de l'épidémie, cherchant à savoir si les épisodes de pollution pouvaient être à l'origine d'une recrudescence du nombre de cas ou d'une plus grande sévérité des infections.
Comme vous le savez, l'air extérieur contient divers polluants, qui sont dits « atmosphériques ». Le réseau des Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) surveille différents polluants réglementés ayant des effets avérés sur la santé et l'environnement.
Parmi ces polluants réglementés, plusieurs présentent un intérêt particulier : les oxydes d'azote, qui sont issus de la combustion et de la synthèse d'engrais chimiques et qui irritent fortement les voies respiratoires ; les particules fines, qui sont soit d'origine anthropique, en provenance de l'industrie, des transports et du chauffage, soit d'origine naturelle, issues des poussières du désert, du pollen, etc. Elles peuvent pénétrer dans l'appareil respiratoire et plus elles sont fines, plus elles sont susceptibles de pénétrer en profondeur, voire de passer dans la circulation sanguine. Enfin, il faut citer l'ozone des basses couches de l'atmosphère. Ce gaz est issu des activités humaines et il est très irritant pour les voies respiratoires
La pollution de l'air n'est pas anecdotique, ni un problème exclusivement environnemental, mais bien un sujet majeur de santé publique. Santé publique France a établi que la pollution aux particules fines, particules dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns, a été responsable en 2019 de 40 000 décès prématurés en France, soit 6% de la mortalité toutes causes confondues. L'Agence européenne pour l'environnement (AEE) estime que 300 000 personnes sont mortes prématurément en 2019 des effets de la pollution de l'air, principalement à cause des particules fines.
En effet, les études de cohorte et les études in vitro montrent que l'exposition à la pollution de l'air, chronique ou temporaire, engendre des symptômes respiratoires, des symptômes cardio-vasculaires mais aussi une inflammation chronique à l'origine d'une baisse de la réponse immunitaire. Il est donc tout à fait légitime de s'interroger sur les effets de ces différents symptômes et d'une potentielle baisse de la réponse immunitaire, dans le contexte de la Covid-19.
Plusieurs études, menées en Chine, en Italie, dans la région de la Lombardie, ou au Royaume-Uni ont établi des corrélations spatiales entre les concentrations atmosphériques des principaux polluants réglementés et le taux de contamination par le virus : plus les taux de particules fines et de dioxydes d'azote sont élevés, plus le virus semble circuler.
Toutefois, nous devons faire preuve d'une grande prudence vis-à-vis de ces résultats : ils sont issus d'études purement statistiques et peuvent donc être très influencés par des facteurs qui n'ont pas été pris en compte tels que la densité de population, les maladies chroniques ou encore le tabagisme. Par exemple, une zone très dense aura tendance à être plus polluée, mais pourra aussi connaître une circulation du virus plus élevée du fait de la plus grande proximité entre individus.
C'est pourquoi nous recommandons de mettre en place des études de cohorte afin de mieux explorer ces phénomènes dans leur pleine mesure, en s'affranchissant des potentiels biais statistiques. C'est le sens de la première recommandation du rapport.
La pollution de l'air est significativement corrélée de façon positive avec l'activité épidémique, mais l'exposition chronique à la pollution est-elle un facteur de comorbidité ? En effet, l'inflammation des muqueuses respiratoires pourrait augmenter leur perméabilité au virus.
Des études s'appuyant sur des travaux de statistique et de modélisation ont montré que l'exposition à une forme chronique de pollution de l'air pouvait favoriser l'émergence d'une forme grave du Covid-19 et augmenter les chances de décès. Je réitère donc notre recommandation : des études épidémiologiques sont absolument nécessaires pour pouvoir établir ces faits avec certitude. Par ailleurs, plusieurs études in vitro identifient les particules fines issues des activités de combustion comme étant les plus toxiques et les plus à même de perturber la réponse immunitaire.
Nous avons également exploré la potentialité d'un transport du virus par les particules fines. Le SARS-CoV-2 peut se transmettre de différentes manières : par contact direct avec la bouche, le nez ou les muqueuses des yeux, ou de façon aéroportée. Dans les modes aéroportés, la contamination peut intervenir via les gouttelettes émises par la toux, de taille supérieure à 5 microns, et les aérosols, de taille inférieure. La question était de savoir si les particules fines pouvaient interagir avec les aérosols et faciliter leur transport.
Les phénomènes de dilution intervenant en milieu extérieur et la faible probabilité d'une coagulation entre une particule fine et un aérosol viral suggèrent que les particules fines ne peuvent pas être des vecteurs du virus.
Il apparaît que les conditions météorologiques associées aux pics de pollution sont aussi les plus propices à la circulation du virus, ce qui pourrait expliquer les corrélations précédemment observées. Différentes études menées par la société Predict ou l'Institut Pasteur visent à faire la lumière sur les liens éventuels entre les conditions météorologiques et l'activité épidémique. Ainsi, une température comprise entre 5 et 10 degrés et une humidité relative comprise entre 65 et 80% sont les conditions les plus propices à la circulation du virus.
À l'aune de l'actuelle reprise épidémique, coïncidant avec le retour du froid, nous recommandons d'examiner la prise en compte des données atmosphériques dans les modèles épidémiques, à la fois pour effectuer des prévisions à court terme mais aussi pour caractériser précisément la saisonnalité de l'épidémie.