Intervention de Ronan le Gleut

Réunion du jeudi 2 décembre 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Ronan le Gleut, sénateur, rapporteur :

. Il y a un peu plus d'un an, lorsque l'Office m'a confié la réalisation de cette note scientifique, la visioconférence n'était pas une option, c'était une obligation. C'était même, bien souvent, le seul moyen de continuer à travailler, à étudier, à rester en contact avec nos proches – bref, tout ce qui permet d'assurer la continuité de la vie économique et sociale. On a fait par visioconférence des consultations médicales et des procédures pénales, des entretiens et des concours, des mariages et des enterrements, des apéros et des cours de sport, des conseils des ministres et des conseils municipaux. Nous‑mêmes, au Parlement, au sein des différentes commissions, avons dû nous adapter. Deux grandes questions étaient posées : nos communications en vidéo sont-elles suffisamment sécurisées, par exemple pour les réunions des commissions chargées des affaires étrangères et de la défense ? À quoi correspond ce phénomène qu'on appelle Zoom fatigue, que tout le monde a constaté, et que dit la science à ce propos ?

Aujourd'hui, il apparaît évident qu'il n'y aura pas vraiment de retour en arrière : la visioconférence restera, au moins pour certains usages et dans certains cas, ne serait-ce que parce qu'elle est indissociable du télétravail. Et moins de déplacements, c'est moins de contraintes pour les travailleurs, moins de coûts pour les entreprises et moins d'impact sur l'environnement. Je précise que l'impact de la visioconférence en tant que tel est négatif, à cause de la consommation d'énergie due à la vidéo, mais que ceci ne représente même pas 1% du gain attendu du fait de la baisse des trajets domicile-travail.

Pourtant, la visioconférence ne présente pas que des avantages, loin de là. Rien ne remplace la chaleur du contact avec les proches, rien ne remplace les échanges informels de la machine à café ou les réunions de brainstorming, et rien – c'est sans doute le plus important, même si les études manquent – ne remplace l'école… à l'école.

Demain, le recours à la visioconférence ne sera plus une obligation, mais le résultat d'une série de choix, en fonction des usages et des circonstances. L'objectif de la note qui vous est présentée est précisément d'éclairer ces choix, dans leurs aspects scientifiques et technologiques.

Ces derniers mois, un nom est presque devenu synonyme de visioconférence dans le langage courant, celui de Zoom, cette plateforme passée en trois mois de 10 millions à 300 millions d'utilisateurs quotidiens, loin devant ses principaux concurrents Microsoft Teams et Google Meet (lesquels ont depuis rattrapé une partie de leur retard). Cette popularité, qui tient à des fonctionnalités innovantes et à une qualité audio et vidéo inégalée, a un prix à payer : entre deux Zoom apéros, on a beaucoup parlé de Zoom fatigue.

La Zoom fatigue désigne cet épuisement parfois intense ressenti après avoir enchaîné les réunions en visioconférence. Ce phénomène a parfois été pris à la légère par les entreprises, les administrations, les enseignants aussi : après tout, n'est-ce pas un peu déplacé de se plaindre quand on est tranquille chez soi, au lieu de venir au bureau ?

Eh bien non, ce n'est pas déplacé : le phénomène est bien réel, il se voit d'ailleurs très nettement sur l'électroencéphalogramme des participants à une série d'études récentes, et à vrai dire, pour les anthropologues, linguistes, psychologues et autres chercheurs en neurosciences, cela n'est pas vraiment une surprise. En effet, même s'il existe encore peu de travaux spécifiques sur la visioconférence, les mécanismes à l'œuvre sont connus depuis longtemps. En voici une présentation simplifiée.

Premièrement, le cerveau fournit un effort supplémentaire important pour déchiffrer les signaux non verbaux – le regard, les expressions, les gestes etc. –, que nous traitons habituellement de façon inconsciente, mais qui à l'écran nous parviennent de façon dégradée ou déformée. Ça n'a peut-être l'air de rien, mais il suffit d'un décalage de quelques millisecondes entre signaux auditifs et visuels – on appelle cela la « dysynchronie » – pour perturber nos automatismes. Nous sommes bien dans le domaine de l'imperceptible : on ne s'en rend même pas compte, et pourtant cela nous épuise – et je ne parle même pas de tout ce qui est perceptible, des vidéos « pixélisées », un son haché et un mode « galerie » qui ne correspond à aucune situation réelle. Il est aussi plus difficile d'envoyer les bons signaux : c'est pour cela qu'en « visio », on a tendance à exagérer nos gestes et à parler plus fort.

Deuxièmement, la visioconférence simule une très grande proximité de l'interlocuteur (l'équivalent de 13 cm en moyenne), que le cerveau interprète comme une violation de la sphère « intime », celle des relations amoureuses et familiales, qui va jusqu'à 45 cm. C'est un peu ce qui se passe quand on prend l'ascenseur, à cela près que dans l'ascenseur, on compense cette « agression » en regardant ailleurs. En visioconférence, c'est tout le contraire : tout se passe comme si tout le monde regardait tout le monde dans les yeux pendant toute la durée de la réunion… alors même que ce n'est pas le cas !

Troisièmement, les mouvements sont entravés, puisqu'il faut rester dans le champ de la caméra, sans trop bouger les mains, sans pouvoir se lever pour faire quelques pas. Or on connaît depuis longtemps le rôle bénéfique de la mobilité physique : en réunion, elle permet d'être plus créatif et persuasif, à l'école, elle favorise l'apprentissage (on compte avec les mains !), etc.

Enfin, la visioconférence provoque un phénomène qu'on appelle « anxiété du miroir » : voir une image de soi-même provoque un réflexe d'auto-évaluation, associé à un niveau élevé de stress et d'affects négatifs (moindre estime de soi, anxiété, etc.). On connaît ce phénomène depuis longtemps, mais il y a peu de situations dans la vie où l'on est face à une image de soi en temps réel pendant huit heures d'affilée plusieurs jours par semaine.

Tous ces facteurs dépendent du contexte de la réunion – essayez de passer un entretien d'embauche sur Zoom avec une connexion qui coupe et les enfants à la maison – mais aussi de facteurs individuels. Par exemple, l'une des premières études empiriques publiées sur le sujet, par des chercheurs de l'université de Stanford, suggère qu'à usage égal, les femmes souffriraient significativement plus de la Zoom fatigue que les hommes. Pourquoi ? Parmi les explications possibles, on sait par des études précédentes que les femmes sont plus sensibles à l'anxiété du miroir.

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