Intervention de Antoine Bouvier

Réunion du mardi 24 juillet 2018 à 15h30
Mission d'information relative à la prochaine génération de missiles anti-navires

Antoine Bouvier :

En 1996, la France et la Grande-Bretagne décidèrent de développer ensemble un programme de frappe dans la profondeur, appelé SCALP/Storm Shadow. Ce programme fut lancé afin d'élaborer une solution alternative à un produit américain. À l'époque, les États‑Unis exerçaient des pressions très fortes à la fois sur la France et la Grande-Bretagne afin de dissuader les deux pays de développer ce programme. De ce point de vue, nous connaissons aujourd'hui une situation similaire. Malgré tout, le projet apparut alors tellement important que Matra, en France, et BAe Dynamics, au Royaume-Uni, entreprirent de fusionner leurs activités missiles. L'ampleur de cette consolidation industrielle conduisit les deux pays à élaborer conjointement, au travers de cette nouvelle société désormais dénommée MBD, une vision et une feuille de route communes concernant le développement de missiles.

En 2018, soit vingt-deux ans plus tard, le bilan des actions menées à l'époque est extrêmement positif. En Grande-Bretagne, en France, en Italie comme dans un certain nombre de pays d'exportation, le SCALP/Storm Shadow, qui se révèle être un excellent missile, donne entière satisfaction. L'entreprise a vu ensuite son périmètre élargi à GEC-Marconi en Grande-Bretagne et Aérospatiale en France, ainsi qu'à d'autres acteurs en Allemagne, en Italie et en Espagne. MBDA s'est ainsi hissé au même niveau que ses concurrents américains dans le domaine des missiles, tandis que la base industrielle est extrêmement robuste en France, au Royaume-Uni et dans le reste de l'Europe.

Aujourd'hui, à travers ce programme – FC/ASW en Grande-Bretagne et FMAN/FMC en France – nous avons l'opportunité de relancer, d'élargir et d'approfondir cette coopération initiée il y a plus de vingt ans, ainsi que de lui redonner une dynamique, en actionnant de nouveaux trois grands leviers. Le premier est l'impulsion politique. Les orientations des accords de Lancaster House, signés en 2010, ont été renouvelées et confirmées à chacun des sommets bilatéraux organisés depuis, et ce indépendamment du contexte politique parfois délicat du fait du Brexit. Ce dernier rend au contraire la coopération politique entre nos deux pays bien plus importante qu'elle ne l'a jamais été avant le mois de juin 2016.

Le deuxième levier est la consolidation et l'intégration industrielles. Nous avions créé MBD en 1996, nous avons lancé l'initiative One-MBDA en 2015, et constitué nos centres d'excellence.

Le troisième levier est la coopération sur les programmes. Alors qu'en 1996, nous avions lancé le SCALP/Storm Shadow, nous poursuivons cette année le travail sur le programme FMAN/FMC, dont le périmètre est plus large puisqu'il porte sur la capacité de frappe dans la profondeur et sur la capacité anti-navires.

Ce rappel historique me semblait important afin de vous donner une vision d'un des rares secteurs industriels dans le domaine de la défense où, depuis plus de vingt ans, la France et la Grande-Bretagne ont développé avec cohérence, stabilité et ambition, une feuille de route à long terme. Aujourd'hui nos deux pays sont en position de donner une nouvelle impulsion à cette dernière.

Puisque le calendrier de ce programme me paraît être un point important pour votre mission, qu'en est-il aujourd'hui ?

Les accords de Lancaster House de 2010 sont à l'origine du lancement de ce programme, confirmé avec constance lors de chaque sommet ultérieur. En 2011, les deux pays ont décidé de conduire une étude technico-opérationnelle puis, à l'occasion du sommet d'Amiens, en 2016, d'initier une phase de concept, débutée en mars 2017. Cette phase a pour objectif d'approfondir la définition du besoin et d'étudier les différentes options relatives à la capacité de frappe en profondeur et à celle de frappe anti-navires en termes de technologies et d'architecture. L'objectif est d'identifier la meilleure façon de répondre aux besoins opérationnels de nos deux pays et, d'une certaine manière, de contribuer autant que possible à la convergence de ces besoins. D'une durée de trois ans, cette étude de concept a franchi une première étape au début de l'année 2018. La seconde le sera début 2019, l'objectif étant de préparer une convergence entre les deux pays aussi rapide et complète que possible afin de retenir une solution technique à l'horizon 2020.

Les enjeux en termes de performances sont nombreux. Ils vous ont sans doute été présentés par la marine, l'armée de l'air et la DGA côté français, mais aussi par les forces britanniques et l'agence defence equipment and support (DE&S) en Grande-Bretagne. Les enjeux de pénétration et de survivabilité sont primordiaux puisque nous serons confrontés de manière croissante à des stratégies de déni d'accès, explicites ou implicites, qui constituent une menace de notre point de vue. Nous devons également prendre en compte les enjeux de rayon d'action, de navigation, de guidage terminal, de charge militaire, de connectivité, de préparation de mission … Je vous énonce ici la liste des principaux enjeux opérationnels qui nous occupent ; je pourrai y revenir si vous le souhaitez – car ils correspondent à de grands enjeux technologiques sur lesquels nous avons déjà commencé à travailler. Ce travail est conduit de manière bilatérale, les huit centres d'excellence contribuent d'ailleurs de manière très significative aux avancées technologiques de ce nouveau programme. Les sites français ont plus spécifiquement travaillé sur la propulsion supersonique, tandis qu'en Grande-Bretagne, l'accent a davantage été mis sur la furtivité. Dans les deux pays, de manière très équilibrée, nous avons travaillé sur les autodirecteurs, la liaison de données, l'intelligence artificielle et les nouvelles générations de charge militaire. Voilà où nous en sommes.

Il était important pour moi de vous rappeler ce contexte car une logique et une dynamique ont été mises en place il y a plus de vingt ans. Il est de notre responsabilité collective de les perpétuer. Cette dynamique permet en effet le succès d'une entreprise européenne comme MBDA mais aussi de répondre au mieux au besoin de nos forces armées, dans un cadre de souveraineté, d'autonomie stratégique et de maintien des capacités industrielles en France et au Royaume-Uni. Aussi, je voudrais vous remercier pour cette invitation à m'exprimer devant cette mission conjointe, qui constitue une initiative inédite. Je suis particulièrement heureux, et fier, que cette première soit organisée autour d'un sujet qui touche d'aussi près notre entreprise. C'est un grand honneur pour nous de pouvoir échanger avec vous, à Paris comme à Londres, sur ce programme franco-britannique.

Je vous remercie encore pour votre implication autour de cette coopération. Je ne doute pas que les questions nous permettront d'aborder des points plus spécifiques, sur la Team Tempest, le système de combat aérien futur (SCAF) ou encore l'élargissement du programme à d'autres partenaires et l'export.

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