Lorsque la France et la Grande-Bretagne ont décidé, au mois de novembre 2010, lors du sommet de Lancaster House, le lancement de l'initiative One-MBDA, l'objectif était de consolider un industriel maître d'œuvre, une entreprise majeure et commune à la France et au Royaume-Uni. La décision de créer les centres d'excellence a alors été fondée sur un constat évident : seules, la Grande-Bretagne comme la France n'ont ni les moyens financiers, ni les ressources technologiques pour garantir la taille critique, condition de succès sur le long terme des industriels de la défense. Dès lors, la spécialisation s'imposait. Or, elle implique un certain niveau de dépendance mutuelle. Tout l'intérêt de l'accord de Lancaster House est précisément d'anticiper, et non pas de subir, cette dépendance mutuelle. Dans cette perspective, les éléments qui avaient motivé le lancement de One MBDA sont encore valables aujourd'hui, je dirais même encore plus valables aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 2010. MBDA est à ce jour la seule entreprise de taille similaire à ces concurrents américains. D'autres entreprises européennes de défense sont extrêmement bien placées, connaissent le succès, ont des capacités technologiques remarquables, disposent de produits très performants, mais aucune, sauf MBDA, a une taille équivalente à celle des grands concurrents américains. C'est ce qui fait sa force et assure ses perspectives de croissance sur le long terme.
Aussi, lorsque l'on a en tête ces grands objectifs politiques, les conséquences spécifiques du Brexit sur la relation franco-britannique – c'est-à-dire les droits de douane, les standards, les difficultés d'échanges et de détachement de personnel – apparaissent secondaires et nous saurons les gérer. Ce qui m'inquiète d'avantage dans le contexte actuel, ce ne sont pas les conséquences négatives sur les relations entre les nations, que chacun saura sans doute résoudre de manière raisonnable, mais plutôt la difficulté que MBDA UK aura à accéder aux financements et aux programmes de coopération développés à Bruxelles. En effet, quand le Royaume-Uni aura officiellement quitté l'UE, il sera considéré comme un pays tiers. S'il y a encore un an ou deux, ces programmes pouvaient paraître marginaux, dans une dizaine d'années, ils seront structurants pour l'industrie de la défense. Nous nous efforçons d'expliquer, et c'est une bonne occasion de le faire aujourd'hui, qu'il faut, dans le domaine de la défense, trouver le moyen de ne pas considérer la Grande-Bretagne comme un simple pays tiers de l'Union européenne. Elle devrait être considérée comme un pays qui a une réelle proximité et une importante convergence d'intérêts sécuritaires et stratégiques avec les autres pays européens. Cette communauté de destin européenne doit permettre à la Grande-Bretagne de contribuer et de participer aux grands programmes européens dans le domaine de la défense. C'est là notre vœu et, je le crois, une requête raisonnable qui devrait, au-delà des controverses politiques actuelles, être reconnue comme un objectif allant dans le sens de l'Europe des vingt-sept. Il s'agit en effet du seul moyen de conserver la taille critique que nous avons eu tant de mal à consolider face à nos grands concurrents d'outre-Atlantique. Il serait dramatique que la situation que nous connaissons aujourd'hui nuise au travail réalisé pour atteindre cette taille critique. Nous parvenons toujours à trouver des solutions pragmatiques en bilatéral mais, au-delà, il est primordial d'intégrer qu'au niveau politique, la Grande-Bretagne a des intérêts stratégiques totalement liés à ceux de l'Europe. En tout cas, c'est ma conviction personnelle.