Je partage le point de vue de M. Lurton qui considère qu'il ne faut absolument pas mélanger politique sociale et politique familiale. En effet, affirmer qu'aider les enfants c'est aider les pauvres est faux. Un enfant est un enfant, un être en devenir, une promesse ; et nous devons soutenir les promesses, qu'elles se trouvent dans le « 9-3 » ou à Versailles ne change rien.
C'est pourquoi je ne vois pas pourquoi il ne faudrait aider que les enfants pauvres. Les riches versent 5,25 % de leur salaire pour financer la politique familiale. Il serait très curieux de dire aux parents des familles riches qu'ils n'ont que le droit de payer sans rien recevoir. Il faut donc distinguer clairement la politique familiale et la politique sociale. C'est le mélange des deux qui a bloqué les propositions de Guillaume Chiche, qui défendait ce principe.
Vous indiquez encore que les sociologues disent que nous pouvons être fiers de notre politique familiale. Cela est vrai dans la mesure où les masses financières mises en jeu en faveur de cette politique sont conséquentes ; il s'agit d'une quarantaine de milliards d'euros.
Il ne s'agit donc pas d'abandonner cette politique, mais de l'isoler des domaines social et fiscal, nous voulons des impôts qui fonctionnent bien et produisent des centaines de milliards d'euros. Il s'agit cependant d'une autre question, qui n'a rien à voir avec les enfants, qui ne paient pas les impôts ; c'est hors sujet. On s'occupe des enfants d'un côté, et de faire rentrer les impôts de l'autre, le social constituant encore un autre sujet.
Viennent ensuite les cas spécifiques : parents isolés, parents en difficulté, handicap, étudiants, logement… Bref, beaucoup de sujets. Il faut trier les questions et mettre un terme à la confusion actuelle. Aujourd'hui, on fait tout à la fois, avec le même outil, le RSA, on fait du social, du familial et du logement, voir du prélèvement avec le taux de 39 %. C'est incompréhensible ; il est donc urgent de dissocier les domaines, et le domaine familial ne doit regarder que les enfants, à l'exception de tout le reste qui doit être traité par ailleurs.
S'agissant du coût de ce que je propose, lorsque j'évoque les montants de 200 et 250 euros, je mets toujours un tilde, car je ne dispose pas des moyens de l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) ni de Bercy pour réaliser des projections. Sur la base des montants que je propose, le coût cumulé serait de 2 milliards d'euros. Bien entendu, la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), pourrait dire qu'il s'agit en fait de 2,1 ou de 2,5 milliards d'euros.
En tout état de cause, il y a forcément un coût ; l'alternative pourrait consister à dire que l'on ne donne pas 200 euros, mais 195 euros ; on grappillera 5 euros, et des gens seront moins aidés qu'ils ne le sont actuellement. Mais, au regard de la confusion actuelle des divers dispositifs, il est vrai que la mise en œuvre de ce que je propose aura pour effet de faire des gagnants et des perdants ; au moins facialement et temporairement. Notamment parce que ceux qui bénéficient le plus du système aujourd'hui y perdront ; dans l'autre sens, ceux qui perçoivent les aides les plus basses y gagneront.
On pourrait effectivement décider de conduire la réforme à budget constant et n'attribuer que 190 euros au lieu de 200 euros ; il serait alors facile de tracer la courbe montrant quels seront les gagnants et quels seront les perdants. Cela relève d'un choix politique, qui nécessite une communication forte, mais il me semble que, dès lors que l'on a une histoire à proposer, il est plus facile de la vendre qu'un brouillard. La réforme d'une partie d'un système incompréhensible ne peut que produire des perdants et des ingrats, car, dans un tel contexte, même les gagnants sont ingrats puisque personne n'y comprend rien.
Il faut une histoire qui fasse rêver les gens, et qu'ils puissent se dire que l'on a trouvé un truc qui fait qu'en France, pour un enfant, c'est tant ; que les parents soient riches ou pauvres. Il résiderait là une force de communication beaucoup plus importante que lorsque l'on annonce la modification d'un paramètre.
Je pense qu'il y a une fatigue de notre pays devant les ajustements paramétriques. Nous avons tous pu échanger avec des « gilets jaunes » : la discussion est impossible, car nous sommes face à un monde d'une complexité telle que l'on n'arrive plus à dialoguer.
C'est pourquoi je propose quelque chose de très simple, susceptible d'emporter une adhésion assez globale.
Par ailleurs, je ne me suis pas livré à la comparaison avec d'autres pays ; il est vrai qu'il existe une grande diversité, et que les divers mécanismes ne se ressemblent pas ; mais rien ne ressemble au système français. Notre quotient familial est pratiqué au Luxembourg, qui constitue une exception. Une étude de benchmarking pourrait être pratiquée ; les pays anglo-saxons, par exemple, recourent plutôt au crédit d'impôt sur un mode forfaitaire.