Intervention de Marc Pichard

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 14h15
Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Marc Pichard, professeur des universités, :

Sur la question de la filiation, toutes les cartes sont actuellement sur la table avec le débat relatif à la PMA. Il était évident que la fermeture de l'accès aux couples de femmes aux PMA avec tiers donneur posait une question d'égalité. Il devrait y être répondu, même si on peut beaucoup discuter de la solution qui a été retenue.

Néanmoins, pour revenir sur le premier point que j'ai évoqué, qui était l'hypothèse de la différence qui existe entre les hommes et les femmes en matière de filiation, il me semble qu'il y a deux pistes possibles. La première, comme je l'ai laissé entendre, c'est de se poser la question de l'apport génétique des femmes pour penser la filiation. Cela n'implique pas nécessairement d'admettre la gestation pour autrui sur le territoire national. Il est évident que cela affaiblirait encore la position française de nullité de ces conventions sur le territoire national. Nous aurions un premier champ qu'il va falloir, je pense, inévitablement investir parce que nous allons voir venir des hypothèses contentieuses de gestation pour autrui réalisées à l'étranger, avec les ovocytes de la mère légale. Le traitement judiciaire va être probablement beaucoup plus complexe, eu égard aux critères qui ont été avancés pour au contraire considérer que les géniteurs pouvaient assez aisément se voir reconnaître le statut de père.

Le premier élément est d'essayer de voir s'il serait possible de penser la maternité à partir des gènes.

La deuxième piste qui pourrait être ouverte en matière de filiation, c'est évidemment la question des reconnaissances sciemment mensongères. Nous pourrions tout à fait discuter du fait de limiter la possibilité d'attribution d'une paternité. Dans sa thèse qui a été soutenue le 25 novembre dernier, Perrine Ferrer-Lormeau propose une vaste reconstruction du droit de la famille, en partie inspirée par une perspective de genre et elle suggère d'imposer aux femmes d'indiquer le nom du père, au moment de la naissance et de garantir la véracité des déclarations des uns et des autres, en recourant au droit pénal. Le jury s'est montré extrêmement circonspect à l'égard de la proposition qui, en termes de modèle social, paraît en très forte rupture avec les traditions françaises en la matière.

Il me semble qu'une autre piste pourrait être envisagée, qui serait de repenser l'adoption intrafamiliale, en particulier l'adoption de l'enfant du conjoint. Si cette voie était plus facile, il y aurait peut-être une plus grande conformité entre les modèles. Le titre VII correspond à un fondement biologique et le titre VIII, l'adoption, repose sur la volonté. C'est vrai que cette volonté va parfois être difficile à mettre en œuvre, d'abord parce qu'on exige toujours qu'il y ait un mariage entre les deux personnes qui élèvent l'enfant, la mère et celui qui exerce de facto la situation de père. Faut-il maintenir cette exigence d'un mariage en matière d'adoption ? Ce n'est tout de même plus si évident que cela.

Nous aurions peut-être déjà là un signal de souplesse à l'égard de l'adoption de l'enfant du conjoint, au sens large, c'est-à-dire de l'enfant de la personne avec qui l'on vit.

Peut-être même pourrions-nous envisager que lorsque le conjoint au sens large s'est occupé depuis de nombreuses années de l'enfant, le caractère judiciaire de l'adoption ne s'imposerait pas forcément.

C'est vraiment une piste que j'avance mais peut-être que nous pourrions avoir un assouplissement des procédures d'adoption, lorsqu'une personne qui est le conjoint de l'autre parent s'est occupée de l'enfant pendant trois ou cinq ans et qu'il n'existe évidemment pas déjà de deuxième parent en droit.

Sur la dimension autorité parentale, j'ai presque préconisé tout à l'heure mais je peux le faire un petit peu plus. La question principale, en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, est celle de la charge des enfants. Cette question pourrait donc donner lieu à une réforme en posant clairement le principe que la responsabilité des enfants doit être également partagée entre les parents, cette responsabilité se traduisant également en matière de résidence habituelle de l'enfant.

Évidemment, cela ne peut qu'être un principe qui appellera un certain nombre d'exceptions. Mais il serait déjà bien de poser en principe que chacun des parents doive assumer sa charge dans sa responsabilité de parent au quotidien. Ce serait déjà un signal législatif qui n'est pas anodin. Par ailleurs, cela conduirait aussi à demander à chacun de s'expliquer sur les raisons pour lesquelles il estime ne pas pouvoir assumer cette charge. À cet égard, il faut quand même reconnaître que dans la pratique judiciaire et même dans la littérature générale, on pose comme une évidence que la moindre disponibilité est un argument pertinent pour qu'un parent n'assume pas ses responsabilités. Il a un travail extrêmement prenant donc il ne peut pas assumer la résidence habituelle de l'enfant. Oui, mais nous pourrions aussi inverser les choses : elle n'a pas un travail extrêmement prenant parce que depuis cinq ans, elle élève les deux enfants en question. Là encore, on va valider un certain nombre d'arguments comme des évidences. En fait, c'est la convention de genre qui est répartie et qui fait peser la charge quotidienne des enfants, essentiellement sur les femmes. Cette convention est totalement intégrée et acceptée à travers ces arguments judiciaires.

Je crois que nous pourrions imposer un effort argumentatif pour que le parent qui souhaite se libérer de sa responsabilité, si nous voulons modifier les termes dans lesquels la question est traditionnellement posée, soit admis à le faire, qu'il explique vraiment pourquoi assumer cette responsabilité lui est impossible. Nous verrions peut-être que dans de nombreuses hypothèses, c'est en réalité possible. À cet égard, je précise deux éléments. Évidemment, la réforme du divorce modifie beaucoup la donne, puisqu'en réalité, il va y avoir des hypothèses dans lesquelles la question de la résidence habituelle de l'enfant ne donnera pas lieu à une décision judiciaire.

Si vous avez, par hypothèse, un divorce sans juge, c'est la convention qui va intégrer cette question de la résidence habituelle des enfants, sans qu'il y ait le moindre contrôle sur ce point.

Le modèle selon lequel il y a un principe dont le juge serait le garant ne peut plus fonctionner avec l'adoption, sous forme d'amendement, dans une loi beaucoup plus vaste, de la réforme du divorce.

Je voudrais insister sur un deuxième élément. Cela fait plusieurs fois que cette idée d'adoption d'un modèle de la résidence alternée émerge. Tous ces débats sont toujours pollués par la question des violences. Évidemment, la question des violences est fondamentale. On ne peut que se réjouir que la question des violences de genre et en particulier des violences au sein du couple ait pris une telle importance dans le débat social, et que le législateur s'en soit à ce point saisi. Il n'en demeure pas moins que, même si le phénomène des violences intra-conjugales est un phénomène quantitativement massif, je ne crois pas qu'il soit majoritaire. Il me semble qu'il est possible de penser à un droit commun qui pose ce modèle d'une égale responsabilité. Par ailleurs, il faut admettre des exceptions qu'Amélie Dionisi-Peyrusse et moi avions suggérées à la suite des textes relatifs à l'ordonnance de protection. Cela consiste à dire qu'il y a tout un ensemble de règles dans le code civil qui régissent la question des effets des violences. Même formellement, il faut dire que ce n'est pas du droit commun de l'autorité parentale, c'est un champ d'intervention et de questionnement particulier.

J'ai beaucoup travaillé sur le sujet et je suis extrêmement sensible à la question des violences au sein du couple. Néanmoins, je ne suis pas sûr que nous devions penser de manière générale les questions d'autorité parentale au regard de cette hypothèse qui existe, qui est massive, mais qui est minoritaire. Après, c'est plus délicat à formuler, l'articulation est compliquée. Je vous enverrai le texte.

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