Intervention de Jacques Bichot

Réunion du lundi 27 janvier 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Jacques Bichot, membre honoraire du Conseil économique, social et environnemental :

Le problème central est bien celui des objectifs. Vouloir aider les familles n'est pas la même chose qu'essayer de proposer une réponse économique normale en rémunérant les gens qui financent l'investissement dans le capital humain. La politique familiale actuelle vise d'autres objectifs que ceux que je vous ai exposés, et elle les atteint moins bien qu'à une certaine époque. L'ambition de la politique familiale classique – d'assistance – a été réduite, même si la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) s'est progressivement transformée en une caisse d'assistance.

Pour l'anecdote, Bertrand Fragonard a fait preuve d'un talent extraordinaire pour maintenir le potentiel de personnel et d'actions de la CNAF, tout en gérant la décroissance de ses budgets. À ses débuts, la caisse distribuait trois ou quatre prestations, sans que sa gestion coûte très cher. Par la suite, de très faible, le rapport entre les coûts de gestion et les prestations distribuées est passé à 6 %. On a complexifié le système, qui gère désormais une vingtaine de prestations, occupant ainsi un personnel considérable. Les caisses d'allocations familiales sont le seul organe de sécurité sociale qui soit parvenu à conserver intégralement ses effectifs, malgré tous les gains de productivité liés notamment à l'informatisation. Quel système fantastique que le système Fragonard !

La politique familiale s'est réduite comme peau de chagrin puisqu'en trente ans, en pourcentage de PIB, son budget a été divisé par deux environ. Par le passé, les prestations étaient beaucoup moins nombreuses, si bien que les gens touchaient nettement plus d'argent – en proportion des revenus de l'époque. En voulant traiter tous les cas particuliers au lieu de laisser les familles se débrouiller, la politique familiale s'est diversifiée et s'est rapprochée d'une sorte de paternalisme. Il avait ainsi été question d'obliger les pères de famille à partager le congé parental, comme si les couples n'étaient pas capables de s'organiser eux‑mêmes. Si cette forme qu'a prise la politique familiale, et que j'ai présentée de façon un peu caricaturale, ne peut pas être jetée avec l'eau du bain, n'oublions tout de même pas qu'à l'origine, après la Libération, les cotisations familiales représentaient plus de la moitié des cotisations ! On ne cherchait pas, à cette époque, à multiplier les prestations ; on se contentait de donner des allocations familiales.

On a voulu développer un système d'aides, tout en réduisant son volume, ce qui a conduit à cibler des portions de population et, partant, à faire de la politique familiale, pour l'opinion publique, une aide et non une participation de l'ensemble de la nation à l'effort de revitalisation. De Gaulle n'avait‑il pas déclaré que, sans une reprise de la natalité, la France ne serait plus qu'une grande lumière qui s'éteint ? Si le message a été parfaitement reçu par les Français de la IVe République, c'est, curieusement, au début de la Ve République que la politique familiale s'est amenuisée, au moment même où l'homme qui avait été à l'origine de la grande politique familiale de l'après‑guerre faisait son retour. Michel Debré, qui était pourtant un grand nataliste, a lui‑même serré les boulons de la politique familiale. Il semble, en réalité, que nos dirigeants aient considéré que le mouvement démographique était lancé et qu'il était inutile, dès lors, de mettre du charbon dans la locomotive.

Vous m'avez également demandé s'il fallait s'éloigner du modèle actuel fondé sur des cotisations sociales. Pour ma part, c'est à la fiscalisation des ressources de la branche famille que je suis hostile, étant donné qu'elle n'implique pas de retour direct. C'est pourquoi je pense que le financement par cotisation est important, dans la mesure où, selon ma logique, les cotisations ne resteraient pas sans récompense, mais que cet investissement dans le capital humain servirait à acquérir des droits à la retraite.

Pour ce qui est de la prévention liée aux charges éducatives – votre formule m'a amusé – et de la lutte contre la pauvreté des familles, la politique familiale fait un petit quelque chose. Mais on ne fait pas de miracles, en la matière, avec 30 milliards d'euros par an !

S'agissant de la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, j'ai une suggestion à vous faire : il faut agir en faveur des entreprises. En effet, l'une des raisons de notre faible natalité, c'est que la femme qui attend un bébé, puis qui prend un congé maternité et doit ensuite s'absenter parce que son bébé est malade est une plaie pour l'entreprise. Je ne reviens bien évidemment pas sur la question du travail féminin ! Je ne fais pas du tout partie des quelques nostalgiques qui ne voudraient voir que des hommes au turbin. Il faut néanmoins pouvoir tenir compte de cette période délicate pendant laquelle, pour une entreprise, la maternité est une horreur. On pourrait se demander pourquoi les pères ne s'occupent pas davantage des enfants ; mais, pour l'instant, c'est tout de même bien souvent sur les femmes que cette tâche retombe. Sans doute faudrait‑il proposer un dispositif équivalent, lorsque c'est le père qui s'absenterait pour s'occuper de l'enfant malade, bien sûr.

Pour redresser la courbe de la natalité, il faut des administrations et des entreprises family friendly, ce qui se paie. Il faut aider les entreprises à traiter avec les meilleurs égards les jeunes parents, pendant une période à déterminer avec des spécialistes. Si nous n'agissons pas en direction des entreprises, nous manquerons l'un des moyens les plus efficaces de stimuler notre natalité. Les couples ont envie d'avoir des enfants – peut-être pas neuf comme mes parents, certes –, mais c'est extrêmement difficile dans les circonstances actuelles. S'il existe quelques entreprises qui savent très bien gérer le problème, elles restent des exceptions. Les petites et moyennes entreprises, en particulier, ont besoin d'une aide.

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