Intervention de Brigitte Bourguignon

Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 14h00
Groupe de travail sur la procédure législative et l'organisation parlementaire et les droits de l'opposition

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales :

Vous avez déjà entendu de nombreux acteurs. Je vais donc m'efforcer d'éviter les redites par rapport à vos auditions antérieures et à la contribution que j'ai adressée à votre groupe de travail dans la première phase de ses travaux.

Toutefois, le suivi de cette première phase figure dans la nouvelle feuille de route de votre groupe et, surtout, je crois que les évolutions profondes que vous avez suggérées auraient une importance fondamentale sur notre rythme de travail quotidien.

Il va de soi que nous ne travaillerons pas de la même manière selon que le droit d'amendement reste ce qu'il est aujourd'hui ou qu'il est encadré, selon que nous conserverons ou non le même nombre de lectures, selon le point d'équilibre qui sera trouvé entre le travail en séance publique et dans d'autres enceintes, en commission notamment.

Je souhaite développer mon propos en trois points.

En premier lieu, je suis d'accord avec la conclusion, que vous avez dégagée au terme de la première phase, sur la nécessité d'un travail plus en amont, de nature à « détendre » la procédure parlementaire.

La commission des affaires sociales a mis en place dès l'automne dernier un groupe de travail sur la formation professionnelle et l'apprentissage, dans lequel chaque groupe politique était, sur une base égalitaire, représenté par un député. L'idée était, dans la perspective du projet de loi, de favoriser la montée en compétence de tous. Ce premier travail a été suivi de la désignation anticipée des rapporteurs du futur texte. Nous entendrons la ministre du travail un mois avant la discussion générale et le début des travaux sur le projet lui-même. Je crois que nous avons ainsi créé les conditions d'un débat plus approfondi, moins bousculé par les contraintes de délai habituelles.

Reste que cette anticipation est en partie vidée de son sens si nous continuons, quel que soit le Gouvernement, de nous heurter à l'éternel écueil de la communication tardive du texte. Un projet de loi n'a d'existence que lorsqu'il est déposé sur le Bureau de l'Assemblée, et les conséquences sont ubuesques : nous entendons des acteurs qui l'ont sous les yeux alors que nous sommes toujours censés ne pas en disposer ; il est disponible sur le site de Mediapart ou du Monde, mais pas sur celui de l'Assemblée !

Sans attendre la révision de l'article 39 de la Constitution que j'appelle de mes vœux, je pense que les présidents des deux assemblées devraient conclure un code de bonne conduite avec le Premier ministre : sitôt qu'un avant-projet de loi sort d'un ministère pour examen par le Conseil d'Etat, il devrait être transmis aux commissions compétentes du Parlement. La démocratie et la qualité de la loi y gagneraient, l'organisation de notre travail également.

Deuxième point : notre assemblée est une assemblée adulte et doit s'affranchir de certaines règles qui ne constituent qu'une perte de temps.

Je pense que nul d'entre nous n'est capable de dire quelles seront les règles applicables, en matière de recevabilité financière, au futur projet de loi sur la formation professionnelle, l'apprentissage et l'assurance chômage. Ces règles, aussi ancestrales qu'hermétiques, devraient être supprimées. Songez que, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), il arrive que 40 % des amendements soient déclarés irrecevables et ne soient même pas débattus ! Que d'énergie et de temps dépensés en pure perte par leurs auteurs !

Il en va de même de l'exercice stérile des réunions dites de l'article 88, qui ne font qu'entretenir la fiction d'un avis de la commission quand nous pourrions nous satisfaire d'un avis du rapporteur.

De la même façon, pourquoi notre assemblée ne peut-elle débattre du texte issu des travaux des commissions sur les projets de loi de finances (PLF), les PLFSS ou les projets de révision constitutionnelle ? S'agirait-il de sujets trop sérieux pour que nous les examinions avec la plénitude de nos compétences ? Là aussi, nous perdons un temps précieux : les idées de rationalisation de l'examen budgétaire abondent, mais personne ne semble s'émouvoir du fait que nous débattions des mêmes amendements en séance et en commission, y compris lorsque la commission des finances les a adoptés.

Troisième point : il faut se méfier des idées qui paraissent séduisantes mais qui se heurtent à la réalité.

La Constitution comme notre Règlement regorgent d'exemples. Je prendrai celui des études d'impact. Qui peut croire que nous refuserions d'examiner un projet de loi au seul motif que l'étude d'impact serait jugée de mauvaise qualité ?

Dans le même esprit, je m'interroge sur la faisabilité de l'idée consistant à saisir le Conseil d'Etat sur des propositions de loi alors que nous ne parvenons déjà pas, pour des questions de délai, à mettre en œuvre le protocole adopté le 16 février 2010 par la Conférence des Présidents sur la consultation des partenaires sociaux, qui n'a été appliqué que deux fois en tout et pour tout.

De même, si j'approuve l'idée de prévoir des procédures d'adoption de textes en commission, nous avons besoin de dispositifs qui fonctionnent et non de possibilités systématiquement bloquées lorsqu'il n'y a pas unanimité.

Il nous faut également nous interroger sur les conséquences des réformes que nous envisageons. En dix mois, la commission des affaires sociales aura examiné autant de propositions de loi des groupes d'opposition ou minoritaires qu'en deux ans et demi sous la précédente législature. De même, elle a ouvert la voie à la création d'autant de commissions d'enquête que sous les cinq années de la précédente législature. Ce peut être collectivement notre choix, il est respectable, mais nous devons mesurer le poids de nos décisions sur l'organisation de nos travaux. Nos moyens comme notre temps sont limités.

Comment, justement, mieux organiser le temps parlementaire ? Je crois qu'il nous faut partir de principes simples.

Il n'y aura pas d'amélioration notable tant que nous légiférerons toujours plus, que nous amenderons autant et que nous aspirerons à davantage de contrôle. Il n'y a, de toute façon, pas de martingale. Les contraintes de 577 députés aux obligations et aux centres d'intérêt différents ne permettront jamais de trouver une organisation qui satisfasse chacun.

Est-ce à dire que l'on ne peut rien faire ? Je ne le crois pas, pour peu que nous commencions par identifier ce qui est intangible.

Notre activité sera toujours déterminée par la nécessité de légiférer, souvent de manière ressentie comme urgente. Je ne crois donc pas à l'alternance entre semaines réservées à la circonscription et semaines consacrées à l'Assemblée. Les premières seront sacrifiées à la première urgence, les secondes se heurteront toujours à la nécessité pour nombre d'entre nous d'être présents en circonscription le lundi et le vendredi.

Je ne crois pas non plus à la disparition des séances de nuit. Le Parlement avait troqué la session unique contre la fin des séances de nuit. Il a la session unique, souvent onze mois sur douze, et les séances de nuit sont rapidement revenues. C'est logique, dès lors que nombre de nos collègues ne peuvent pas revenir en circonscription le soir et préfèrent concentrer leur activité parisienne sur les mardis, mercredis et jeudis.

Il me semble que la seule possibilité serait de mieux découper la semaine. De même qu'il y a un temps pour les questions au Gouvernement, qu'il y a une matinée réservée aux travaux des commissions, il faut sans doute cantonner la séance dans des plages bien définies, au moins certaines semaines, pour profiter de la présence nombreuse de nos collègues afin de faire vivre d'autres travaux. Si, par exemple, certaines semaines, la séance était limitée dans la journée aux questions et aux votes importants, soit quatre ou cinq heures maximum, quitte à reprendre le soir, nous disposerions de créneaux plus importants pour réunir les missions d'information ou commissions d'enquête qui, aujourd'hui, se concentrent très fortement sur un même jour, le jeudi.

Il nous faut également réfléchir à notre rapport au temps. La commission des affaires sociales a mis en place des missions « flash ». La règle est qu'il ne doit pas s'écouler plus d'un mois entre le début du travail du rapporteur et la présentation de ses conclusions. Et ça marche ! Nos rapporteurs en charge de ces travaux de contrôle acceptent, pour ces brèves missions, de dégager leurs agendas sur une à deux semaines complètes, comme le fait le rapporteur d'un projet de loi. Il y a là un contraste très fort avec les travaux s'étendant sur trois mois, six mois ou plus, durant lesquels les députés peinent à dégager sur la durée, de manière régulière, des créneaux sur des sujets qui ont perdu l'attrait de la nouveauté.

Le format « flash » n'est pas adapté à tous les sujets, mais il pose la question de l'implication des députés dans les travaux de long terme. Si ceux-ci méritent une expertise approfondie, ne devons-nous pas réfléchir à une meilleure répartition du temps entre exercice du mandat politique, instruction et expertise technique, analyse et validation par les politiques ? Je m'interroge sur la pertinence des quelque 1 200 auditions conduites chaque année par les rapporteurs de notre commission. Sont-elles toutes utiles ? Plutôt que d'y puiser de l'information brute, les députés ne devraient-ils pas davantage s'en servir pour tester leurs conclusions et propositions ?

Bref, l'organisation de la semaine parlementaire pose la question de nos méthodes de travail et, finalement, du rôle que nous entendons exercer.

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