Intervention de Marielle de Sarnez

Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 14h00
Groupe de travail sur la procédure législative et l'organisation parlementaire et les droits de l'opposition

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je voudrais tout d'abord vous féliciter pour votre capacité d'anticipation remarquable, qui n'est pas si répandue à l'Assemblée : vous avez en effet prévu notre réunion le lendemain des annonces officielles du Gouvernement en matière de révision constitutionnelle.

Je n'ai pas le sentiment, cela dit, que – pour l'instant, mais tout cela n'est qu'un début, heureusement –, le débat au Parlement sera au niveau d'ambition nécessaire à une refondation véritable de notre vie démocratique. Pour le dire simplement, si l'on regarde le bilan de notre Parlement, il n'est pas satisfaisant, en particulier quant à la manière dont nous travaillons. Il n'est pas satisfaisant d'avoir des séances de nuit, de ne pas être là le lundi ni le vendredi, de ne pas connaître à l'avance le calendrier de l'année, du mois ni même de la semaine, de n'avoir aucune visibilité sur les textes, aucune capacité d'anticipation, et d'avoir, en revanche, une inflation législative : année après année, toujours plus de lois, toujours plus de décrets, toujours plus de règlements. Tout cela n'est pas raisonnable, et je crois profondément que ce n'est pas d'ajustements que nous avons besoin, mais d'une transformation profonde et réelle du système.

Je voudrais donner quelques orientations, mais nous l'avons fait plusieurs fois, Sylvain Waserman et moi-même, dans ce groupe de travail, et ce n'est donc pas nouveau. Je pense profondément qu'avant même de penser une nouvelle organisation de la semaine, il faut une nouvelle organisation du travail sur l'année. C'est exactement comme pour les rythmes scolaires, car si l'on ne change pas le nombre de semaines travaillées, l'organisation continuera de subir les mêmes contraintes. Je pense en particulier qu'il faut impérativement faire sauter le verrou constitutionnel des 120 jours. Je ne l'ai pas entendu hier dans la bouche du Premier ministre et je le regrette, mais ce niveau d'ambition qui paraît absent, c'est à nous de l'avoir maintenant. Il ne faut pas tout attendre de l'exécutif en matière de renforcement des droits du Parlement. Je pense aussi qu'il n'a aucun sens de dire : nous nous réunissons du 2 octobre au 30 juin et nous avons toutes les vacances scolaires. Qui sont les Français qui s'arrêtent de travailler le 30 juin pour reprendre le 2 octobre ?

Le résultat est que nous avons des sessions extraordinaires qui, au lieu d'être extraordinaires au sens propre du terme, quand un événement réellement extraordinaire justifie que le Parlement soit réuni une journée ou deux journées, sont devenues ordinaires, à ceci près qu'en session extraordinaire le Parlement n'a pas les mêmes pouvoirs, qu'il n'y a plus de questions d'actualité, etc. On marche sur la tête ! Tout cela n'est pas raisonnable et justifie une révision constitutionnelle.

L'organisation de la semaine, elle, relève d'une réforme du Règlement, qui prévoit que nous siégeons le mardi, le mercredi et le jeudi. Là aussi, on marche sur la tête. Nous ne sommes plus à l'époque où les élus cumulaient deux, trois, quatre fonctions ou responsabilités. Les parlementaires sont désormais des parlementaires à plein temps. Je reviendrai à la question de la circonscription dans un instant, mais je pense que, tant que nous n'aurons pas fait sauter le verrou des 120 jours et que nous n'aurons pas repensé notre organisation sur l'ensemble de l'année, nous prendrons toutes les réformes par le mauvais bout et nous n'arriverons pas à améliorer la qualité de notre travail, notre capacité d'anticiper, de nous préparer.

Or, pour le moment, je vois que rien ne change, qu'on nous propose toujours deux semaines pour le Gouvernement, une semaine de contrôle et une semaine d'initiative parlementaire, sans qu'il n'y ait jamais eu d'évaluation sérieuse de ces semaines de contrôle ou d'initiative parlementaire. Est-ce que des députés qui posent à un ministre, en deux minutes, une question qui a d'ailleurs généralement été transmise au préalable à son cabinet, et un ministre qui lit ensuite la réponse préparée, c'est vraiment du contrôle de l'action du Gouvernement ? Et est-ce que ce séquencement des semaines a encore quelque crédibilité que ce soit ? Franchement, je me pose la question, d'autant que l'exécutif ne cesse de nous expliquer qu'il est obligé d'empiéter sur les semaines censément réservées au Parlement.

Je pense donc qu'il faut réfléchir aussi à une nouvelle organisation de la semaine, à un système qui, sans être forcément le système à l'allemande, n'empêche pas que chacun soit dans sa circonscription le week-end, le vendredi – quand on veut, on peut toujours s'organiser –, mais qui laisse régulièrement, toutes les trois ou quatre semaines par exemple, la possibilités de passer dix jours d'affilée en circonscription. Cela permet de faire des choses, de préparer la tournée des cantons, des villages, des villes, des quartiers, cela permet de s'organiser et cela permet aussi aux députés d'avoir une relation suivie avec leurs électeurs.

Troisièmement, je disais tout à l'heure que rentrer le 2 octobre n'a aucun sens. Il faudrait que la session s'arrête chaque année aux alentours du 15 ou du 20 juillet et reprenne le 2 ou le 3 septembre. Ce n'est tout de même pas bien compliqué, et pour bien faire, il faudrait aussi faire ce que font la plupart des parlements des pays qui nous entourent : adopter chaque année le calendrier de l'année suivante, de sorte que chaque député puisse s'organiser et que nous évitions ce genre d'absurdités comme les deux à trois semaines d'interruption que nous allons avoir entre fin avril et début mai. Tout cela n'est pas sérieux. Il faut un ordre du jour sur l'année. Il n'est pas satisfaisant que nous découvrions au fil des semaines notre agenda et les textes du Gouvernement.

Le jour où nous arrêterons de fonctionner ainsi, cela rendra d'ailleurs service au Gouvernement lui-même, qui cessera peut-être de se demander, à la veille de chaque Conférence des Présidents, ce qu'il va nous proposer, et qui sera obligé lui aussi de s'organiser, de hiérarchiser les priorités au lieu de verser dans l'inflation législative. Et cela nous permettra à nous de faire des auditions, de donner la parole aux citoyennes et aux citoyens, qui sauront ainsi au passage que, dans six mois, nous allons examiner une grande loi sur la défense ou, dans huit mois, une grande loi sur le logement, et cela permet de préparer les choses.

Cinquièmement, je pense qu'il faut repenser le rôle de la séance plénière et, pour cela, vous l'avez tous dit, approfondir le rôle de nos commissions. J'ai un désaccord avec Roland Lescure sur les saisines pour avis, car je trouve très important d'avoir un regard large sur les textes législatifs. Prenons l'exemple du projet de loi sur l'asile et l'immigration : il relève évidemment de la commission des lois, mais j'ai rendu un avis comme présidente de la commission des affaires étrangères, et je trouve très important, sur une question comme celle-là, d'avoir un spectre large, car c'est une question qui renvoie non seulement à celle de l'Europe et de l'harmonisation, mais aussi à celle de nos rapports avec les pays d'origine, à celle du développement, à celle de l'Europe et de l'Afrique, toutes questions qu'il fallait absolument aborder dans ce débat.

Repenser, donc, le rôle de la plénière, oui, et je fais d'ailleurs une proposition qui ne coûterait pas un centime d'euro : organiser une ou deux fois par mois, sur des grands sujets, de grands débats parlementaires à l'initiative des groupes. Ce serait l'occasion pour nous de dire des choses, pour le Gouvernement de rendre des comptes, et l'on pourrait même imaginer que cela intéresse l'opinion publique… Pardon d'avoir été trop longue, je n'entrerai pas davantage dans le détail, mais ce sont cinq propositions que j'ai mises sur la table il y a longtemps déjà. J'insisterai seulement sur le fait que ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas quelques ajustements à la marge, mais une transformation profonde, un Parlement qui soit fort, respecté et pluraliste. Cela rendra service à l'exécutif, car un Parlement fort va de pair avec un exécutif fort, mais si l'exécutif ne souhaite pas avancer aussi loin que nous dans cette direction, ce sera aux parlementaires que nous sommes de prendre nos responsabilités.

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