Intervention de Frédéric Régent

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 17h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Frédéric Régent, maître de conférences et directeur de recherche, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

Dans la perpétuation de cette idée que les gens sont victimes de racisme, il y a d'abord un constat d'inégalités sociales et le fait que les gens expliquent davantage leur situation par rapport à leur identité que par rapport à leur position sociale et par rapport à des phénomènes de reproduction sociale. Je vais juste donner un exemple. Je suis descendant d'esclaves et si je regarde le cheminement de l'histoire familiale, l'arrière-grand-père de ma grand-mère était esclave. Au moment de l'abolition, ils n'avaient rien, juste leur force de travail et finalement, le plus souvent, ils n'ont transmis qu'une micropropriété ne dépassant pas un hectare à leurs très nombreux enfants (7 ou 8 enfants en moyenne). Pour vous montrer comment se perpétuent les inégalités socioculturelles, mon père n'a commencé sa scolarité qu'à l'âge de huit ans et l'a finie à quatorze ans. La mère de mon épouse, qui est elle aussi issue de cette histoire-là, ne savait ni lire ni écrire. Je vous parle là des Antilles, de la Guadeloupe, des gens qui étaient en âge d'être scolarisés dans les années 1950.C'est donc ce bagage social et culturel qu'ils transmettent à leurs enfants. Finalement, les personnes pensent que leur place dans la société, alors qu'elles aspirent à une meilleure place, est ramenée à leur couleur.

Un autre phénomène très important joue actuellement : les gens sont de plus en plus enfermés dans des identités de communautés virtuelles par les réseaux sociaux. Je trouve que ce qu'on peut voir sur Facebook ou Instagram est vraiment atterrant. Tout le monde s'y fait historien. On raconte des histoires, on vous explique que la France est raciste, qu'elle l'a toujours été. On crée une forme de continuum, on sort tous les exemples de bavures policières qui peuvent exister, tous les exemples de discriminations qui peuvent exister et, d'une somme d'exemples, on crée un discours racialiste global. Le problème des réseaux sociaux, c'est que sur votre fil d'actualité, quand vous êtes sur Instagram ou Facebook, vous recevez toujours le même type d'informations. Ainsi, un identitaire d'extrême droite ne recevra que des informations le confortant dans son identité politique.

Nous avons vraiment une conjonction de plus en plus grande, du fait à mon sens du recul des idéologies politiques, pour une mise en avant des identités et de ces communautés virtuelles. Si on veut lutter contre le racisme, il y a d'abord un travail considérable à réaliser et je dirais presque que c'est à l'algorithme de Facebook qu'il faut s'attaquer. Étant antiraciste, je reçois des informations antiracistes et, ayant reposté des commentaires sur l'antisémitisme, des contenus relatifs à la lutte contre l'antisémitisme. Le fil d'informations ne fait que me conforter mécaniquement par le biais des algorithmes.

Je partage complètement ce qu'a dit Benjamin Stora sur l'éducation. L'esclavage n'est dans les programmes scolaires que depuis les années 2007-2008. C'est vrai que toutes les générations antérieures sont passées à côté de ce sujet. Même quand c'est au programme, parfois les étudiants nous disent qu'ils ne l'ont pas étudié, donc un travail doit être réalisé.

Les inégalités sociales, surtout lorsqu'elles sont marquées dans la couleur ou l'origine, et c'est le cas des immigrés de la deuxième ou troisième génération, font que, par des phénomènes de reproduction socioculturelle, les enfants de pauvres sont des enfants de pauvres, mais les gens raccrochent leur pauvreté à leur couleur et non au fait que leurs parents étaient pauvres. Il faut donc lutter contre les inégalités sociales, c'est un point important.

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