Là où l'on observe la plus grande discrimination, c'est lorsque les contrôles sont discrétionnaires, c'est-à-dire qu'ils sont décidés par l'agent lui-même en dehors de toute instruction et de tout appel émis. À l'intérieur des patrouilles de police, nous avons pu séparer les contrôles d'initiative discrétionnaire des contrôles qui répondaient à une nécessité du service. Ces contrôles discrétionnaires sont le cœur de la discrimination policière sur une base ethnique.
Les millions de contrôles exercés sont une perte pour les finances publiques parce qu'ils sont très peu efficaces. D'après le comptage partiel qui a été fait par le ministère de l'intérieur dans le cadre d'une expérimentation, à l'issue de ce contrôle, dans 95 % des cas, il n'était pas possible d'envisager le début d'une procédure judiciaire quelconque (sans même parler d'une éventuelle transmission au procureur). Quand on a réalisé des études en France et en Allemagne, à Lyon, à Grenoble, à Aix-en-Provence, ou à Marseille, on a trouvé des chiffres qui sont même supérieurs, mais toujours dans cette fourchette, entre 95 et 97 %. C'est bien le cœur du problème : les contrôles ne sont pas ciblés à partir d'informations qui devraient normalement déclencher une action de la police.
Le récépissé d'identité est un outil de contrôle politique de la police, de contrôle politique du gouvernement par le Parlement. On ne peut pas contrôler une organisation comprenant 270 000 agents publics (policiers nationaux, gendarmes et policiers municipaux) sans outils statistiques.
Le contrôle doit en réalité être double : il porte sur le comportement des agents, mais aussi sur le donneur d'ordre. En France, il n'y a qu'un seul donneur d'ordre, c'est le gouvernement central car l'immense majorité sont des policiers et gendarmes (250 000) et non des policiers municipaux (au nombre de 20 000). L'enjeu du récépissé, c'est bien le contrôle de la politique du gouvernement. Pour l'instant, en France, ce contrôle est extrêmement faible et fragile. Il n'y a pas, comme en Belgique, d'autorité indépendante de contrôle de la police rattachée au Parlement. Le Parlement français n'a pas, selon moi, les moyens d'exercer aujourd'hui son contrôle sur les politiques policières.
J'en reviens, du même coup, à la question du « thermomètre ». Si l'on veut réparer le thermomètre, il faut que la personne qui mesure ait la confiance des citoyens. Le système actuel qui confie à l'IGPN la responsabilité de compter et publier les infractions à caractère raciste ou discriminatoire n'est, de ce point de vue-là, pas satisfaisant. Il faut savoir qu'il y a par exemple 30 000 plaintes contre la police en Angleterre (toutes plaintes confondues), contre 3 000 en France. Paradoxalement, les systèmes dans lesquels les gens se plaignent le plus sont ceux dans lesquels la police engrange le score de confiance le plus élevé. Le fait de pouvoir se plaindre donne confiance aux citoyens dans le système.
Mais comment réformer un système sans avoir d'outils une connaissance suffisante du système ? Le ministère de l'intérieur lui-même ne sait pas où les contrôles sont faits, ne connaît pas les occasions qui génèrent de la violence dans les contacts entre la police et la population. Il n'y a pas de base de données.