Intervention de Sebastian Roché

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Sebastian Roché, politologue, directeur de recherche au CNRS, enseignant à Sciences Po-Grenoble, éditeur de « Policing and Society » :

S'agissant de l'impunité policière, les rapports tels qu'ils sont produits aujourd'hui par l'IGPN, contrairement à ce qu'en dit la directrice, ne permettent pas de savoir si les policiers sont exposés à des sanctions ni à quel degré. Les rapports sont annuels et les statistiques sont présentées sur une base annuelle. Partant, les rapports n'établissent pas de correspondance entre les faits reprochés et les sanctions. Les procédures, elles, sont pluriannuelles.

L'IGPN dirait qu'elle n'a pas accès aux suites judiciaires des affaires sur lesquelles elle a réalisé les enquêtes. Cela pourrait être l'intérêt du débat à l'Assemblée nationale que de demander à ce qu'il y ait enfin, et pour la première fois en France, un suivi individualisé des suites, au moins pour une certaine catégorie d'affaires, notamment lorsque les policiers ont fait usage de leurs armes ou lorsqu'une personne est décédée au cours des opérations de police, de façon à ce que l'on ait la séquence complète. Obtenir toute la séquence, cela veut dire obliger deux administrations, le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice, à rassembler sur une base nominative l'ensemble des faits du point de départ jusqu'à l'issue finale. Pour l'instant, cela n'existe pas. Ce n'est qu'en ayant cette possibilité de suivre une même affaire du début à la fin que nous pourrons avoir une vision précise du degré auquel les policiers sont considérés ou non comme responsables de leurs actes et quel est le niveau de sanction appliqué.

Sur la base des cas individuels qui sont documentés, soit par des organisations de protection des droits de l'homme, soit par la presse, les niveaux de sanctions encourues par les policiers semblent très déconnectés des niveaux de sanctions encourues par un citoyen qui ferait usage d'un niveau de force et de violence comparable.

Si on lit la loi qui l'a établie dans son organisation actuelle, il est écrit que l'IGPN est un service du ministère de l'intérieur. Elle répond aux instructions de son supérieur et ne peut pas même choisir la date de publication de son rapport annuel. La directrice de l'IGPN peut être renvoyée à chaque instant. Les personnes qui y travaillent sont nommées par le directeur général de la police nationale et leur promotion ultérieure ou leur réaffectation sera décidée par lui. Aucun des critères internationaux (comme le critère d'indépendance de Paris) n'est satisfait. Je parle d'indépendance, pas de professionnalisme : je ne remets pas en cause le mode de sélection des policiers qui travaillent à l'IGPN ni leur capacité à exercer les missions d'enquête.

Sur les missions d'audit, l'IGPN est encore moins indépendante. Elle ne peut pas choisir des thématiques d'audit. C'est pour cela qu'en France, par exemple, il n'y a pas de rapport de l'IGPN sur la corruption policière, alors même que l'intégrité est un des fondamentaux des polices démocratiques.

Dans l'enquête UPIC, pour la première fois en France, nous avons couvert tout un département pour essayer de voir si les pratiques de la gendarmerie ressemblaient à celle de la police en matière de contrôle au faciès. Sur la base de cette étude, même s'il faut être prudent car c'est la seule étude que nous ayons, les gendarmes ne sélectionnent pas les jeunes contrôlés sur la base de leur apparence ethnique. Cette étude a eu lieu dans l'un des départements les plus urbanisés de France, les Bouches-du-Rhône, ce qui rend la comparaison assez intéressante.

Le ministère de l'intérieur a fait réaliser en 2000 une étude intéressante qui permet de montrer l'amélioration des relations dans les zones qui sont passées en police de proximité à partir de 1998. Les zones qui ont été suffisamment longtemps en police de proximité sont celles dans lesquelles on a vu une élévation des niveaux de confiance et de satisfaction. En revanche, cette étude ne comprend aucun volet « discriminations », de telle sorte qu'on ne peut pas répondre à la question de savoir si cela a changé les pratiques des contrôles d'identité.

Pour la PSQ, le programme de campagne du Président de la République n'a, pour l'instant, pas été mis en œuvre. Il resterait assez peu de temps pour le faire, puisque si on lit attentivement le programme, ce que j'ai fait, il est en fait une version modernisée de la police de proximité, avec l'accent mis sur la recherche de la confiance et l'adaptation aux besoins locaux ; une police tournée vers les usagers et qui est ancrée dans un partenariat inter organisations (faire travailler la police avec les administrations locales). Pour l'instant, la politique du gouvernement a plutôt été le contraire, c'est-à-dire qu'elle a confondu continuum de sécurité et continuum de police. On a dit que la priorité est de faire travailler les polices ensemble mais le programme était de faire travailler la police avec les autres administrations locales.

La PSQ n'a pas de doctrine. J'avais travaillé un peu avec le cabinet pour essayer d'en poser les jalons. Cela n'a pas abouti. Sans doctrine, on ne peut pas avoir de politique. Par exemple, la qualité du service rendu fait-elle partie de la mesure de la performance des agents et des incitations qu'ils auraient à faire telle ou telle chose ? Si on avait une doctrine et un régime de performance, on pourrait aussi vouloir faire évoluer la formation des agents. Malheureusement, vous savez que la formation des gardiens de la paix est réduite à huit mois en France, contre trente mois au Danemark et deux ans en Allemagne. En partie pour des raisons de contraintes budgétaires, la formation devient de plus en plus réduite alors que les tâches de police restent compliquées. Comment allons-nous arriver à faire aussi bien que les Allemands en ayant une formation initiale qui est trois fois plus courte ?

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