Intervention de Patrick Karam

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 11h05
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Patrick Karam, vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer :

Je vous remercie d'avoir pensé à m'auditionner sur cette question extrêmement importante : d'origine arabe, je viens des Antilles – de Guadeloupe – et je suis un militant de la cause ultramarine, de l'égalité et de la lutte contre les discriminations et contre tous les racismes. J'ai occupé différentes fonctions dans le milieu associatif : j'ai été président du CollectifDom ; j'ai fondé le Conseil représentatif des Français d'outre-mer (CREFOM) avec Victorin Lurel, alors ministre, qui est composé d'associations et de parlementaires, j'en ai pris la présidence et j'ai été réélu à l'unanimité ; je suis vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge de la jeunesse, de la vie associative et de la lutte contre les discriminations. Il s'agit d'un engagement fort de la région, qui finance certaines actions de testing ou des poursuites pénales.

Le combat contre le racisme doit rester universaliste. Il est extrêmement dangereux de séquencer les combats en fonction de la couleur de peau de la victime. J'entends dire que le racisme anti-Blanc n'existe pas. C'est extrêmement choquant. Il existe et l'origine de la victime n'a rien à voir avec la construction intellectuelle du racisme.

Certains courants de pensée diffusent des idées particulièrement dangereuses pour le vivre ensemble. Nos compatriotes métropolitains, victimes de violences parce qu'ils sont blancs, ne peuvent pas entendre qu'ils ne sont pas victimes de racisme. Certes, ils ne sont pas victimes de discrimination puisqu'ils appartiennent à la population qui tient les rênes de l'économie et encadrent les entreprises, même si le réseau est important. En outre, les discriminations ne sont pas seulement liées à la couleur de peau : vous pouvez être âgé, malade, être discriminé en raison de votre orientation sexuelle ou de votre sexe. Il faut aussi y être attentif.

Je ne confonds donc pas discrimination et racisme. Le racisme n'est pas lié à une construction. Je suis docteur en sciences politiques et je ne peux l'entendre. Ma thèse de sciences politiques était centrée sur l'islamisme politique et j'ai été chargé par la présidente de région d'écrire la charte régionale des valeurs de la République et de la laïcité. Pas un mot, ni une virgule, n'a été retouché. Elle s'applique à toutes les actions que nous menons. Nous avons développé des outils et affecté des financements extrêmement importants – plusieurs millions d'euros – afin de lutter contre tous les racismes et l'antisémitisme. Le bilan est particulièrement probant. Nous soutenons des associations peu financées par la puissance publique afin qu'elles puissent aller en justice. Il s'agit d'associations de lutte contre l'homophobie, contre le racisme anti-Asiatique, contre le racisme anti-Noir, etc.

Il faut être très attentif à ce qu'on lit dans les médias : plusieurs fois, le CollectifDom y a été classé comme association identitaire. Je l'ai présidé et c'est moi qui ai pris la décision d'attaquer en justice M. Pétré-Grenouilleau, historien. Cette action avait suscité une véritable bronca. Pourquoi l'avions-nous engagée ? Non pas, comme il le prétend, parce que nous ne voulions pas que l'on parle de l'esclavage intra-africain ou arabe. C'est une réalité et le travail de mémoire réalisé en Europe doit aussi l'être dans ces pays. Nous l'avions poursuivi car, dans le Journal du Dimanche, il avait déclaré que la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité par la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, dite Taubira, était responsable de la montée de l'antisémitisme. Nous ne pouvions l'accepter.

J'ai parcouru son livre et n'ai pas grand-chose à en dire sur le plan scientifique, mais ces propos n'étaient absolument pas tolérables car ils engageaient les uns les autres dans une concurrence des mémoires. Cette dernière n'est pas acceptable. Un universitaire dont l'importance des travaux est reconnue ne doit pas alimenter la confusion. Je lutte contre l'idéologie de Dieudonné depuis des années. En tant que président du CREFOM, je me suis rapproché du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et nous avons noué un partenariat – le seul du CRIF. J'ai organisé la visite du président du CRIF aux Antilles pour qu'il puisse installer le CRIF Antilles-Guyane.

Le CREFOM a également attaqué la décision d'affectation d'une universitaire nantaise, qui devait être nommée comme universitaire à la Réunion. Contrairement à d'autres associations, nous ne l'avons pas fait parce qu'elle était nantaise. Le CREFOM était parfaitement responsable. Je rappelle qu'il comprenait une trentaine de parlementaires, des présidents de collectivités, plusieurs centaines d'associations et de personnalités. Nous avons attaqué la décision pour vice de forme et rupture d'égalité. D'ailleurs, le tribunal administratif nous a donné raison et a cassé son arrêté de nomination.

Certaines associations auxquelles les médias accordent une importance démesurée soutiennent des courants de pensée extrêmement choquants. J'ai exclu beaucoup d'entre elles des financements régionaux car on ne peut partir du postulat que les Noirs, les Arabes, les musulmans sont des victimes et les Blancs des racistes qu'il faut condamner, au risque d'engager le pays dans la guerre civile. Outre-mer, le sujet est extrêmement brûlant. Kémi Seba, l'homme qui a créé la Tribu Ka, est allé à Fort-de-France et il a fait salle comble : 2 000 personnes ont écouté son discours racialiste. C'est très choquant et cela n'aurait pas été possible il y a quelques années dans nos départements, métissés. Pourquoi donner autant de poids à ces personnes qui ne sont pas représentatives de la société ? Cela suscite alors la curiosité.

Pour exister dans les médias, il faut tenir des discours caricaturaux, se prononcer contre le métissage, contre les Blancs, considérer qu'il existe des racisés. Je serai un racisé puisque je suis d'origine arabe. Plutôt que de revendiquer mes origines, je revendique ma culture guadeloupéenne. On parle de question noire, mais quelle question noire ? Une personne d'origine africaine ou venant d'Afrique n'a rien à voir avec un Guadeloupéen ou un Martiniquais ! J'ai toujours combattu les associations comme le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), à l'époque du CollectifDom comme du CREFOM. Un Blanc français ne serait pas la même chose qu'un Blanc russe ou allemand, mais la couleur pourrait rassembler tous les Noirs ? Qu'est-ce que cela signifie ? Cela veut-il dire que les Noirs ne sont pas capables de développer des cultures ou des identités qui dépassent leur couleur, leur taux de mélanine ? C'est complètement incompréhensible. C'est du racisme.

Il n'y a pas de question noire, comme il n'y a pas de question blanche. La problématique centrale est celle de la citoyenneté : nous devons être des citoyens égaux et combattre de la même façon tous ceux qui discriminent, à la fois ceux qui discriminent nos concitoyens parce qu'ils sont noirs, africains, antillais, musulmans, et ceux qui considèrent que la société comporte d'un côté les racisés – les Noirs, les musulmans – et, de l'autre, les Blancs. Ces deux extrémités peuvent précipiter la France dans la confrontation.

Dans les banlieues, une idée dangereuse se répand : un Blanc est forcément coupable et un Noir ou un musulman, forcément victime. S'il ne réussit pas, ce n'est donc pas forcément de sa faute.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.