Intervention de Michel Tubiana

Réunion du mardi 15 septembre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Michel Tubiana, président d'honneur de la LDH :

Je répondrai d'abord à cette dernière question. Si vous légiférez sur la liberté d'expression, je descends dans la rue en ressortant mes oripeaux de 1968 ! Rien ne peut justifier de légiférer sur ce terrain.

Mon organisation, à l'époque présidée par Madeleine Rebérioux, ancienne résistante, et ancienne membre du parti communiste, s'était montrée extraordinairement réservée sur la loi Gayssot, relative au négationnisme et à la contestation de crime contre l'humanité. Bien évidemment, nous ne sommes pas alignés sur la position des États-Unis, mais nous défendons la liberté d'expression avant toute chose. Que Charlie Hebdo republie les caricatures ! nous avons heureusement dans ce pays le droit de blasphémer. Je pense aussi que la poursuite contre Valeurs actuelles pose un problème en termes juridiques.

Cela ne signifie pas qu'un certain type de discours public ne soit pas de nature à soulever des sentiments racistes. Quand Christian Estrosi, et nous le poursuivons pour cela, déclare que la communauté tchétchène s'organise pour préempter le trafic de drogue, on se trouve alors dans une forme de discours public générateur de manifestations de racisme. Or je constate malheureusement une forme de libération de la parole, y compris chez les politiques, qui feraient bien de ne pas jeter de l'huile sur le feu et de ne pas accréditer des démarches racistes.

Sur le sujet polémique de la non-mixité, permettez-moi de faire appel à mes souvenirs d'ancien combattant. Dans les années 1970, je me suis fait sortir de réunions uniquement composées de femmes. Fondamentalement, si certains ont besoin de cela, c'est le signe de notre échec. Cela veut dire qu'ils ne nous font plus confiance, et c'est encore pire pour nous – Ligue des droits de l'homme – que pour vous. Car au fond, vous êtes les institutions. En tant que LDH, Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), LICRA ou autres associations, nous sommes censés être à leur service. Même en nous ils n'ont plus confiance. La bonne attitude n'est pas d'encourager cela mais de se demander pourquoi ils y sont arrivés, et quel est le meilleur chemin pour qu'ils reviennent à une vision plus universelle des choses.

Encore une fois, nous devons prendre en compte chaque forme de racisme dans sa spécificité, si nous ne voulons pas rentrer dans la concurrence des victimes. Et en même temps, nous ne pouvons accepter que soit remise en cause l'universalité de la lutte antiraciste. Sinon, chacun demandera à la République ce qu'elle fait pour sa communauté. Écoutez le discours de chacun d'entre eux. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) demande : que faites-vous contre l'antisémitisme ? Le comité Adama demande : que faites-vous contre le racisme anti-Noir ? Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) demande : que faites-vous sur la question de l'islamophobie ? Cela doit nous interpeller.

Le débat sur les statistiques ethniques est ancien. Sommes-nous arrivés à un équilibre suffisant aujourd'hui ? Je n'en suis pas convaincu, mais je n'ai pas de position déterminée à communiquer au nom de mon organisation sur ce point. J'observe néanmoins que nous avons fini par légaliser les statistiques ethniques dans un cas en France. Même si Jacques Chirac les a critiquées ; c'était dans une situation coloniale, en Nouvelle-Calédonie. On a bien été obligés d'y venir.

Les études victimaires me paraissent absolument nécessaires. On ne peut expliquer le racisme par de seules considérations sociales. De nombreuses situations dans l'histoire montrent que le racisme comporte un noyau irrationnel, qui fait qu'au XIe siècle, les Anglais continuaient à mener des manifestations anti-juifs alors que ces derniers avaient déjà été expulsés d'Angleterre dans leur totalité. D'autres exemples plus récents dans l'histoire pourraient être cités. Et pourtant, si l'on oublie cette dimension sociale, y compris dans ce qui provoque les réactions victimaires, on s'empêche d'apporter une solution. Je ne pense pas que l'existence de ghettos soit expliquée uniquement par des considérations racistes, ni même qu'elle explique intégralement le ressenti victimaire des personnes concernées. Mais je pense qu'oublier cela, c'est se fermer toutes les portes de nature à apporter des solutions au problème.

Nous avons oublié un sujet tout à fait essentiel sur cette question, celui de l'éducation. Je me souviens être allé à Toulouse en tant que président de la LDH, un an après l'explosion de l'usine AZF. J'étais dans ce qu'on appelait un collège AZF, c'est-à-dire en préfabriqués, car le bâtiment avait été détruit par l'explosion. Six classes de troisième se trouvaient en face de moi. Les seuls Blancs dans la classe étaient des Berbères. Si même dans le système éducatif se retrouve ce type de ghettoïsation, sachant qu'au surplus, 50 % du corps enseignant était de cette origine – ce qui est du reste très bien – je me dis que nous avons affaire à un vrai problème à l'intérieur de l'Éducation nationale. Ce n'est pas dire qu'elle est raciste, c'est dire qu'elle reproduit les systèmes de discrimination qui existent à l'extérieur, et que l'on retrouve dans les forces de l'ordre, dans la magistrature, etc.

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